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L’Etat marocain et le contrôle du discours religieux

Le Ramadan s’est achevé, et, avec lui, la saison des communions religieuses. Il faut reconnaître que celui de cette année aura été mouvementé. L’on retiendra, entre autres, la colère des oulémas marocains à la suite de la publication d’une fatwa de la star de l’émission d’Al Jazeera «A’ charia wal hayat», cheikh Youssouf Al Qaradawi, concernant le recours au prêt à intérêt au Maroc. L’on retiendra également que plusieurs voix, au Maroc même, se sont élevées soit pour défendre Al Qaradawi face aux autorités religieuses nationales, soit (et La Vie éco en fait partie) pour leur reprocher de ne jamais avoir pris de position sur le sujet.

Au lendemain des attentats du 16 mai 2003, l’Etat a tenté de mieux canaliser le discours religieux. Mais, plus de trois ans après, peut-il prétendre bien contrôler le discours religieux sur son territoire ? Quelle est l’influence réelle du discours officiel au Maroc dans ce domaine et qui sont ses concurrents ?

Deux ans après une restructuration imposante du ministère des habous et des affaires islamiques, les quel-que 35 000 mosquées officielles du Maroc sont aujourd’hui gérées par une direction unique, qui les suit depuis le stade de l’autorisation de construire jusqu’à celui des prêches. «Avec les changements, nous avons besoin de passer de la régulation par la tradition à une régulation par la loi», souligne-t-on au ministère. Et d’ajouter : «Nous créons des structures, des dispositifs et des mécanismes pour cette intégration. Nous sommes passés de la communauté des oulémas, qui était une affaire de machiakha informelle, à des conseils régulés et instaurés par la loi. Les mosquées, leur gestion, la désignation des imams, tout cela devient une affaire de lois et de procédures: nous ne bousculons pas le système mais nous le renforçons».

Du verrouillage total au semi-verrouillage
Ainsi, dans la pratique, les mosquées privées officiellement recensées sont gérées avec autant d’attention que celles qui ont été construites aux frais de l’Etat, tout écart entraînant une intervention du ministère, que ce soit au niveau de leur gestion ou des prêches. Toutefois, la restructuration ne se limite pas au simple aspect logistique. Ainsi, les nouvelles mosquées construites chaque année se voient attribuer des imams qui ont obtenu l’aval du Conseil des oulémas en passant un examen non lié au diplôme de l’Etat. Au-delà, après le lancement du cursus de formation des imams et morchidates et la publication, pour ceux qui sont déjà en place, d’un guide rappelant les bases du métier, le ministère s’apprête aujourd’hui à publier un nouveau livre, destiné cette fois à servir de référence aux prêcheurs pour la rédaction de leurs sermons. L’usage du document est facultatif, insiste-t-on au niveau du ministère, la rédaction des prêches continuant d’être entièrement libre, sauf dans des cas exceptionnels comme lorsque, à l’occasion d’une campagne nationale contre la mendicité ou les accidents de la route, un discours leur sera carrément envoyé par les soins du ministère.

En fait, ce renforcement de la présence de l’Etat dans le discours religieux n’est pas récent. Implicite à ses début, la prise en charge du service religieux par l’Etat au Maroc allait connaître ses balbutiements vers la fin des années 1960. Toutefois, une succession d’incidents allaient accélérer le rythme des réformes : création de la Chabiba islamia en 1973, lettre du Cheikh Yassine à feu
Hassan II en 1974, assassinat d’Omar Benjelloun en 1976, révolution iranienne en 1979... Ces évènements et d’autres de moindre importance médiatique allaient amener l’Etat à entamer une prise en main des oulémas à partir des années 80. «Jusque dans les années 70, les oulémas relevaient de ce qu’on pourrait appeler la sphère privée. Ils étaient organisés dans une espèce de syndicat, la Ligue des oulémas du Maroc, une sorte de corporation ou de groupe où ils faisaient leur propre police», explique le politologue Mohamed Tozy. Progressivement, ils allaient être regroupés dans le cadre d’un Conseil supérieur, chapeauté par le Roi en sa qualité d’Amir Al Mouminine. Par ailleurs, un service spécialisé allait être créé au sein du ministère de l’intérieur pour assurer le suivi des discours dans les mosquées, et ces dernières allaient même être fermées en dehors des heures de prière.
Dans ce contexte, explique le politologue Mohamed Darif, qui s’apprête à publier un livre sur le sujet, le champ religieux allait être complètement verrouillé quand même. Une fermeture qui allait donner libre cours au conservatisme profondément enraciné dans la tradition marocaine.

