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AMDH : une nouvelle présidente et une polémique

C’est fait. L’Association marocaine des droits de l’homme (AMDH) a un nouveau président, et c’est une femme, tout comme l’OMDH, deux mois auparavant. Dimanche 6 mai, au terme de leur première session de travail, les 21 membres du bureau central de l’AMDH nommaient Khadija Ryadi, responsable du dossier des droits de la femme de l’ancien bureau central, à la tête de l’association par 14 voix contre 5 pour son concurrent, Ali Amar.

Dans sa mission, le cinquième président de l’AMDH sera assisté par deux vice-présidents, Abdelhamid Amine, président sortant de l’association, et Abdelilah Ben Abdesslam. Le secrétariat général, lui, reviendra à Abdellatif Moustaghfir, secondé par Samira Kinani.

Agée de 47 ans, Khadija Ryadi, cadre au ministère des finances où elle occupe le poste d’ingénieur en chef à la direction générale des impôts, est en fait une ancienne des milieux militants. Après un Bac au lycée Omar Khayyam, en 1978, c’est vers le milieu des années 80 qu’elle a intégré l’UMT, devenant membre de la Jeunesse ouvrière (JOM) en 1989. Six ans plus tard, en 1995, elle participait à la création du syndicat des fonctionnaires des finances, le premier au ministère depuis les années 60.

Parallèlement à son activité syndicale, cette mère de deux enfants a participé aux activités de l’AMDH, qu’elle a intégrée en 1983, et d’Annahj Addimocrati, parti d’extrême gauche dont elle est devenue membre en 1985. Elue membre du secrétariat national de ce dernier dès 1997, elle a intégré, l’année suivante, le bureau central de l’AMDH, où elle a occupé le poste de secrétaire général adjoint pendant trois ans, sous la présidence de Abderrahmane Benameur. Trois ans plus tard, en 2001, elle devenait secrétaire générale de l’AMDH, poste qu’elle a occupé jusqu’en 2004.

Désormais au gouvernail de l’Association de défense des droits de l’homme, Khadija Ryadi annonce d’emblée que cette dernière, conformément aux décisions du congrès, maintiendra son cap actuel : «Nous allons rester sur notre ligne qui est fondée avant tout sur le principe de l’universalité des droits humains», souligne la nouvelle présidente, qui indique que, conformément à la volonté du congrès, l’association continuera de lutter pour la défense et la promotion des droits de l’homme, tout en mettant un peu plus l’accent sur les droits socio-économiques et socioculturels des individus.

Le congrès de la discorde
Désignés le même jour que la présidente, le 6 mai, les 21 membres du bureau central de l’AMDH, dont un tiers sont des femmes, ont été élus par la commission administrative issue du VIIIe congrès de l’association, tenu du 19 au 23 avril dernier. Parmi eux, Khadija Ryadi était pressentie pour la présidence depuis un certain temps.

Toutefois, la belle cohésion entre les militants de l’AMDH semble s’arrêter là. A la suite d’un congrès particulièrement houleux, marqué, entre autres, par l’accueil désastreux réservé aux représentants de plusieurs partis ainsi qu’au ministère de la justice, l’association semble être à la veille d’une lutte de pouvoir entre les différents partis politiques présents en son sein. En effet, représentés par un grand nombre de militants à double casquette, associative et partisane, Annahj Addimocrati, le PADS, et le PSU sont, selon plusieurs militants, en train de se livrer bataille pour le contrôle de l’AMDH.

Interrogés sur la question, deux des dirigeants des partis concernés, à savoir Ahmed Benjelloun, secrétaire général du PADS et Mohamed Moujahid, son homologue du PSU, ont refusé de s’exprimer sur la question, estimant que l’association et les partis restent des structures indépendantes les unes des autres. En même temps, plusieurs voix au sein de l’AMDH accusent Annahj Aaddimocrati, le parti de Abdelhamid Amine et Khadija Ryadi, de chercher à dominer l’association, voire de lui imposer les positions du parti dans un certain nombre de domaines tels que la question du Sahara, l’affaire des excuses des autorités marocaines pour les exactions passées ou encore le statut de la culture amazighe.

