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Maroc : L'industrie textile veut rebondir à tout prix

Face à une Europe en crise, avec une consommation en berne, les entreprises marocaines vivront six mois difficiles, qu’elles veulent mettre à profit pour aiguiser leurs atouts avec l’appui des autorités.

Une fois de plus, l’industrie marocaine du textile-habillement se retrouve face à un défi de taille. Ces derniers mois, la crise économique a plombé la consommation des marchés européens, principal débouché des exportations du secteur. Au faste de l’année 2007 a succédé un brutal retournement de tendance en 2008. Selon les estimations de l’Association marocaine des industries du textile et de l’habillement (Amith), les exportations du royaume auraient chuté de 10 % l’an passé. La situation pourrait s’aggraver en 2009, avec une baisse encore plus importante de la demande en Europe.

Premières victimes de cette lame de fond, les fournisseurs du marché britannique tirent la sonnette d’alarme. Concentrés sur la région de Rabat-Salé, ils ont perdu 28 % de leur chiffre d’affaires en un an. « Outre la baisse de la consommation au Royaume-Uni, nous subissons de plein fouet la dévaluation de la livre sterling, qui a chuté de 25 % depuis septembre 2007 », explique Tarik Aguizoul, patron de l’entreprise AGZ et vice-président de l’Amith pour la région. Conséquence ? « Pour les entreprises de Rabat et de Salé, poursuit-il, cela se traduit par une perte de chiffre d’affaires de 150 millions de dirhams [13,5 millions d’euros]. Sans compter l’impact sur l’emploi : plusieurs entreprises ont déjà mis la clef sous la porte, et plus de deux mille personnes ont perdu leur travail. Il est temps d’arrêter l’hémorragie, car ce que nous vivons aujourd’hui, l’ensemble du secteur pourrait le vivre dans les prochains mois. »

Irrégularité des commandes, incertitudes commerciales, manque de visibilité… Les hypothèses les plus optimistes prévoient une nette détérioration de l’activité au cours des six premiers mois. Les plus pessimistes, elles, parlent d’une crise profonde et durable tout au long de l’année 2009. Paradoxalement, le Maroc pourrait pourtant tirer profit de la conjoncture internationale. « Avec la crise, les donneurs d’ordre devront revoir leur stratégie, explique Karim Tazi, patron de Marwa et de Monte Pull. Leur problématique aujourd’hui n’est plus d’acheter, mais de vendre. Ils ne vont pas prendre le risque de faire des stocks et vont se détourner du marché asiatique, où les délais sont trop longs. Dans un tel contexte, le Maroc peut sortir son principal atout : la proximité. »

Mais il va falloir jouer serré, car le royaume n’est pas seul sur ce créneau. La bataille s’annonce rude entre les différents pays du pourtour méditerranéen. Outre leurs concurrents « traditionnels », les industriels marocains vont avoir maille à partir avec le rouleau compresseur égyptien (lire ci-dessous). Moins chère, plus flexible, mieux intégrée, l’Égypte a d’ailleurs réussi à augmenter ses exportations de 7,1 % sur les neuf premiers mois de 2008. Loin derrière, la Tunisie affiche quand même une embellie de + 0,4 %.


Alléger les charges sociales

« L’Inde, la Chine, la Tunisie… tous nos concurrents ont déjà mis en place des plans de relance. Nous sommes encore les derniers à nous réveiller », grogne un industriel de Casablanca. Mieux vaut tard que jamais, les différents ministres de tutelle (Industrie, Commerce extérieur et Emploi) ont multiplié les réunions marathons avec les professionnels du secteur ces dernières semaines. « Il nous faut des aides pour passer la crise sans encombre, demande Mohamed Tamer, président de l’Amith. Nous allons traverser cinq à six mois de vaches maigres, pendant lesquels il ne va pas falloir perdre nos capacités de production. Sinon, nous ne serons pas en mesure de récupérer des parts de marché quand les donneurs d’ordre reviendront. » Le message semble avoir été entendu en haut lieu. Afin de garantir les fonds de roulement nécessaires au secteur, l’État devrait renforcer les lignes de financement des entreprises. Il pourrait également prévoir des exonérations temporaires de charges sociales. Celles-ci sont en moyenne plus élevées de 20 % par rapport aux autres pays de la région. Enfin, des moyens devraient être alloués pour favoriser la prospection à l’international.

