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Le Sarkoland à la mode marocaine

Candidat de la «rupture tranquille», Nicolas Sarkozy fait tout pour se démarquer de Jacques Chirac. Les deux hommes ont pourtant un point en commun : ils aiment le Maroc où le ministre français de l’Intérieur passe, lui aussi, du temps et possède ses réseaux…

En matière de présidentielles françaises, le Maroc «vote» traditionnellement à droite. Une droite qui a su lui rendre la politesse. Valéry Giscard d’Estaing et surtout Jacques Chirac ont toujours affiché un soutien indéfectible au royaume chérifien. Nicolas Sarkozy, candidat déclaré à la présidentielle, ne devrait pas déroger à la règle et présente de nombreux avantages pour le Maroc. Non seulement son parti, l’UMP, a largement de quoi financer sa campagne et, en tant que ministre de l’Intérieur, il travaille déjà avec les autorités marocaines sur des dossiers aussi importants que l’immigration, le terrorisme et le trafic de drogue. «Nicolas Sarkozy aime le Maroc. En plus de ses déplacements professionnels, il s’y rend souvent à titre privé. Il a aussi des amis au sein du gouvernement marocain, comme le ministre de l’Intérieur Chakib Benmoussa. Politiquement, il est convaincu qu’il faut associer les Etats de la Méditerranée à la politique européenne», s’enthousiasme ce député UMP sarkozyste. Brosse à reluire ? En partie seulement tant il est vrai que les séjours répétés de Nicolas Sarkozy au Maroc témoignent de son attachement pour le royaume. Il a une préférence pour Marrakech et aime d’ailleurs séjourner à la Mamounia, comme le raconte, amusé, ce journaliste : «En mars 2005, il a inauguré l’Alliance franco-marocaine d’Essaouira (dont le président d’honneur est André Azoulay). Il était logé dans ce palace tandis que le reste de la délégation était au Sofitel».

Pour le Maroc, Nicolas Sarkozy n’hésite pas non plus à donner de sa personne, comme lors de cette halte surprise à Marrakech en mai 2006. " Nous revenions en France après une tournée au Mali et au Bénin lorsque les Marocains nous ont demandé de faire escale chez eux puisque nous survolions leur territoire. Cela n’était pas du tout prévu. Le ministre a finalement passé une journée et une nuit sur place où il a rencontré des officiels ", continue le député UMP. Parmi ces contacts, Fouad Ali El Himma et Chakib Benmoussa. De quoi ont-il parlé ? Du juge Ramaël qui s’entête dans l’affaire Ben Barka ? " Une chose est sûre, ce n’était pas d’immigration sinon j’aurais assisté à la réunion ! ", s’exclame le député.

Les échos d’un autre voyage de Nicolas Sarkozy montrent qu’il se sent comme chez lui au Maroc. Le 5 avril 2005, il envoie à Mehdi Qotbi (par ailleurs à " tu et à toi " avec Dominique de Villepin) une courte lettre de remerciements pour lui avoir organisé un séjour des plus agréables. " Je souhaitais vous remercier dès mon retour à Paris pour votre aide précieuse pour l’organisation de ma récente venue au Maroc. J’ai été sensible aux efforts que vous avez déployés à cette occasion et je vous en suis très reconnaissant ", pouvait-on y lire. Lorsque Mohammed VI le reçoit en octobre 2006 au Palais de Casablanca, la séance est plutôt chaleureuse comme l’a raconté l’hebdomadaire Jeune Afrique, particulièrement bien en Cour : " à peine installé, le ministre français de l’Intérieur a lancé au roi : " Majesté, je suis venu recueillir vos recommandations ". Le monarque l’interrompt prudemment. " Je n’ai pas de recommandations à vous faire. Tout au plus vous donnerais-je quelques conseils… "

