Menu

La discrimination dans les partis politiques français

Compte rendu de la conférence de presse sur les discriminations dans les partis politiques français qui s’est tenue le 12 octobre 2004 au CAPE (Centre d’Accueil de la Presse Étrangère - Maison de Radio France)Organisateur : l’APE (Association de la Presse Étrangère) Modérateur : Monsieur Lilo Miango Intervenants : M. Gaspard-Hubert Lonsi Koko (Président du club de réflexion "Enjeux Socialistes et républicains" et M. Thierry Vincent (Journaliste à Canal +, auteur du documentaire intitulé Discrimination : après les boîtes de nuit, les partis politiques)


Thierry Vincent : Je n’interviens pas en tant que militant d’une quelconque structure, mais en qualité de journaliste. De plus, j’ai réalisé un reportage, qui est passé il y a une semaine sur Canal +, sur les discriminations dans les partis politiques. Je suis parti d’un constat très simple, c’est que dans la rue on voit une France qui n’est pas uniquement blanche, pas seulement gauloise. Mais lorsqu’on s’épanche sur la composition de l’Assemblée Nationale, on constate qu’il n’y a aucun député beur ou noir élu dans l’espace métropolitain. Il est vrai que dans le gouvernement Raffarin, il y avait deux ministres (respectivement au développement durable et aux anciens combattants) d’origine non européenne. Mais aucun Français d’origine non européenne ou d’outre-mer n’est à la tête d’un ministère important. On dénombre quelques conseillers régionaux, généraux, sénatrices et députés européens, mais en nombre insuffisant par rapport à la réalité. Je suis donc parti de ce constat pour essayer de comprendre les raisons de cette carence. Lorsque j’ai commencé mon enquête au sein des partis politiques, aussi bien de droite que de gauche, j’étais surpris par l’opposition qui existe entre la base et le sommet. Les préjugés aidant, j’étais persuadé que la politique était une activité d’enseignants, d’intellectuels, de Blancs, de classes moyennes et supérieures. La réalité était étonnante. En fait, j’ai réalisé que, à la base, beaucoup de beurs, de Noirs, de citoyens d’origine non européenne s’impliquent dans la vie militante alors qu’ils sont quasiment inexistants au sommet. Il y a donc dysfonctionnement dans le système politique, dans le système d’ascension sociale au sein des partis politiques. Est-ce dû au racisme primaire au vrai sens du terme ? Est-ce un plus compliqué qu’on ne le pense ? Je crois que, plus fondamentalement, il est question d’une caste qui se promeut, qui se coopte. Plus grave encore, c’est qu’on assiste à une sorte de racisme social. La situation est un peu plus catastrophique à droite qu’à gauche, les dernières élections en est la preuve. Disons que les dirigeants politiques sont complètement en retard sur la société française.

Gaspard-Hubert Lonsi Koko : Je vous remercie d’avoir consacré une partie de votre temps à ce débat sur les discriminations dans les partis politiques français. Je remercie aussi l’APE de nous accorder la parole car il existe des hostilités manifestes et des tentatives d’étouffer ce débat qui, en ce moment, dérangement l’establishment. J’évoquerai le bilan des dernières élections en métropole, ferai un rapide compte rendu de l’université d’été du Parti Socialiste qui s’est tenu en août dernier à la Rochelle et essaierai de définir quelques perspectives. Je dégagerai donc les grandes pour engager l’échange entre nous.

Les élections sénatoriales

Sur 71 sénateurs qui ont été élus en septembre 2004, 2 sénatrices sont d’origine non européenne (Bariza Khiari pour le PS et Halima Boumedienne pour les Verts). Cela représente 2,8 %. Au total, sur 371 sénateurs qui siègent au Palais du Luxembourg, on ne retrouve que deux élues. Cela représente 0,54 %.

Les élections européennes

Sur 75 députés européens français qui ont été élus en juin 2004, 3 sont d’origine non européenne (1 pour l’UMP :Tokia Saïfi et 2 pour le PS : Kader Arif et Harlem Désir). Cela représente 4 %, proportionnellement 1,3 % pour l’UMP et 2,7 % pour le PS).

Les élections cantonales

Sur 1939 conseillers généraux qui ont été élus en mai 2004, 3 seulement sont issus de l’immigration non européenne (1 pour le PS et 2 pour le PC). Cela donne 0,15 %, soit proportionnellement 0,5 % pour le PS et 0,10 % pour le PC.

Les élections régionales

Sur 1719 conseillers régionaux qui ont été élus en mai 2004, 44 sont d’origine non européenne et des DOM-TOM. Soit 2,56 % repartis comme suite : 39 élus pour la gauche, soit 2,27 % (23 pour le PS : 1,33 % ; 5 pour le PRG : 0,29 % ; 4 pour les Verts : 0,23 % ; 3 pour le PC : 0,17 % ; 3 pour les DIVG : 0,17 % ; 1 pour le MRC : 0,06 %), 3 pour la droite, soit 0,17 % (2 pour l’UDF : 0,11 % et 1 pour l’UMP : 0,6 %) et 2 pour le FN, soit 0,11 %.

