Menu

La question des enclaves de Sebta et Mellilia

La Grande-Bretagne et l'Espagne coopèrent à Gibraltar, en sera-t-il de même pour le Maroc et l’Espagne ? Les enclaves de Sebta et Mellilia sont vouées à une mort économique à moyen terme à moins d’un accord avec le Maroc. Mais les Espagnols ont toujours refusé la cellule commune de réflexion sur la question, proposée par le Maroc il y a plus de 20 ans.

L’Espagne et la Grande-Bretagne sont-elles en train de préparer le terrain à la «co-souveraineté» à Gibraltar ? Lundi 18 septembre dernier, à Cordoue, Geoff Hoon, ministre britannique chargé des affaires européennes, Miguel Angel Moratinos, chef de la diplomatie espagnole et Peter Caruana, ministre principal de Gibraltar, signaient une série d’accords de coopération dont la nature laisse présager un changement d’attitude notable des forces en présence sur le Rocher. En effet, les trois parties ont fini par atteindre des compromis aux conséquences économiques significatives. Désormais, les pays prévoient de renforcer les structures locales pour faciliter le transit des hommes et des marchandises aux niveaux terrestre et aérien. Par ailleurs, l’Espagne prévoit la mise en place d’un centre culturel Cervantès sur place tandis que la Grande-Bretagne s’engage à régler le problème des retraites des 6 000 anciens dockers espagnols de Gibraltar au chômage depuis la fermeture de la frontière hispano-britannique en 1969. Malgré leur mince vernis économique, ces décisions sont truffées de compromis politiques qui soulageront les économies locales tout en permettant à tout le monde de garder la face.

Et le Maroc dans tout cela? N’est-il pas temps qu’il revendique à son tour des concessions pour les villes de Sebta et Mellilia qu’il n’a jamais cessé de réclamer ? «La signature de l’accord entre l’Espagne et la Grande-Bretagne concernant Gibraltar constitue une première historique dans les relations entre les deux pays. Certes, cet accord concerne des sujets spécifiques mais cela veut essentiellement dire que les deux pays ont choisi la voie de la négociation et de la discussion qui maintenant touche des problèmes matériels. Rien ne les empêche d’aboutir demain à des solutions sur la question de la souveraineté», souligne Mohamed Elyazghi, secrétaire général de l’USFP. Et de noter : «Au Maroc, nous sommes très attentifs et intéressés car toute évolution du statut de la colonie de Gibraltar se répercute sur la région de l’ouest méditerranéen, et conforte le Maroc dans ses revendications sur Sebta et Mellilia».

Trois siècles de revendication pour 6 kilomètres carrés
Avec ses 6 kilomètres carrés et ses 30 000 habitants, il est a priori difficile de comprendre pourquoi l’Espagne est aussi attachée au «Peñon». C’est à l’occasion de la guerre de succession au trône d’Espagne que le Rocher avait été pris par les Anglais, en 1704. Malgré la taille minuscule du territoire, les Espagnols allaient essayer de récupérer le territoire à plusieurs reprises, sans succès. Bien plus tard, durant la Seconde guerre mondiale, sa position à l’entrée de la Méditerranée en avait fait une base d’opérations stratégique. Aujourd’hui, bien que les effectifs militaires britanniques aient été largement réduits, et ce depuis 1998, son importance stratégique est toujours là, ce qui explique peut-être pourquoi il a été aussi difficile pour l’Espagne de le récupérer. En effet, explique Larbi Messari, membre du comité exécutif de l’Istiqlal et ancien ministre de la communication, posséder Gibraltar signifierait, pour l’Espagne, contrôler le Détroit de tous les côtés, au nord avec la côte espagnole et Gibraltar, au sud avec Sebta, ce qu’aucune puissance n’aurait jamais accepté, selon lui. L’Espagne a pourtant persisté dans ce sens, jusqu’à aujourd’hui, malgré le «non» essuyé à l’occasion du référendum de 1967...

