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La lourdeur des procédures d’inscription sur les listes électorales marocaines

La mobilisation pour assurer un vote plus important, lors des prochaines législatives bat son plein, y compris chez la société civile. Mercredi 24 janvier, Transparency Maroc et l’ONG européenne Democracy reporting international présentaient au public une «Evaluation du cadre pour l’organisation des élections», un rapport de 70 pages sur le vote au Maroc, accompagné de recommandations diverses.

Deux jours plus tard, l’OMDH co-organisait une rencontre sur le même thème. De son côté, le ministère de l’intérieur continue de travailler sur plusieurs éléments clés dont le découpage électoral. Pendant ce temps, à la DGSN, l’opération de distribution des cartes d’identité nationale a atteint sa vitesse de croisière. Lancée en décembre dernier par les ministères de l’intérieur et de la modernisation des secteurs publics, la campagne nationale de généralisation de la CIN, menée sur l’ensemble du territoire national, et essentiellement dans les zones rurales, aura permis du 4 décembre 2006 au 4 janvier la distribution de 447 185 cartes, l’objectif de l’opération étant de fournir des cartes à quelque 2,5 millions de personnes. L’opération devrait entraîner une hausse notable du nombre d’inscrits à l’instar de ce qui s’était passé en 2002, mais aussi en 1997.

Les électeurs, encouragés aussi bien par les médias que par les partis politiques, joueront-ils le jeu ? Iront-ils voter ? C’est finalement, là, la question centrale. Et étonnamment, en 2002, malgré une opération de généralisation de la CIN, un abaissement de l’âge du vote à 18 ans mais aussi par une certaine transparence, le taux de participation a été plus bas qu’en 1997. Les Marocains avaient-ils déjà trop perdu d’intérêt pour les élections ? Le choix du vendredi, date du vote par définition, y était-il pour quelque chose, d’autant plus qu’il coïncide avec la prière et qu’il n’est pas chômé ? Peut-être. En attendant, d’autres acteurs pointent du doigt l’administration elle-même.

Vers la mi-janvier, l’ouverture ordinaire de la liste électorale laissait place à l’affichage de la liste temporaire. Passée inaperçue, l’opération, en principe annuelle, est destinée à intégrer ou rayer de la liste les citoyens qui voteront pour la première fois cette année, ceux qui ont changé de circonscription, mais aussi les personnes qui pour une raison ou une autre ne pourront pas voter.

S’inscrire sur la liste, un marathon
Pour ceux qui n’ont pas encore pensé à s’inscrire, une autre ouverture des listes, extraordinaire cette fois-ci, est prévue conformément au texte de loi voté en décembre dernier par le Parlement. L’opération promet d’avoir un impact non négligeable. «Il n’y a qu’à voir les résultats de la révision exceptionnelle en 2002 pendant laquelle un million et demi de citoyens s’étaient inscrits. Cela signifie que toutes ces personnes n’avaient pas de carte d’électeur, et que sans cette révision, elles auraient été privées de leur droit de vote», explique Abdellah Harsi, professeur à la Faculté de droit de Fès et l’un des auteurs de l’évaluation de Transparency Maroc.

Selon la loi actuelle, l’électeur, âgé de 18 ans ou plus et qui ne se trouve pas sous le coup de l’une des incapacités prévues par la loi, peut choisir une circonscription qui corresponde à son «lieu de naissance, de résidence ou d’imposition, mais à une condition : il doit s’inscrire une seule fois et choisir un des trois lieux», explique Abdelkader Baïna, membre du bureau politique de l’USFP. Pour certains groupes d’électeurs, toutefois, la loi prévoit des exceptions, notamment dans le cas des MRE, habilités à voter dans leurs circonscriptions de naissance ou celles de leurs parents ou grands-parents, ou encore celui des fonctionnaires, lesquels peuvent s’inscrire dans la circonscription où se trouve leur lieu de travail, de même que leurs proches.