Si Nicolas Sarkozy aime se rendre au Maroc et rencontrer ses dirigeants, il ne sillonne pour autant pas le royaume comme deux de ses prédécesseurs de droite au ministère de l’Intérieur, messieurs Charles Pasqua et Jean-Louis Debré. En janvier 1994, le premier n’a pas hésité à passer cinq mystérieuses heures à Laâyoune pour y rencontrer son homologue saoudien, le prince Naïef ben Abdelaziz. Le Quai d’Orsay s’en était à l’époque ému par la voix de son porte-parole, Catherine Colonna, qui avait cru bon de préciser la position officielle de la France en 1994, au sujet du conflit du Sahara occidental : " la France soutient et a toujours soutenu les efforts du secrétaire général des Nations Unies et de son représentant (…) en vue de parvenir à la mise en œuvre du plan de paix de l’ONU à travers l’organisation d’un référendum d’autodétermination dès que possible. " Quant au second, Jean-Louis Debré, trois mois à peine après sa nomination à la place Beauvau, en juin 1995, il co-organise à Rabat avec son homologue Driss Basri un sommet des ministres de l’Intérieur de Méditerranée occidentale consacré au trafic de stupéfiants et aux moyens de l’enrayer. Rédigé par le duo Basri-Debré, le communiqué final de cette réunion prend de façon très étonnante le contre-pied d’un retentissant rapport commandé par l’Union européenne à l’Observatoire géopolitique des drogues (OGD). Le texte de D. Basri et de J-L. Debré considère en effet que la présence avérée au Maroc de drogues dures (héroïne et cocaïne) n’était pas la marque d’une implantation de réseaux mafieux au Maroc afin d’irriguer le grand marché européen comme le spécifiait l’OGD mais d’une «volonté de réseaux mafieux internationaux de développer un nouveau marché au Maroc». Une aberration tant les experts en trafics de stupéfiants sont clairs sur ce point : l’ouverture de voies de transit de drogues dans un pays s’accompagne toujours d’une montée de la consommation locale mais cela ne constitue nullement l’objectif de ses promoteurs…

Les «Sarko boys and… girls»
Pour soigner ses bonnes relations avec le Maroc, Nicolas Sarkozy peut compter sur ses réseaux relationnels particulièrement développés. Son entourage professionnel le plus proche d’abord. Composé de jeunes «Sarko boys and girls», il compte au moins deux personnes-clés qui ont des liens avec le royaume. La première est Rachida Dati. D’origine marocaine, ancienne collaboratrice de Lagardère et du groupe Elf, magistrate, elle est conseillère au ministère de l’Intérieur. Elle a très tôt choisi le camp de l’actuel ministre de l’Intérieur «parce que c’est lui» et ne ménage pas ses efforts pour ramener du beau monde dans le giron de «Sarko». Son dernier fait d’armes et non des moindres ? Avoir convaincu le patron du groupe Véolia, solidement implanté au Maroc bien qu’en délicatesse avec le Pouvoir, Henri Proglio, de basculer dans le camp des sarkozystes. Selon le magazine satirique en ligne www. bakchich.info, Rachida Dati est parvenue à ses fins en organisant un tête-à-tête discret entre le ministre et l’industriel. «Selon des proches, ce dernier aurait reçu des assurances : une fois Nicolas Sarkozy installé à l’Elysée, Proglio succéderait à Bercy (ministère de l’Economie) à Thierry Breton». Dire qu’il y a moins d’un an, ce chiraquien se répandait en médisances sur le ministre de l’Intérieur dans les dîners parisiens… Au niveau du patronat français, largement acquis à sa cause, Nicolas Sarkozy dispose en outre du soutien d’autres chefs d’entreprises-clés dont les sociétés sont bien implantées au Maroc (cf. encadré). C’est par exemple le cas des Pdg des groupes Accor, Axa, Bouygues, Dassault, Caisse d’Epargne, Lagardère pour ne citer qu’eux.

S’il y en a un sur qui Nicolas Sarkozy peut s’appuyer en toutes circonstances, c’est bien son fidèle lieutenant et «porte-flingues» attitré : Brice Hortefeux, ministre délégué aux Collectivités territoriales, qui ne rechigne pas à dépanner le Maroc quand il le faut. Fort de sa fonction ministérielle, en décembre 2005, Hortefeux n’hésitait pas à relayer auprès de deux maires de gauche une demande pressante de l’Ambassade du Maroc en France au sujet du Sahara occidental. Celle-ci appréciait fort peu en effet que les villes du Mans et de Gonfreville l’Orcher (Seine-Maritime) arborent des drapeaux sahraouis en raison de leur jumelage avec les campements de Tindouf.

