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Les prix de la traversée du détroit au cœur d’une polémique

Pour les sociétés de transport international de voyageurs, les eaux du détroit ne sont pas seulement chaudes, mais elles sont devenues brûlantes depuis le début de la campagne de cet été. En cause, la «cascade» de hausses des tarifs décidée par les compagnies maritimes qui exploitent la liaison Tanger-Algésiras et qui risque de mettre en danger l’équilibre économique de la dizaine d’entreprises qui opèrent dans ce secteur.

La dernière augmentation est intervenue juste le mois dernier au début de la haute saison qui court du 15 juin au 15 août. Pour les autocaristes marocains qui se disent «surpris» par la hausse du prix de la traversée, c’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase d’autant plus qu’ils n’ont pas eu le temps d’ajuster leur grille tarifaire estivale arrêtée généralement au mois d’avril.

Les prix actuels seraient de 75% au-dessus de leur niveau d’il y a un an pour les véhicules tandis que pour les passagers, le prix du ticket du ferry a été multiplié par deux. Pour les enfants, il a même augmenté de 200%, confie El Ghazouani Jnini, directeur d’Exploitation de la CTM car les compagnies ont supprimé le tarif enfant.

Réunion entre les deux parties ce jeudi
Après une première réunion avant-hier au ministère du Transport, armateurs et transporteurs routiers se retrouvent ce jeudi 20 dans une rencontre d’explication franche, un face à face que l’on devine houleux. «L’objet est d’apporter à nos interlocuteurs des éléments techniques sur lesquels les augmentations tarifaires ont été décidées», précise le commandant Mohamed Karia, PDG de la société IMTC, qui ne comprend pas cette montée au créneau des transporteurs tout en reconnaissant que ces derniers auraient dû être prévenus plus tôt.

Il reste qu’il n’y a rien d’étonnant dans tout cela, si l’on s’en tient à la flambée des cours de gasoil que subissent les opérateurs de transport. En moins de deux ans, la tonne est passée de 200 à 760 dollars.

Chaque navire consomme en moyenne 20 à 25 tonnes par jour et cela fait une pression terrible sur les coûts d’exploitation, constate le président du groupe IMTC. La deuxième explication de la hausse des prix est à chercher du côté des exploitants des plateformes portuaires.

Côté marocain, l’Odep (qui profite à fond de son monopole pour quelques mois) a revu de 5% ses tarifs à la hausse au port de Tanger et au même moment, les frais portuaires de l’autre côté, à Algésiras, augmentaient de 14,8%. Pour les armateurs, il n’y a donc rien d’anormal au réajustement tarifaire actuel.

Au demeurant, «le lissage des tarifs via le «yeald management» (l’optimisation des revenus) est une pratique ancrée dans toutes les activités à forte saisonnalité comme le transport aérien ou l’hôtellerie», justifie Mohamed Karia. «Vous ne payez pas un billet d’avion ou une chambre d’hôtel au même prix en février ou en juin-juillet».

Il reste que l’on peut s’étonner que les compagnies qui exploitent la liaison Tanger-Algésiras affichent le même prix pour la traversée, ce qui renforce le soupçon de cartellisation tacite qui pèse sur ces opérateurs même s’ils s’en défendent.

Par ailleurs, la «coordination» tarifaire qu’ils pratiquent sur le titre de transport passager chaque été avec la bénédiction des pouvoirs publics équivaut à une entente que réprime le code de concurrence.

2 millions de personnes par an
La situation s’explique aussi par la nature des relations commerciales entre compagnies d’exploitation des ferries et sociétés de transport international routier de voyageurs. Aussi incroyable que cela puisse paraître, il semble que les transactions entre les deux parties soient assises sur le modèle du «cas par cas». Au contraire de ce que l’on peut observer dans l’industrie touristique où les prestataires négocient en gros et à l’avance les conditions commerciales, les routiers achètent les services au détail, voyage par voyage.
Aucun accord contractuel de nature à les sécuriser ne le lie à leurs fournisseurs (armateurs). L’évolution vers ce type de «partenariat» durable sera d’ailleurs un des points qui seront discutés à la rencontre de ce jeudi 20 juillet entre la Fédération du transport routier de la CGEM et les représentants des compagnies maritimes.
Cette hausse tombe au plus mauvais moment pour les transporteurs voyageurs à l’international. Les trois mois d’été constituent une période stratégique car ils concentrent 50% du trafic passagers qui transite par le détroit, soit près de 2 millions de personnes. L’équation relève de la quadrature du cercle: soit ils supportent la hausse en renonçant à une partie de la marge (epsilon), soit ils répercutent sur le client.

La deuxième option est impossible dans un marché ultra-concurrentiel où la clientèle (en général, des MRE de condition modeste) se décide en fonction du seul critère du prix.

Ceuta-Algésiras moitié moins chère que Tanger-Algésiras
Dans un récent rapport sur la logistique et la compétitivité du commerce extérieur, les experts de la Banque mondiale avaient clairement souligné qu’au vu des tarifs pratiqués, la traversée de Tanger-Algésiras était la plus chère au monde.

Il y a certes l’effet du volume, trop faible pour faire jouer les économies d’échelle, mais un peu aussi, du comportement des acteurs du marché, un élément sur lequel la Banque mondiale s’est bien gardée de s’avancer. Tanger-Algésiras est deux fois plus cher que Ceuta-Algésiras.

L’écart de la distance n’explique pas tout. Si les prix sont si «compétitifs» entre Ceuta et Algésiras, c’est parce que le gouvernement espagnol a dégagé 52 millions d’euros de subventions aux armateurs, justifie une source au ministère du Transport et de l’Equipement.

Pour cette saison, les autocaristes marocains ont, de manière exceptionnelle, la possibilité d’emprunter cette «route», mais avec des délais d’attente plus longs.

Abashi Shamamba
Source: L'Economiste

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