Un rayon vide au supermarché de la religion
En 2000, l’arrivée du Roi Mohammed VI au pouvoir allait introduire un changement de style avec une réouverture des mosquées et le retour à leur rôle éducatif. Parallèlement, le discours religieux commence à sortir de la mosquée. En effet, l’arrivée de la radio Mohammed VI du Coran, de la chaîne Assadissa, ainsi que la formation d’imams et mourchidates, nouvellement formés par l’Etat, permet désormais à ce discours officiel d’investir d’autres canaux de communication, pour aller à la rencontre des citoyens jusque dans les hôpitaux ou les prisons. «Le gros changement qu’il y a eu au niveau de la politique de Mohammed VI, c’est que l’on table aujourd’hui sur les prêcheurs et non pas seulement sur les imams qui dirigent la prière, ce qui signifie en quelque sorte que le champ de préoccupation de la monarchie s’est élargi», indique Mohamed Darif. En effet, si une attention particulière semble avoir été portée à la formation de ces prêcheurs, tous n’ont pas le même profil : si les imams et mourchidates nouvelle version ont des licences en poche en plus du diplôme de l’Etat, certains prêcheurs sont des salafistes traditionnels, d’autres des islamistes voire des proches du MUR, selon M. Darif.

La raison ? «Pour crédibiliser cette politique religieuse, il y a cette ouverture sur d’autres acteurs car le souci actuel de la monarchie est de trouver un moyen de rapprocher le discours religieux officiel du discours religieux populaire», explique-t-il. Pour lui, finalement, «notre champ religieux est aujourd’hui semi-verrouillé car il est fondé à la fois sur ce mécanisme de monopolisation et un mécanisme d’ouverture à d’autres acteurs religieux».

Pourtant, malgré tous ces changements, l’offre de l’Etat est loin de répondre aux besoins existants. Sur le terrain, le ministère des habous peine parfois à suivre une urbanisation galopante, amenant les populations de certains quartiers à recourir à des mosquées informelles, qui posent problème surtout depuis les évènements du 16 mai. «Le problème au Maroc est qu’on parle systématiquement de la mosquée comme d’un instrument d’encadrement religieux», explique Mohamed Darif . «Il s’agit alors d’éviter ou de priver les concurrents religieux de l’Etat de la possibilité d’endoctriner la population». Petit souci : ces acteurs hostiles à la politique religieuse de l’Etat ont d’autres moyens de recrutement...

Au-delà des mosquées, les critiques touchent également les médias. Certes, la nouvelle chaîne coranique est encore trop jeune pour qu’on en fasse un bilan véritable, mais ce n’est pas le cas des deux chaînes nationales, TVM et 2M en l’occurrence, auxquelles certains reprochent l’existence de contradictions entre leurs programmes, un manque de vision, voire, parfois, des prises de position hostiles aux religieux. La situation est d’autant plus difficile qu’elles ont en face d’elles une concurrence sévère.

