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Témoignage : Les marocains en Côte d'Ivoire ont "la peur au ventre"

La Côte d’Ivoire est en proie depuis quelques années, à une forte instabilité politique. Des émeutes, des attaques de factions rebelles, des tentatives de coup d’état ont rendu ce pays invivable pour les ivoiriens mais aussi pour les étrangers immigrés. La communauté marocaine présente en terre ivoirienne ne se sent plus en sécurité. Beaucoup ont du tout abandonner et fuir le pays pourtant si accueillant au départ.
Récemment un marocain a été assassiné en plein jour par des pillards au cœur même d’Abidjan. Depuis le 3 Juillet 2005 le corps du défunt n’a toujours pas été rapatrié, ce qui provoque un fort sentiment d’abandon parmi les membres de la famille de la victime mais également chez les autres compatriotes solidaire dans ce malheur.
Nous avons voulu sur Yabiladi.com, sensibiliser et alerter sur la peur croissante de ces derniers marocains en Côte d’Ivoire. Pour cela nous avons interrogé un marocain présent dans le pays depuis 1978. Pour des raisons de sécurité évidente, nous avons convenu de ne pas révéler son identité. Entretien.

- Yabiladi : Depuis quand et pour quelles raisons avez-vous émigré en Côte d’Ivoire ?
- Je suis en Côte d’Ivoire depuis 1978. J’y suis grâce à un ami de mon père qui a bien voulu m’embaucher chez lui comme vendeur.

- Quelles ont été les difficultés d’adaptation pour un marocain arrivant à Abidjan ?
- Je pense que le climat est la seule difficulté, puisque la Côte d’Ivoire est un pays tropical. Comme il y a beaucoup de marocains, on s’adapte très vite. On préserve nos coutumes et nos traditions même ici.

- Comment la communauté marocaine et vous particulièrement avez vécu les différentes émeutes ces dernières années ?
- En ce qui concerne les émeutes il y a en a eu successivement en 1999, 2002 et 2004.
Le 24 décembre 1999 : coup d’état en Côte d’Ivoire.
C’était impensable mais c’est la vérité. Personne n’y croyait mais c’est arrivé… Les commerces des marocains étaient visés, les magasins sont pillés, saccagés ou brûlés, les femmes et les enfants traumatisés, les tirs de kalachnikov fusent jour et nuit, le désordre absolu. Nous n’étions pas préparé à ce scénario. Nous avions la peur au ventre. Nous sommes restés chez nous sans aucun soutien plus de 6 jours pendant le mois de Ramadan…
Le 18 septembre 2002 : 2ème coup d’état.
Le pays est divisé en deux : les loyalistes et les rebelles. Les marocains dans les zones assiégées sont évacués par l’armée française à Abidjan où ils ont bénéficié d’un don Royal.
Les 5 et 6 novembre 2004 : émeutes et confusion totale.
Des jeunes sont dans la rue pour demander aux forces françaises de quitter la Côte d’Ivoire. Ils ont attaqué les domiciles des français, des libanais et des marocains. C’était la catastrophe. Encore une fois, les commerces et les maisons sont saccagés, pillés ou brûlés comme en 1999.

- Beaucoup de nos compatriotes face au chaos ont préféré quitter leur pays d’adoption pour retrouver le Maroc. Avez-vous une idée du nombre qui est toujours en Côte d’Ivoire ?
- Après chaque évènement une partie des marocains rentre au pays de peur de subir des désagréments, d’autres par manque de moyen pour faire face aux dépenses. Un certain nombre de marocains, que je peux difficilement quantifié, reste malgré les risques parce qu’ils n’ont aucun bien au Maroc et ils ont tout perdu en Côte d’Ivoire. Nous n’avons reçu aucun représentant du gouvernement ou du ministère de tutelle.

Pillage du magasin- Récemment vous nous avez fait part d’une tragédie survenue le 01 Juillet 2005. Un marocain a été assassiné par des bandits armés. Pouvez-vous nous détaillez ce qu’il s’est passé ?
- Notre frère marocain est arrivé en avril en Côte d’Ivoire. Il était venu pour aider sa sœur dans la gestion du magasin d’électroménager. Des bandits l’ont froidement assassiné le 01 juillet 2005 après avoir volé la caisse. Ils ont ainsi privé une famille encore au Maroc d’un mari, d’un père.

- Près de 3 semaines après la mort de ce compatriote, son corps n’a pourtant toujours pas été rapatrié. Comment expliquez-vous l’attitude des autorités marocaines ?
La famille a pourtant contacté l’Ambassade du Maroc pour voir comment il sera rapatrié. Cette dernière a de son coté informé le ministère de tutelle qui a, à son tour, contacté la Fondation Hassan II…
Il est toujours à la morgue aujourd’hui, ce qui fait plus 20 jours. Je n’arrive pas à comprendre l’attitude des autorités marocaines, surtout la Fondation Hassan II et la Fondation Mohamed V…

- Le deuil est difficile à faire lorsqu’on ne peut enterrer un proche. Quel est le ressenti de la famille de la victime ?
- Pour la famille il y a chaque jour Al janaza ici en Côte d’Ivoire et au Maroc. Les membres de la famille sont profondément choqués par l’attitude des autorités marocaines.

- Ce meurtre a du provoqué un énième choc au sein de la communauté marocaine en Côte d’Ivoire. Les derniers résistants ne vont-ils pas cette fois jeter l’éponge et quitter ce pays en proie à l’anarchie et à l’insécurité?
- La situation est très tendue. Pendant la semaine du meurtre, un autre marocain (ingénieur) a été blessé par balle en pleine journée à 13h. Nous sommes dans une situation difficile ici mais ce n’est pas facile de rentrer au Maroc. Il y a des commerçants qui ont 30 à 40 ans d’existence en Côte d’Ivoire. Comment vont-ils rentrer du jour au lendemain ? A qui vont-ils laisser leurs biens, leurs commerces et leurs maisons ? Dans quelles écoles vont-ils scolariser leurs enfants qui ne parlent que le français par manque d’instituteurs marocains en Côte d’Ivoire ?

- Et vous que comptez-vous faire dans l’avenir ?
- Pour l’avenir c’est Dieu seul qui décidera. Pour l’instant, je reste ici parce que je n’ai pas le choix…
Nous nous sentons abandonnés.

Mohamed - Yabiladi.com

* Photos du magasin marocain pillé

Pour en savoir plus :
:: A peine installé en Côte d'Ivoire : Un marocain abattu à Abidjan

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