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Immigration : Le droit de vivre en famille est-il encore un droit fondamental en France ?

Le droit de mener une vie familiale « normale » a été reconnu comme un droit fondamental. Depuis 1978, le Conseil d’Etat a reconnu « la faculté à chaque étranger de faire venir auprès de lui son conjoint et ses enfants mineurs » et, par la même occasion a élevé le droit de vivre en famille au rang de « principe général de droit ».
De son côté le Conseil Constitutionnel a rappelé en 1993 et en 1997 que « les étrangers dont la résidence en France est stable et régulière ont, comme les nationaux, le droit de mener une vie familiale normale ».
Or, le droit de vivre en famille est considéré depuis la dernière loi du 20 novembre 2007 comme une « immigration subie ». A ce titre, la nouvelle réforme s’attaque à la fois au regroupement familial et aux conjoints de français.

- Au niveau du regroupement familial :

La nouvelle loi « Hortefeux » relative à l’entrée et au séjour des étrangers en France s’attaque fondamentalement au droit de vivre en famille, pourtant inscrit dans la Constitution, garanti par la Convention européenne des Droits de l’Homme et par d’autres textes internationaux ratifiés par la France. A ce titre, la nouvelle loi (applicable uniquement aux marocains et non aux Algériens et aux Tunisiens) soumet les étrangers, âgés de 16 à 65 ans qui sollicitent un visa d’entrée en France dans le cadre du regroupement familial, à l’évaluation de leur maîtrise du français et de leurs connaissances des valeurs de la République. Si l’étranger ne maîtrise pas le français ou ne connaît pas suffisamment les « valeurs de la République », il doit suivre une formation de deux mois avant son entré éventuelle en France.

D’autre part, la loi prévoit la signature d’un contrat d’accueil et d’intégration (CAI) instauré déjà en 2003, mais devenu obligatoire avant la délivrance de tout titre de séjour, après une évaluation de connaissance du français et des valeurs de la République…

La nouvelle loi modifie également les conditions de ressources exigées pour bénéficier du regroupement familial, en passant d’un SMIC minimum à un SMIC augmenté d’un cinquième, soit plus de 1.500 € brut par mois, selon la taille de la famille et les conditions de logement. Pour ce qui est du logement, le décret du 8 décembre 2006 prévoyait déjà la modification des conditions de logement portant le nombre du mètre carré de 16 à 22 pour un couple qui habite en Zone A (Ile de France, Côte d’Azur) plus de 10m² pour chaque personne supplémentaire ; 24 m² pour un couple habitant la Zone B (Agglomération de plus de 250.000 habitants) plus 10 m² pour chaque personne supplémentaire ; 28 m² pour un couple habitant la Zone C (les autres régions de France) plus 10 m² pour chaque personne supplémentaire.

La nouvelle loi prévoit également le test ADN, permettant ainsi de recourir aux empreintes génétiques pour établir la filiation d’un enfant candidat au regroupement familial.
Enfin, peut-être une bonne nouvelle pour les personnes étrangères malades et handicapées, puisque la loi du 20 novembre 2007 a mis fin à la discrimination à l’encontre des demandeurs étrangers au regroupement familial lorsqu’ils sont titulaires de l’allocation adulte handicapé (AAH) ou de l’allocation supplémentaire d’invalidité (ASI). En principe, depuis la nouvelle loi, la condition de ressources requises pour une demande de regroupement familial n’est plus opposable aux malades, et aux handicapées (art. L. 411-5 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile).


– Les conjoints de Français :

Un français peut se marier avec un étranger, mais cette démarche, du fait du soupçon pesant sur les mariages mixtes, devient de plus en plus compliquée.

Si le mariage a lieu à l’étranger, les démarches avant et après le mariage peuvent durer plusieurs mois. En effet, de la demande d’obtention du certificat de capacité à mariage (CCM), obligatoire depuis le 01.03.2007, en passant par la publication des bans à la transcription du mariage, jusqu’à l’obtention du visa par le conjoint étranger, de très nombreuses formalités, vérifications et freins sont prévus. A cet égard, la nouvelle loi a encore aggravé la situation, donnant aux consulats un large pouvoir, sans délai, pour vérifier les documents d’état civil (art. L. 211-2-1 du Ceseda), d’exiger la présence des deux époux lors du dépôt du dossier, voire une convocation trois à quatre mois après pour entretiens !