Dans ces conditions, le président sortant, auquel certains reprochent d’avoir accaparé la présidence du congrès, est accusé par certains d’avoir privilégié les membres d’Annahj Addimocrati. Une militante, qui préfère garder l’anonymat même si elle n’est pas seule à formuler des critiques, ira jusqu’à accuser les militants d’Annahj de parachutage (inzal) . «Ils amènent des jeunes pour adhérer à l’AMDH avec une cotisation très faible. Parfois, ils paient même pour eux», accuse-t-elle. Selon cette militante, l’arrivée massive de membres d’Annahj dans l’AMDH, associée à l’abandon, lors du dernier congrès, de la commission des candidatures au profit du vote anonyme pour désigner les responsables, permet de privilégier le nombre de militants par rapport à leur qualité. «Au moment d’élire le bureau exécutif, ils ont l’avantage du nombre.

On dit que c’est de la démocratie, j’appelle cela de la démocratie mécanique ou manipulée», insiste-t-elle, soulignant que le processus écarte des cadres traditionnellement présents au sein de l’AMDH au profit de nouveaux arrivants, plus jeunes, et moins expérimentés, voire plus faciles à manipuler. «L’on voit par exemple monter dans une commission de l’enseignement un individu qui n’a jamais fait de recherche sur ce thème, ni étudié la réforme de l’enseignement, mais tout juste parce qu’il appartient à ce parti majoritaire», explique-t-elle, soulignant que l’association risque d’y perdre des compétences.

La présidente de l’AMDH laisse tomber sa casquette d’Annahj Addimocrati
«Il n’y a absolument aucune division, tout le monde est représenté dans la commission administrative et tout le monde est représenté au bureau central. Sans exception», tempère Abdelahmid Amine (voir entretien ci-contre) . «Nous avons une organisation qui est plurielle, pluraliste et il est donc tout à fait normal qu’il y ait des divergences, des discussions : nous avons une organisation démocratique, donc vivante», explique-t-il, soulignant que le changement de mode de scrutin a été choisi unanimement par le congrès. Pour lui «le bureau central a été élu démocratiquement par le vote à bulletin secret, il y a même eu concurrence pour la présidence.

Tout cela est donc à l’avantage de l’AMDH et pas autre chose», indique le président sortant de l’association. «Il faut vraiment revenir aux statuts de l’AMDH. On ne demande pas aux gens leur appartenance politique au moment de leur adhésion», ajoute de son côté la présidente Khadija Ryadi. Pour marquer le coup, cette dernière annonce d’ailleurs son intention de renoncer à sa place au secrétariat national d’Annahj Addimocrati tant qu’elle dirigera l’association.

«Quand on m’a proposé de devenir présidente, j’ai dit qu’il s’agirait d’une tâche très lourde, et qu’il faut donc que je sois déchargée de toutes mes autres responsabilités», indique Khadija Ryadi. «D’autant plus que, du point de vue moral, poursuit-elle, je préfère me limiter à un seul créneau, en l’occurrence l’Association des droits humains, et ne pas avoir trop d’activités politiques». La présidente insiste toutefois sur le fait que son sacrifice n’est nullement motivé par les accusations portées à l’encontre de son parti. Confrontée à une première épreuve quelques jours seulement après sa désignation, saura-t-elle éviter à l’AMDH une possible guerre intestine? Affaire à suivre


Investissement: Abdelhamid Amine, Président sortant de l’AMDH

La Vie éco: Selon plusieurs sources au sein de l’AMDH, le dernier congrès de l’association s’est caractérisé par un parti pris pour Annahj Addimocrati, qu’en est-il pour vous ?
Abdelhamid Amine : Le VIIIe congrès a été un exemple de démocratie dans notre pays. Allez demander en particulier aux représentant(e)s d’une douzaine d’organisations des droits humains et de la société civile venus des pays du Maghreb, d’Espagne, de France et d’Egypte, qui ont suivi le déroulement du congrès. Ils sont unanimes à considérer l’AMDH comme une école de démocratie. Demandez aussi l’avis des représentants d’organisations marocaines, et ils sont nombreux, qui étaient présents au congrès.