Elles s’appellent Iqra’a, Arrissala, Majd, Al Jazeera... Ce sont des chaînes satellitaires, plus ou moins spécialisées en la matière, et qui ont envahi le petit écran grâce à la parabole. Suivant de très près l’actualité dans le monde arabe, elles attirent leurs spectateurs à coups de téléprédicateurs, de talk-shows, et d’émissions variées. Dans la rue, des CD et DVD pirates sont là pour souligner leur influence. Disponibles à des prix presque symboliques, ces derniers reprennent certains programmes de ces chaînes. D’un autre côté, Internet a beau avoir fait une entrée discrète dans nos mœurs religieuses, son influence n’en n’est pas moins stratégique : via les multiples banques de fatwas disponibles sur le net, les fidèles ont non seulement accès aux avis de spécialistes reconnus du monde musulman mais peuvent aussi les interroger en toute discrétion. Pas étonnant alors que les Marocains soient les premiers visiteurs d’un site connu comme IslamOnline qui, ironie du sort, a été mis en place avec le soutien d’un certain Youssouf Al Qaradawi...

Un discours fade et éloigné des préoccupations du citoyen
Toutefois, tout n’est pas rose pour ces nouveaux médias. «Le problème est que, même dans ces nouvelles chaînes, le discours traditionnel est toujours dominant, car les médias donnent aux téléspectateurs ce qu’ils veulent entendre», explique Mustapha Bouhandi, professeur en religions à l’université des lettres de Ben Msik, qui invite à voir qu’au-delà de la modernité technologique de ces nouveaux médias le contenu reste souvent dépassé. Malgré cela, un phénomène surprenant se produit. «Les Marocains épouvrent un besoin qui n’est pas satisfait par la production marocaine, quel que soit son support, y compris électronique», souligne Mohamed Yatim, député PJD et spécialiste de la question. «Ils vont donc voir ailleurs, et parfois même, dans ces chaînes, ils vont chercher des experts marocains parmi ceux qui sont proposés. Mais avant d’en arriver là, pourquoi est-ce qu’ils ne les trouveraient pas d’abord sur les chaînes régionales ?», s’interroge-t-il.

Ainsi, la production marocaine est boudée face à la production internationale, même si cette dernière est finalement prisée par le public, entre autres pour avoir accès à des experts marocains... Certes, une dose de méfiance envers un discours considéré comme dépendant du pouvoir n’est pas à exclure, pour expliquer ce phénomène, mais est-ce vraiment la cause de cette situation ? A regarder les supports nationaux de plus près, l’on reproche aux prédicateurs marocains le recours à des discours fades, en décalage avec l’actualité, trop éloignés des préoccupations quotidiennes de leurs ouailles pour retenir leur attention. «Si les citoyens trouvent le discours froid, sec, impersonnel, éloigné de leurs préoccupations, parfois, même la khotba du vendredi perd de sa crédibilité et les gens vont voir ailleurs», prévient M. Yatim, qui insiste sur le fait que les imams devraient traiter davantage de thèmes proches de l’actualité, et bénéficier d’une liberté totale dans le cadre de la responsabilité. Mohamed Tozy, lui, va plus loin en insistant sur la nécessité pour les imams de trouver un équilibre entre «rébellion» et service de l’Etat, qui leur permettrait de gagner en crédibilité vis-à-vis des citoyens.

Mais, apparemment, tout n’est pas perdu. Car, malgré leur grand retard et la concurrence, les prédicateurs marocains n’ont pas encore été totalement évincés du discours religieux dans le pays, et ils ont même leur place dans la scène religieuse musulmane en général. Sauront-ils s’adapter pour survivre ?

Cyberislam : Les e-marchés de la fatwa

Ils s’appellent «IslamOnline.net», «islamophile.org » ou tout simplement « islam.com » et leur nombre ne cesse de grandir à travers la toile. En les visitant, rien d’impressionnant a priori. Sur les premières pages, l’on retrouve les thématiques habituelles : des présentations de l’islam et de son histoire, des dossiers traitant de l’actualité comme l’affaire des caricatures du Prophète, ou encore la place des musulmans dans la charte européenne (sic !), Islamonline allant jusqu’à proposer une section «euromusulmans », regroupant des articles publiés en Grande-Bretagne sur la vie de la communauté dans ce pays. Quelques clics de plus, et c’est un autre monde que l’on retrouvera dans le forum d’islam.com : conversations et échanges d’insultes, un internaute au goût particulièrement douteux ayant même posté la liste des sites où il est possible de visionner les décapitations en Irak...