La situation de l’Espagne à Gibraltar reste assez proche de celle du Maroc avec Sebta et Mellilia. En effet, la souveraineté de l’Espagne sur les deux villes, perdues par le Maroc au XVe siècle, n’a été officiellement reconnue par la France et la Grande-Bretagne qu’en 1904, au moment où les puissances européennes cherchaient à légitimer mutuellement leur expansion coloniale.

Aujourd’hui, avec ce nouveau round sur Gibraltar, beaucoup estiment le moment venu pour le Maroc de remettre sérieusement la question sur le tapis.

«Le Maroc n’a pas attendu les discussions sur Gibraltar pour poser le problème de la récupération de Sebta et Mellilia et le Maroc, bien entendu, a choisi la voie pacifique et suggéré depuis longtemps la constitution d’une cellule de réflexion sur l’avenir de Sebta et Mellilia», rappelle

M. Elyazghi. En effet, le 23 janvier 1987, feu Hassan II était allé jusqu’à proposer au roi d’Espagne la mise en place d’une cellule de réflexion concernant ces territoires. La demande n’allait pas avoir de suite, tandis qu’entre l’Espagne et la Grande-Bretagne, le forum tripartite, créé en 2004 pour discuter de Gibraltar, allait avoir les résultats que l’on connaît aujourd’hui.

Une question de temps ?
Ainsi, tout comme l’Espagne pour Gibraltar, le Maroc n’a cessé de réclamer ses territoires perdus. Mais le contexte est-il le même ? Selon Mohand Laenser, secrétaire général du Mouvement Populaire, même si aujourd’hui l’opportunité est bonne pour en parler, «le contexte est différent. L’Espagne et l’Angleterre font partie d’un même espace géographique et économique et étaient avancées dans les discussions en la matière, tandis que pour Sebta et Mellilia, c’est plutôt un statu quo», explique-t-il.

L’universitaire et membre du bureau politique du PPS, Khalid Naciri, lui, se prononce plus nettement.
«Avec les discussions concernant Gibraltar, le Maroc doit officiellement demander la constitution de cette cellule et l’amitié qui lie les deux pays doit faire en sorte qu’ils recherchent et explorent, dans le calme évidemment, des solutions», explique-t-il. Cela dit, il reconnaît ne pas se faire trop d’illusions quant à la réaction espagnole. Et il n’est pas le seul à penser cela. En effet, si le Maroc hausse le ton aujourd’hui, ce ne sera pas sans implications. Le Maroc a-t-il vraiment intérêt à interrompre l’embellie survenue avec son voisin du Nord depuis l’arrivée des socialistes au pouvoir ? Car si l’accord du 18 septembre sur Gibraltar pourrait bien avoir des effets, même indirects, sur le soutien à la gauche dans les deux présides - traditionnellement orientés à droite - en permettant de renforcer sa présence aux élections de 2009, une pression immédiate du Maroc pourrait, en revanche, mettre cette gauche face à un choix difficile : renforcer son influence dans la zone ou contenter l’allié marocain.

Cela n’implique pas pour autant que le Maroc doive renoncer aux deux villes. «Si la question est de savoir si c’est le moment pour le Maroc d’aborder le problème, je dirais que c’est toujours le moment et même plus aujourd’hui qu’hier, mais ce qu’il faut aborder, c’est la question de la mise en place rapide de la cellule de dialogue. En clair, il y a un moment pour tout : il ne s’agit pas ici et maintenant de réclamer l’indépendance de ces territoires, il convient plutôt de profiter de la conjoncture pour dire: discutons-en», insiste Mohand Laenser.