Mais ces mesures conjoncturelles, si elles semblent plus que jamais nécessaires, ne seront pas suffisantes face aux problèmes actuels qui pénalisent le textile marocain. À défaut d’une industrie intégrée, le secteur importe 80 % de ses besoins en matières premières d’Europe, principalement, et de Turquie. Dans ce dernier cas, les intrants mettent souvent plus d’une dizaine de jours pour arriver. Des délais bien trop longs lorsqu’on vise le fast fashion. Les industriels étudient en ce moment avec Royal Air Maroc l’opportunité de mettre en place un tarif attractif pour le fret et de réduire ainsi le délai logistique. Quant aux procédures douanières et administratives, même si elles ont largement été simplifiées, leur efficacité est encore loin d’être optimale.

« L’État devrait également s’acquitter de ses créances vis-à-vis du secteur, qu’il s’agisse des crédits de TVA pour les activités liées à l’export ou des remboursements des frais de formation », ajoute un industriel. Logiquement, l’État s’engage en effet à rembourser 70 % des dépenses engagées par un employeur pour la formation d’un salarié. Mais, dans les faits, les dédommagements tardent à arriver. Dernière et principale revendication des industriels : la flexibilité. Face aux incertitudes commerciales qui planent sur les marchés, seuls les plus réactifs s’en sortiront. « Il est impératif que l’État déplafonne les heures supplémentaires, complète Mohamed Tamer. Aujourd’hui, elles sont plafonnées à 100 heures par an et par opérateur. Impossible, dans ces conditions, d’aménager le temps de travail pour supporter les périodes creuses et les brusques pics d’activité auxquels nous nous attendons. » Une étude, menée par le spécialiste de l’analyse des coûts horaires et des temps travaillés dans le textile, Werner International, montre les faiblesses du royaume face à ses voisins, avec une moyenne de 1 960 heures travaillées par an, contre 2 200 pour la Tunisie, l’Égypte ou encore la Turquie. Sans oublier un coût horaire largement supérieur.


Ventes en baisse de 20 %

« Le meilleur moyen d’encourager les exportations, c’est d’abord de soutenir les enseignes locales et d’encourager la création, martèle Karim Tazi. Pour cela, il faut lutter contre l’informel, qui grève le secteur, et encourager la formation de stylistes et de modélistes. L’avenir du textile marocain passera plus que jamais par sa modernisation. On le sait depuis 2003, mais on a pris beaucoup de retard. » L’arrivée d’une grande marque comme Zara au Maroc a été un mal pour un bien. Elle a permis de remplir les carnets de commandes des industriels tout en retardant les réformes nécessaires. Plus de 70 % des entreprises textiles marocaines travaillent encore exclusivement dans la sous-traitance. La mutation tant annoncée vers le produit fini et la cotraitance a tardé… Tout allait bien dans l’euphorie du fast fashion, mais aujourd’hui que le géant espagnol annonce une baisse de 20 % de ses ventes en Europe, les déséquilibres n’ont fait que s’accentuer. Car, dans le marasme, les rares industriels qui ont réussi leur transition vers la cotraitance et le produit fini s’en sortent bien. Très bien même. « La crise nous a apporté de nouveaux clients, confirme Serge Chouchana, directeur de Chapstar. Le marché est toujours là, mais il y a de moins en moins d’opérateurs capables d’y répondre. » Le fonds de soutien à l’export (500 millions de DH, dont 250 millions débloqués cette année) devrait d’ailleurs bénéficier en priorité aux industriels disposant d’un business plan « dynamique ».

Reste quand même une inconnue : et si en temps de crise les donneurs d’ordres, au lieu de parier sur la montée en gamme et le renouvellement des collections, axaient leur stratégie sur des prix toujours plus bas… L’implantation discrète d’industriels chinois du textile sur la rive sud de la Méditerranée pourrait accentuer la menace.

Julien Felix
Source : Jeune Afrique

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