Quelques sauts de souris plus tard et nous voici au niveau des fatwas, sur islamonline. La section «fatwa live» est déserte pour le moment, mais la banque de «fatwas» est accessible, et l’on a le choix entre un classement par thème ou par mufti.
Certains sujets sont plutôt triviaux - le vinaigre de vin est-il halal ? Est-il haram de se brosser les dents pendant le jeûne ? -, d’autres surprenants car traitant de thèmes liés à un mode de vie très moderne, et particulièrement en dehors des pays musulmans. Quelques exemples : est-il approprié d’étourdir les animaux par électrochoc avant leur abattage ? Est-il approprié de publier des informations sur le net sans les vérifier ? Parmi ces thèmes, aussi, la sempiternelle question de la riba et du recours à l’emprunt à taux d’intérêt revient sous différentes formes, et les réponses divergent : ici, un expert donne son plein aval d’autant plus qu’il s’agit de l’achat d’un logement; là, un autre refuse qu’une association en fasse de même pour construire un centre islamique à l’étranger.

Quant aux internautes, ils peuvent chercher des réponses à leurs questions dans les fatwas déjà publiées, tout comme ils peuvent exposer leur problème, via un pseudonyme s’ils le désirent. La réponse, qu’elle vienne d’Al Azhar ou de New York, ils la recevront peu de temps après et, avec un peu de chance, elle sera non seulement postée sur le net avec les précédentes mais aussi traduite vers d’autres langues pour publication sur des sites apparentés.

Bien entendu, les réponses peuvent être très variées : sur le même site, un mufti conseille vivement à une femme le port du «niqab» (voile couvrant le visage), deux clics plus tard, un autre déconseille tout aussi vivement à une étudiante de le faire non seulement car il risque de la gêner durant son travail, mais aussi parce que son port n’est cité nulle part dans les textes sacrés... Plus loin, l’on retrouve un dossier récusant, hadith à l’appui, la thèse selon laquelle les femmes peuvent être battues. Rassurants, les sites islamiques sur le net ? Pas forcément : étant donné la diversité des positions exprimées, il s’agit avant tout d’un grand marché à la fatwa où rien n’empêche les internautes de choisir celles qui confirment ce qu’ils pensaient déjà ...


Trois questions à Mohamed Tozy, Politologue

La Vie éco : Sommes-nous en train d’assister à un renforcement du contrôle du discours religieux au Maroc ?
Mohamed Tozy : Il ne s’agit pas de renforcer le contrôle. Le culte est un service public de l’Etat. Dans cette situation, ce dernier a une vision de la religion. L’Etat gère et construit les mosquées, à la limite ce serait comme un prolongement naturel qu’il décide de ce qui s’y dit. Toutefois, est-ce qu’il y réussit ? L’Etat a-t-il pu aboutir à une politique religieuse et à la faire appliquer par les fonctionnaires religieux ? Je ne pense pas qu’il y arrive, parce que, d’un côté, les oulémas, même avec toute la bonne volonté du monde, ne pourront donner que ce qu’ils ont, soit un islam conservateur, traditionnaliste, assez proche de l’islamisme voire du salafisme, et qui peut facilement devenir fondamentaliste. On ne leur a enseigné ni la philosophie ni les sciences sociales pour qu’ils soient en phase avec la demande. Par ailleurs, le «âalim» est un fonctionnaire mais, pour survivre, il faut qu’il arrive à être crédible pour satisfaire la société. Du coup, il doit être quelque part autonome, frondeur, en sédition contrôlée, et c’est un dosage entre l’autonomie par rapport au pouvoir et le service de ce dernier que les oulémas n’arrivent pas à assumer actuellement. Quand on leur demande de s’aligner sur les thèses officielles, ils deviennent des vassaux, des suivistes. Dès qu’on leur lâche la bride, ils deviennent des opposants. En fait, le pouvoir cherche un équilibre avec des intellectuels organiques, traditionnels qui soient autonomes, mais qui en même temps servent le projet de réforme politique et religieuse que le système est en train de mettre en place.