Jusque-là, le code marocain ne déroge pas aux critères internationaux dans le domaine : il comporte, néanmoins, un certain nombre de limites, notamment le fait que l’ensemble du processus repose sur les épaules de l’électeur. Ainsi, il revient à ce dernier de solliciter son inscription sur les listes électorales, vérifier son inclusion dans la liste provisoire, puis, le cas échéant, faire un recours si son nom n’y est pas publié, une opération qui peut le mener jusque devant le tribunal administratif. Autre point important, en cas de déménagement, les individus sont tenus de se rendre eux-mêmes à leur ancienne circonscription pour se faire radier de la liste, avant de s’inscrire dans la nouvelle. «S’il n’y a pas de recours devant le tribunal, la deuxième démarche consiste à retirer sa carte d’électeur, ce qui implique donc un deuxième déplacement», explique M. Harsi. Dans le cas contraire, la loi prévoit de lui donner accès à sa carte le jour même du scrutin, dans le bureau où le citoyen doit voter... sauf que ce dernier devra d’abord repérer le bureau de vote où sa carte a été déposée, sachant qu’il ne dispose pas d’un numéro de carte qui lui permettrait de trouver l’interlocuteur adéquat le moment venu... Toutes ces démarches restent à la portée d’un électeur particulièrement motivé et habitant dans une grande ville. Et encore !
Toutefois, c’est une autre paire de manche dans les campagnes où l’accès au transport est plus limité et cela d’autant plus qu’il n’existe que 7 tribunaux administratifs dans tout le pays. «Vous comprenez alors que les gens qui habitent loin peuvent être découragés par cette procédure», explique M. Harsi. Face à cette situation, plusieurs voix se prononcent pour que l’inscription des Marocains se fasse automatiquement, parallèlement à l’attribution des cartes nationales, quitte à retirer ensuite les individus frappés d’incapacité, les décès, et permettre aux électeurs de choisir leur circonscription, propose M. Baina. Une telle mesure augmenterait fortement le nombre de personnes inscrites sur les listes électorales. Le hic ? Tous les Marocains n’ont pas la CIN.

Toutefois, malgré la lourdeur des démarches imposées aux électeurs, l’administration sait aussi faire preuve de souplesse, notamment au niveau de la carte d’identité nationale, pièce maîtresse de l’inscription sur les listes. « Lorsqu’une personne ne dispose pas de la CIN, elle peut utiliser le livret d’état civil par exemple ou bien encore une carte professionnelle comprenant une photographie, ou encore un permis de conduire, un passeport ou toute autre pièce d’identité valable», explique M. Harsi. Tous les Marocains ont-ils accès à de tels documents ? « Les personnes qui ne disposent d’aucune pièce de ce genre peuvent se faire reconnaître par deux témoins, deux électeurs inscrits», indique-t-il. Cette ouverture reste inévitable dans la mesure où tous les Marocains en âge de voter ne disposent pas, en effet, d’une carte nationale. Toutefois, elle comporte aussi un risque dans la mesure où rien n’empêcherait un individu de s’inscrire dans plusieurs circonscriptions, voire de voter à plusieurs reprises de cette manière, ou encore de voter avec la carte électorale d’un autre, cette dernière ne comportant pas de photographie de son propriétaire... Face à ce genre de situation, le recours à l’outil informatique peut permettre de limiter les dégâts, en repérant les cas de double inscriptions, même s’il n’est pas parfaitement infaillible. En effet, il est toujours possible pour une personne de se présenter sous différents noms. « Après l’inscription, l’on fait un traitement informatisé des listes pour voir s’il n’y a pas double inscription. Toutefois, lorsque des individus s’inscrivent sans aucune pièce d’identité, uniquement avec le témoignage de deux électeurs, ils peuvent donner des noms différents. Du coup, s’ils veulent frauder, ils pourront voter deux fois. Même le traitement informatique n’est fiable que lorsqu’il y a une pièce d’identité avec un numéro, et c’est ce numéro unique qui va permettre de découvrir les cas de fraude», explique M. Harsi.

La CIN, seul document infaillible
Face à ce genre de situation, la principale garantie de transparence devient, une fois de plus, la carte nationale, cette dernière comportant un numéro unique attribué à la personne, et reporté sur ses différents documents d’identité. Seulement voilà, le recours à cette dernière ne peut pas être rendu légalement obligatoire dans la mesure où tous les Marocains n’en sont pas dotés, et le fait que des opérations de généralisation de la CIN aient déjà été menées en 1997 et 2002 montre qu’il est difficile de prétendre inscrire la totalité des personnes en âge d’avoir une carte nationale du jour au lendemain, même si cela est déjà le cas de la majorité. Cette situation a un impact par ricochet sur la liste électorale : malgré les défauts que cette dernière peut accumuler avec le temps, il est difficile de réinscrire 14 millions de Marocains à l’occasion de chaque opération électorale, mais tant que des populations importantes restent dépourvues de la carte, il n’est pas non plus possible de prétendre à une inscription automatique via la CIN...