Réseaux sous-terrains
En ce qui concerne le Maroc, Nicolas Sarkozy peut aussi s’appuyer sur certains Français bien connus dans les milieux marrakchis. C’est par exemple le cas de l’ancien maire de Grenoble, Alain Carignon, à qui Sarkozy a donné sa chance après ses déboires avec la justice et qui passe le plus clair de son temps à Marrakech. Selon des députés UMP, c’est aussi le cas de Paulette Brisepierre, 90 ans, sénatrice UMP représentant les Français établis hors de France. «Reine mondaine» de Marrakech, elle y possède une somptueuse résidence où il lui arrive d’organiser des cocktails pour le groupe d’amitiés France-Maroc de l’Assemblée nationale. Dès qu’il s’agit de défendre le royaume chérifien et la marocanité du Sahara occidental, Mme. Brisepierre n’hésite pas non plus à y aller d’un petit mot sympathique. Dans une interview accordée au site Internet du Sénat français en octobre 2006, elle déclarait que jusqu’à la colonisation, «cette portion du Sahara faisait partie intégrante du territoire marocain». Elle estime aussi que «quand les Marocains ont repris cette partie du Sahara, il n’y avait rien. Aujourd’hui, vous avez plusieurs centrales électriques, des usines de désalinisation de l’eau de mer, plusieurs ports de pêche… À Dakhla, un môle de commerce est en cours de construction qui sera un des plus grands d’Afrique. Les Marocains ont totalement transformé et aménagé cette région autrefois désertique. Cela explique le fait que d’autres pays en aient aujourd’hui envie. Mais c’est aussi la raison pour laquelle les Marocains y sont plus attachés aujourd’hui qu’autrefois».

À en croire certaines personnalités de droite, Nicolas Sarkozy pourrait aussi compter sur Michel Roussin. À prendre avec des pincettes toutefois tant l’homme se fait discret et préfère se consacrer au business plus qu’à la politique. Ancien officier supérieur de la gendarmerie, Michel Roussin a été le directeur de cabinet d’Alexandre de Marenches, directeur du SDECE (ancêtre de la DGSE) jusqu’à l’élection de Mitterrand à l’Elysée en 1981. Il a aussi été le directeur de cabinet de Jacques Chirac à la mairie de Paris, ministre RPR de la Coopération, président du comité Afrique du MEDEF (équivalent français de la CGEM) et délégué de la francophonie à la Mairie de Paris. Aujourd’hui vice-président du groupe Bolloré pour l’Afrique, Roussin a été mis en examen dans plusieurs affaires de financement occulte du RPR, incarcéré un temps, avant de bénéficier de plusieurs non-lieux. Si Michel Roussin est effectivement en train de se rapprocher de Nicolas Sarkozy, ce n’est pas le Maroc qui s’en plaindra. Né à Rabat, Roussin a étudié au lycée Lyautey avec… André Azoulay. «Au fil des années, ils ont gardé le contact. Je me souviens qu’en décembre 1986, Michel Roussin avait affrété un bateau et convié tous ses anciens camarades de Lyautey à remonter le fleuve Sénégal. À la dernière minute, il n’a pas pu les rejoindre mais Azoulay était bien là et l’ambiance très conviviale», se souvient notre fin connaisseur de la droite qui s’empresse d’ajouter : «dans un autre registre, il me semble bien que l’ancien ambassadeur de France au Maroc, Philippe Faure, cherche à se rapprocher de Nicolas Sarkozy. Lorsqu’il était en fonction à Rabat, il organisait les déplacements professionnels du ministre de l’Intérieur au Maroc. Il a récemment été nommé secrétaire général du Quai d’Orsay et rend quelques services à Sarkozy». Une pratique certes répandue dans le microcosme des diplomates de haut niveau qui, en période électorale, ont tout intérêt à avoir plusieurs fers au feu s’ils ne veulent pas se retrouver sur le bas-côté. Mais l’anecdote concernant Philippe Faure se révèle savoureuse quand on sait qu’il est devenu secrétaire général du Quai d’Orsay grâce à Dominique de Villepin qui exècre Nicolas Sarkozy…

Source: Le Journal Hebdomadaire

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