On vous accuse entre autres d’avoir offert l’AMDH à Annahj Addimocrati en facilitant l’adhésion de ses militants et en leur permettant de participer au congrès par divers moyens...
Primo, le congrès s’est déroulé dans les délais statutaires, ce qui n’est pas très habituel dans notre pays. Secundo, les élections des congressistes se sont déroulées dans les normes statutaires, de l’avis des 400 congressistes qui n’ont même pas soulevé cette question. Tertio, le congrès a adopté à la quasi-unanimité 19 documents très importants, parfois après des débats houleux, ce qui montre au moins une chose : il n’y avait aucune volonté de la part d’un courant - même majoritaire - d’imposer son point de vue aux autres.

Nous avons souvent préféré garder des questions en suspens et continuer à en débattre après le congrès plutôt que de trancher dans le vif avec ce que cela génère comme frustrations et mécontentements.

Notre démarche consiste à laisser mûrir le débat pour trancher après, de la manière la plus consensuelle possible, soit dans le cadre d’une réunion de la commission administrative, soit dans le cadre du prochain congrès.

Je vous donne pour exemple nos divergences, au sein de l’AMDH, sur la problématique de la Constitution ; lors du VIIe congrès, c’était une question conflictuelle. Lors du VIIIe congrès, et suite à nos débats durant les trois dernières années, c’est devenu consensuel. Je pense qu’un traitement similaire pourra aboutir à rapprocher les points de vue, notamment sur la question de l’officialisation constitutionnelle de la langue amazigh, pour laquelle une réunion de la commission administrative est prévue avant fin octobre, et la question du Sahara.

Quant aux divergences sur la laïcité (à savoir la revendication d’un Etat démocratique et laïc), ou sur les excuses que l’Etat devrait présenter concernant les violations graves des droits humains dont il est responsable, je pense que les divergences actuelles relèvent plutôt de l’ordre du subjectif et qu’elles finiront par se résorber, surtout si on garde à l’esprit que nous sommes une association qui a pour référentiel unique les droits humains dans leur universalité.

Pourquoi avoir choisi de changer le mode d’élection des instances du congrès ? Il se dit que vous avez cherché à profiter du fait que les militants d’Annahj étaient désormais majoritaires au congrès...
Pour le mode d’élection par vote uninominal secret, la critique est tout simplement sans objet, puisqu’il s’agit d’un choix unanime du congrès, suite d’ailleurs à une proposition des camarades congressistes du PADS. Et c’est tout de même bizarre qu’on puisse reprocher au congrès de choisir le recours au vote secret au lieu de la commission des candidatures, procédure suivie jusqu’à présent et qui a fait l’objet, à tort ou à raison, de nombreuses critiques par le passé.

Quant à l’accusation qu’on me fait d’offrir l’AMDH sur un plateau d’argent à Annahj Addimocrati, d’avoir facilité l’adhésion de ses militants à l’AMDH et leur participation au congrès, je pense qu’elle témoigne d’abord d’une méconnaissance totale des statuts de l’AMDH et de son règlement intérieur, qui sont limpides sur la question de l’adhésion et sur le choix des congressistes. Reste l’«offrande» de l’AMDH à un parti politique... Vous vous rendez compte du pouvoir que je devrais avoir pour réaliser cet «exploit», et du mépris ainsi affiché à l’égard de plus de 8 000 membres de l’AMDH y compris de ses membres adhérents à Annahj - dont le nombre ne doit même pas atteindre les 10% - et qui tiennent eux aussi, et par conviction, à l’indépendance de l’AMDH ?

Le fait que Khadija Ryadi, nouvelle présidente de l’AMDH, ait quitté le bureau politique d’Annahj suffira-t-il à calmer les esprits ?
Je pense que les esprits se sont déjà calmés, que la période du congrès et du post-congrès, avec ses turbulences, est terminée. La réunion de la commission administrative, le 6 mai, l’élection du bureau central, la répartition des tâches en son sein et le programme de travail en chantier montrent déjà que l’AMDH s’est remise au travail et, croyez-moi, nous avons beaucoup à faire pour participer efficacement à l’édification de l’Etat de droit et d’une société de citoyennes et de citoyens libres, égaux et solidaires.

Quant à la décision de notre présidente de démissionner de ses responsabilités au sein d’Annahj, je crois qu’elle est très bonne, même si je considère qu’elle ne sera pas suffisante pour faire face à toutes les critiques - surtout malveillantes - en matière de rapport du politique avec les droits humains.


Source: La Vie Eco

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