Alors que faire ? L’équation est assurément difficile à résoudre surtout pour le ministère de l’intérieur qui doit en même temps faire en sorte que le maximum d’électeurs puissent aller aux urnes tout en évitant les fraudes, les doubles inscriptions...Sachant qu’en 2007, plus qu’avant, le Maroc a besoin de toutes les voix !

Trois questions à Abdellah Harsi : Co-auteur du rapport de Transparency Maroc sur les élections

La Vie éco : Peut-on se fier aux listes électorales telles qu’elles se présentent aujourd’hui ?
Abdellah Harsi : Il est toujours possible de récupérer des cartes d’électeurs décédés que les candidats avertis peuvent utiliser. Pour résoudre ce problème, il faut généraliser la carte d’identité nationale et l’imposer, car cette dernière comprend un numéro unique qui empêche les fraudes. Il faudrait également une révision générale des listes, qui annulerait les listes existantes et les reprendre depuis le début. Mais il paraît que cela prend du temps. Le gouvernement a donc décidé que ces dernières seront seulement révisées de façon exceptionnelle. D’un autre côté, puisque l’Etat a déjà fait un premier pas en disant que le vote est un devoir national, il peut aller plus loin en le rendant obligatoire et en prenant les mesures nécessaires pour rendre cette obligation effective. Autrement dit, toute personne détenant une CIN - encore faut-il la généraliser - et ayant l’âge requis serait inscrite d’office sur les listes, de manière à ne pas laisser le choix aux individus et alléger la procédure d’inscription. L’on obligerait ainsi les électeurs à aller voter, quitte à présenter un bulletin blanc.

Pourtant en 2002, malgré une opération de généralisation de la CIN, le taux de participation a été inférieur à celui de 1997...
Le problème de la mobilisation est lié à beaucoup de choses dont le contexte politique général. L’on peut penser d’abord que pour la carte nationale, l’opération de généralisation de la CIN doit être menée de manière continue. Elle ne doit pas être ponctuelle et saisonnière. Il ne faut pas attendre l’année électorale pour inscrire les gens. Bien sûr, cela demande des moyens mais c’est le prix de la démocratie, nous n’avons pas le choix.

Quels sont, selon vous, les problèmes à éviter pour 2007 ?
Concernant le déroulement de l’opération, il faudra des règles précises d’accès aux médias publics aussi bien pour les candidats partisans que ceux sans appartenance politique. Il faudra aussi inciter les gens à une moralisation des élections et la responsabilité sur ce plan revient aux partis qui présentent les candidats et qui dirigent l’opération électorale dans la campagne depuis le début. Le problème de l’argent peut également être contrôlé par les partis car ce sont eux qui reçoivent l’aide publique. Paradoxalement, la loi spécifie que c’est au candidat de présenter une déclaration devant la Cour supérieure des comptes. Il faudra donc traiter ces problèmes, prévoir des comptes pour les dépenses électorales, établir des règles d’égalité d’accès aux médias publics, utiliser les moyens audiovisuels pour sensibiliser les gens, et, bien entendu, faire en sorte que l’administration reste neutre, tout en sanctionnant les candidats qui fraudent.

Vide juridique: Et les handicapés ? la loi reste floue
Les personnes handicapées peuvent-elles voter ? Que se passe-t-il lorsqu’un électeur, atteint de cécité ou incapable de tenir le bulletin de vote entre ses mains désire accomplir son devoir de citoyen ? À ce niveau, la loi reste floue : « La loi reste générale et ne cite pas les cas. Elle spécifie que dans le cas des personnes handicapées qui trouvent des difficultés pour voter, les trois membres du bureau de vote, à savoir le président et les deux assesseurs, doivent leur apporter assistance, sans préciser de quel genre d’assistance», explique M. Harsi. «Va-t- on permettre à un membre du bureau d’entrer dans l’isoloir avec l’électeur handicapé et lui demander pour qui il veut voter, et voter à sa place ? Va-t-on permettre à quelqu’un de sa famille de l’accompagner pour voter à sa place ?», s’interroge-t-il. Dans les deux cas, cela implique obligatoirement une atteinte à l’un des piliers du vote : le secret. Toutefois, ne pas aider ces personnes touche aussi leur droit à participer aux élections.

Houda Filali-Ansary
Source: La Vie Eco

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