Mais comment le faire avec la concurrence des prédicateurs orientaux via les nouvelles technologies ?
C’est effectivement un autre facteur qui vient compliquer la donne pour tous les pays : aujourd’hui, aucun pays ne peut promouvoir un islam national parce que, justement, nous assistons à une sorte de déterritorialisation de l’islam. Mais en même temps, il est vrai que nous assistons à un élargissement important du spectre de l’offre religieuse. Toutefois, dans ce mouvement de mondialisation du discours religieux, il reste de la place pour le discours local, tout comme il en reste une pour la culture ou la nourriture locales. Jamais la «harcha» n’a été autant convoitée que lorsqu’il y avait le hamburger à côté. Il est vrai que le niveau national est en crise, mais le local est fort. Ainsi, cette possibilité, cette niche locale subsiste, mais les gens qui auraient pu l’occuper s’en sont détournés : ce sont les islamistes modérés, qui ne veulent plus faire de théologie, qui ont délaissé ce créneau qui consiste à répondre aux angoisses des gens sur le plan religieux. Ce créneau est vide, et les clercs du pouvoir n’arrivent pas à le combler correctement, non pas parce qu’ils n’en ont pas l’intelligence, mais parce qu’ils n’ont pas la capacité ni le culot nécessaire pour le faire, dans une juste mesure. La sortie récente des oulémas par rapport à ce qu’a dit Qaradawi est intéressante dans ce sens, car elle leur fait quand même toucher du doigt
le défi qui se profile à l’horizon, et qui consiste à évoluer dans un environnement concurrentiel.

Autrement dit, la mondialisation a permis l’apparition d’un supermarché du religieux où il faudra se battre pour «vendre» le produit marocain...
Oui, et dans ce «marché», «khobz el blad» a sa place. Il doit la défendre, ne serait-ce que par rapport à l’usage de la darija qui lui donne un avantage comparatif face aux discours d’un Quaradawi. C’est un peu la logique islamique de la mondialisation : une cohabitation tendue, mais une cohabitation quand même est possible entre le local et le global. Quant au national, il est «cuit».


Mondialisation islamique à Derb Ghallef

«Le Saint Coran, lu par le cheikh Omar Al Kazabri», «Silsilat Al Akhlaq» par le professeur Amr Khaled, «Explications du Saint Coran», par Fatah Kadir,
Al Bidaoui et Al Kourtoubi. Certains côtoient des utilitaires Windows ou des programmes de traduction, d’autres sont posés bien à plat pour attirer le regard du chaland. A quelques mètres de la mosquée de fortune du marché aux puces de Derb Ghallef, à Casablanca, les étalages des marchands de CD affichent un contenu sensiblement plus religieux que les autres et le client a largement le choix : pour une somme modique, 4 à 7 dirhams seulement, il peut s’offrir un Coran entier, psalmodié par une voix d’adulte ou d’enfant, marocaine ou saoudienne, au choix. Le format MP3 est disponible aussi, ainsi que des programmes télévisés - parfois traduits en plusieurs langues, s’il vous plaît -, et parmi lesquels l’on remarquera une percée de ceux d’«Assadissa». En revanche, les cassettes audio et les livres, il y a quelques années tellement nombreux aux abords des mosquées, se font de plus en plus rares. Arrivés de façon massive dans les années 1980 et 1990 d’Arabie Saoudite, ces petits ouvrages de tendance wahhabite ont été réimprimés au Maroc pendant des années malgré leurs prix purement symboliques. Surveillés de près depuis les attentats du 11 septembre, ils ont laissé place aux CD et DVD, à la production certes beaucoup plus souple, mais dont la circulation est bien plus difficile à gérer.