Le verdict

Sur 3804 élus en France métropolitaine en 2004 (sénateurs, députés européens, conseillers généraux et régionaux), 52 seulement sont issus de l’immigration non européenne ou des DOM-TOM, soit 1,36 % pour une population qui représente plus ou moins 20 %. On constate que, chiffres à l’appui, la gauche est plus progressiste que la droite. L’Île-de-France reste la région qui fournit le plus d’élus d’origine non européenne et originaires des DOM-TOM : 2 sénatrices, 1 député européen, 3 conseillers généraux et 15 conseillers régionaux. Notons que cette estimation peut être nuancée à 2 ou 3 élus, sachant que les Antillais portent, pour la plupart, des patronymes gaulois. Au vu des résultats, le bilan est donc, de manière globale, médiocre. On se rend véritablement compte de la sous-représentativité, en politique, des citoyens français d’origine non européenne et ceux qui sont originaires des DOM-TOM.

Que faire pour pallier cette carence de la République dans la reconnaissance de certains de ces enfants ? Cela me permet de faire la transition avec ce qui s’est dit à l’université d’été du Parti Socialiste sur la manière de lutter contre les discriminations, les racismes et l’antisémitisme, avant d’aborder les perspectives. Dans cet atelier, les arabo-berbères et les Noirs ont estimé que l’accès aux instances du parti et aux mandats électoraux doit se faire en fonction de la compétence et du mérite. Ils ont exprimé leur ras-le-bol du fait qu’à compétences égales la récompense est toujours inégale. Ainsi ont-ils souhaité voir la représentativité politique ressembler à la France qu’ils vivent dans la rue. Cette prise de position a poussé François Hollande, aussi bien dans ses déclarations aux journalistes de Canal + que dans son discours de clôture de ladite université d’insister sur la diversité de la population française et la nécessité, pour le Parti Socialiste, de présenter aux prochaines élections législatives les citoyens issus de l’immigration non européenne. Le Premier secrétaire du Parti Socialiste a évoqué l’éventualité, s’il le faut, de réserver quelques circonscriptions. "Le Parti Socialiste veillera, pour la désignation des candidats socialistes aux prochaines élections législatives, à la diversité des couleurs et des origines, à l’image de la réalité française", dixit François Hollande.

Perspectives

Pour l’intérêt de la cohésion nationale, les uns doivent fournir un effort considérable, tandis que les autres doivent s’adonner à une réelle implication militante. Pour une meilleure représentativité de la population française dans les instances des partis politiques et dans l’obtention des mandats électoraux, il est indispensable qu’il n’y ait plus en France "des hommes et des femmes organes". Le non-cumul des mandats et des fonctions permettra, sans conteste, l’accès du plus grand nombre de Français aux responsabilités. La reconnaissance du mérite et des compétences et une vraie volonté politique encourageront le rééquilibrage dans beaucoup de domaines, la promotion de ceux qui sont exclus de la gestion de la chose publique. Une dose d’actions positives est nécessaire à court terme. Par ailleurs, au lieu de se plaindre sans arrêt, les exclus de la République doivent adhérer dans des partis politiques et dans les mouvements associatifs ; ils doivent aussi s’inscrire sur les listes électorales afin de participer, le moment venu, aux scrutins. Dans la lutte en vue de la dignité humaine et de l’égalité des chances, l’école, la pédagogie, l’instruction civique, la formation et les sanctions devront, en principe, jouer un rôle déterminant. D’autres solutions pourraient être envisagées en vue d’une meilleure représentativité politique. Pour le Mouvement pour l’Initiative Populaire (MIP), il est nécessaire de trouver un scrutin qui permettra à l’électeur de choisir son représentant. Pour cela, chaque parti politique devra proposer dans chaque circonscription au moins trois noms sur le bulletin. De ce fait, chaque électeur choisira son représentant selon des critères qu’il jugera importants : profession, diplôme, sexe, race, etc. Le candidat ayant obtenu le plus de voix, pour les élections législatives par exemple, sera le député titulaire et le second sera le député suppléant.

En guise de conclusion : Mes amis et moi-même refusons d’être des Français aux "devoirs illimités et aux droits limités". Il ne suffit pas de connaître la vérité, mais surtout de la dire. Se taire face aux injustices, c’est les cautionner. Nous sommes, à notre manière, en train d’écrire un chapitre de l’Histoire de France. "Le jour où l’antilope pourra raconter son histoire, on ne fera plus l’éloge du chasseur." "Qu’est-ce que l’idéal ? C’est l’épanouissement de l’âme humaine. Qu’est-ce que l’âme humaine ? C’est la plus haute fleur de la nature." Cette maïeutique jauressienne est aujourd’hui mienne. Elle me permet d’engager le débat sur les discriminations dans les partis politiques français.

Source: http://www.enjeux-socialistes.org

Emission spécial MRE
2m Radio + Yabiladi.com