En effet, aussi bien Gibraltar que Sebta et Mellilia souffrent de leur isolement. Réduites à bénéficier de leur statut de ports libres ou de paradis fiscaux, voire de plateformes pour la contrebande, leur entretien représente déjà un coût énorme pour leurs pays respectifs. Comme l’explique d’ailleurs Larbi Messari, «le problème des Espagnols est que, d’ici 2010, le port franc n’aura plus de valeur car les marchandises ne seront soumises à aucune barrière d’ici là. Du coup, les gens vont préférer aller s’approvisionner à Algésiras plutôt qu’à Sebta, et laisser cette dernière mourir économiquement».
Si les accords du 18 septembre apportent une bouffée d’oxygène à Gibraltar, Sebta et Mellilia pourront-elles survivre longtemps à l’arrivée du port de Tanger Med ? Déjà, de plus en plus de voix s’élèvent en Grande-Bretagne pour demander le partage du coût de Gibraltar avec l’Espagne, et en Espagne, pour faire de même avec le Maroc concernant Sebta et Mellilia. Rabat gagnera-t-il alors à laisser du temps au temps ?.

Trois questions à Larbi Messari Ex-ministre de la communication, membre du bureau exécutif de l’Istiqlal.

La Vie éco : Les récents accords entre l’Espagne et la Grande-Bretagne concernant Gibraltar peuvent-ils avoir un impact sur les revendications marocaines concernant Sebta et Mellilia ?
Larbi Messari : C’est difficile à croire, car les Espagnols sont fermés sur cette question. Dans les rencontres gouvernementales auxquelles j’ai participé, nous avions beau leur rappeler le problème de Sebta et Mellilia, ils nous laissaient parler et se contentaient de répondre qu’ils n’étaient pas d’accord. En revanche, la théorie de Feu Hassan II tient toujours. Il disait qu’une fois que Gibraltar serait récupéré par l’Espagne, aucune puissance n’accepterait de lui laisser le contrôle des trois côtés du Détroit.

Vous pensez donc que la donne est toujours dominée par les intérêts géostratégiques ?
Oui, car le passage est très important pour le commerce et la sécurité internationale. Ainsi, si vous vous en souvenez, une semaine avant l’affaire Perejil/Leïla, les Anglais et les Espagnols s’étaient mis d’accord pour se rencontrer à Londres afin de discuter de la fameuse co-souveraineté. Les Anglais étaient prêts pour un accord avec les Espagnols de manière à déclarer, dans un délai de cinquante ans, la co-souveraineté hispano-britannique sur le Rocher. Cependant, les Etats-Unis sont intervenus, par la voix de Colin Powell, qui leur a signifié que le sujet n’était pas encore mûr pour être discuté et la rencontre a fini par être annulée. Le fait est que, en effet, la doctrine de Hassan II continue de tenir, et les Etats-Unis ne permettront pas à l’Espagne de prendre le contrôle de Gibraltar.

Pourtant, le Maroc a enregistré une embellie dans ses relations avec l’Espagne depuis l’arrivée du PSOE au pouvoir...
Le fait est que les Espagnols n’accepteront jamais d’en discuter, car le Parti socialiste espagnol n’a jamais été aussi engagé à Sebta et Mellilia qu’aujourd’hui. En janvier dernier, Luis Rodriguez Zapatero s’est rendu à Sebta et Mellilia, pour la première fois, alors que le parti socialiste a toujours estimé qu’il fallait éviter de jeter de l’huile sur le feu. Pourquoi l’a-t-il fait ? Parce qu’il y a maintenant des enjeux électoraux sur place : il y a 20 ans que le PSOE ne récolte plus de voix à Sebta et Mellilia et que le sénateur et les membres du conseil appartiennent tous à la droite. Les socialistes avaient été rayés de la carte politique des présides car ils étaient les seuls à maintenir encore que les deux villes revenaient aux Marocains. Aujourd’hui, Zapatero se bat pour prendre lui aussi la majorité à Sebta et Mellilia.

Il ne faut donc pas s’attendre à ce qu’il y ait quelque chose dans l’immédiat.


Houda Filali-Ansary
Source: La Vie Eco

Emission spécial MRE
2m Radio + Yabiladi.com