Star system: Omar El Kazabri toujours à la page

«Vous voulez acheter le Coran sur CDrom ?», demande ce chauffeur de taxi. «Essayez donc celui d’Omar El Kazabri. J’aime particulièrement la Sourate de la vache : non seulement elle est très agréable à écouter, mais en plus, elle chasse automatiquement les jnoun de la pièce». On peut être d’accord ou pas concernant le traitement à accorder aux démons squatteurs, mais ce qui attire l’attention avant tout, c’est le nom de l’imam de la mosquée de Casablanca. Cette année encore, cet ancien prédicateur du quartier Oulfa, formé en Arabie Saoudite, a récidivé en attirant par milliers les fidèles pour les prières des «taraouih» du mois de Ramadan. Au-delà, le choix de la chaîne «Assadissa» de diffuser ses taraouih tout au long du mois de Ramadan semble déjà avoir rencontré du succès : à Derb Ghallef, baromètre inévitable en la matière, l’on retrouve déjà dans les bacs la collection complète de ses taraouih, même si la qualité n’est pas toujours au rendez-vous. Détail intéressant, Omar El Kazabri est un salafiste traditionnel modéré, formé en Arabie Saoudite. A-t-il réussi à atteindre cet équilibre idéal entre fronde et service du discours officiel dont parlait M. Tozy ? Peut-être. En attendant, son succès est surtout révélateur de la capacité de mobilisation que peut avoir l’islam version Maroc auprès des Marocains


Focus: Al Qaradawi, Tantaoui, Amr Khaled et les autres...

Une fois de plus, c’est par «Attajdid», que le scandale est arrivé. Dans son édition du 10 septembre dernier, le quotidien du MUR avait publié une fatwa du cheikh Youssouf Al Qaradawi «donnant le droit» aux Marocains d’acheter leur logement à crédit. Né en 1926, l’actuel président du Conseil européen pour la fatwa et la recherche est un ancien proche du leader islamiste Hassan Al Benna, qui a connu la prison à l’époque de la monarchie égyptienne. Aujourd’hui essentiellement connu pour son émission sur la chaîne Al Jazeera, «A’charia wal Hayat», il garde une influence notable sur IslamOnline, un site web qu’il a contribué à mettre en place dès 1997 et particulièrement prisé par nos compatriotes au point que, selon certains, le site du ministère des habous s’en serait en partie inspiré.

Connu pour ses opinions qui touchent aussi bien la vie quotidienne que les grands évènements politiques, le prêcheur a beau être populaire du Maroc jusqu’en Indonésie, ce n’est pas la première fois que ses fatwas suscitent la colère. De la participation des femmes bahreïnies aux élections municipales en 2002 à la résistance à l’encontre des Américains en Irak en passant par la destruction des statues des Bouddha de Bamyan, Al Qaradawi a touché une série de thèmes controversés. La dernière fatwa, formulée à l’occasion de la guerre du Liban, l’avait amené à contredire le cheikh saoudien Abdullah Bin Jabreen, lorsqu’il a soutenu que les Sunnites étaient autorisés à soutenir ou prier pour les Chiites du Hezbollah dans leur lutte contre Israël et appelé les Sunnites et Chiites en Irak à cesser de s’entretuer. Son style reste différent de celui, très BCBG, d’Amr Khaled qui, de l’Egypte au Maroc, a su séduire les classes moyennes, voire bourgeoises, malgré son discours très conservateur ou encore de celui de cheikh Tantaoui, haute autorité d’Al Azhar, particulièrement cité au Maroc concernant la capacité des femmes à diriger la prière. Loin d’être critiqué par les autorités, ce dernier a été cité, il y a quelques mois, dans la mise au point des autorités religieuses marocaines concernant le rôle des mourchidates, ce qui montre que nos oulémas ne sont pas toujours si allergiques que cela à l’influence des voix étrangères dans le pays

Houda Filali-Ansary
Source: La Vie Eco

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