Les entretiens qui ont lieu au Consulat, dans le but de vérifier les intentions réelles du mariage sont d’après les témoignages des intéressés, très mal vécus, au motif qu’il existe des questions relatives à leur vie privée et même intime. Il semble en effet que certaines questions posées au cours de l’entretien sont choquantes, comme par exemple « quand avez vous eu des rapports sexuels avec votre partenaire ? Pensez-vous qu’il (ou qu’elle) va rester avec vous toute la vie ? Il a l’âge de votre fils ou elle a l’âge de votre fille, ca ne vous gêne pas ? … »

Parfois, malgré la transcription du mariage par le service central d’état civil à Nantes, nous constatons que de plus en plus de conjoints français rencontrent des difficultés pour obtenir un visa de long séjour pour rentrer en France, au motif de refus suivant : « un faisceau d’indices probants et convergents conduit à considérer que ce mariage a été conclu à des fins autres que l’union matrimoniale, dans le seul but de lui permettre de régulariser sa situation administrative en France ... » ou encore la demande visa « présente un risque manifeste de détournement de son objet à des fins migratoires » !

A ce titre, nous conseillons aux conjoints français ayant fait l’objet d’un refus de visa de saisir, dans les deux mois, la Commission de refus de visa BP 83609 44036 Nantes, ensuite, sans réponse de la Commission après deux mois depuis sa saisine, devant le Conseil d’Etat, 1, Place du Palais Royal 75700 Paris 01 SP.
Si le mariage est prévu en France, les maires ont, en principe, l’obligation de célébrer le mariage. Toutefois, de plus en plus de maires signalent, avant le mariage, la situation irrégulière de l’étranger à l’administration ou encore au procureur de la République (art. 175-2 du Code civil) en arguant qu’ils soupçonnent un mariage de complaisance ou « blanc ».

Par ailleurs, depuis la loi du 20 novembre 2007, comme les candidats au regroupement familial, les conjoints de français sont soumis eux aussi à une évaluation de leurs connaissances du français et sur les valeurs de la République.

Alors que le dispositif européen prévoit que les membres étrangers de famille de ressortissants européens accèdent de plein droit au séjour en France sans être soumis au préalable ni à un visa de long séjour, ni à une évaluation quelconque de leurs connaissances du français ou des valeurs de la République. A ce titre, nous considérons que les Français et leurs conjoints subissent une discrimination puisqu’ils font l’objet d’un traitement différencié par rapport aux ressortissants communautaires vivant en France !

Encouragement de « l’immigration choisie » : Une nouvelle forme de pillage des pays du Sud

La France entend faire appel de préférence à l’immigration « choisie » (politique des quotas), sélectionner la seule main d’œuvre dont on a besoin – en la prenant et en la rejetant selon la fluctuation du marché. Politique qui perpétue le pillage colonial sous d’autres formes. Ne sera donc « acceptable » que l’étranger perçu comme rentable pour l’économie du pays !

A ce sujet, un titre de séjour « compétences et talents » est accordé à « des personnes dont la présence est une chance pour la France, mais n’est pas vitale pour leur pays d’origine » selon Nicolas Sarkozy (Assemblée Nationale, 02 mai 2006) ; ou encore selon T. Mariani, rapporteur du projet sur l’immigration : « il est donc essentiel à notre pays d’accueillir aussi des cadres dirigeants, des chercheurs ainsi que les étudiants les plus brillants… » !

Tout le monde s’accorde à reconnaître que la fermeture totale des frontières est absolument impossible et que la multiplication des obstacles à l’entrée et au séjour restera toujours inefficace et dérisoire. Cela ne peut aboutir qu’à renforcer les filières de passeurs et à mettre en péril la vie des candidats à l’exil et l’arsenal juridique répressif mis en place ne règlera en rien cette situation.

A ce titre, une autre politique de l’immigration devient urgente et nécessaire. Celle-ci doit passer par une conception différente des rapports politiques et économiques Nord/Sud, en mettant en place une réelle politique du co-développement, basée sur une évaluation systématique et une bonne gouvernance.

Mokhtar FERDAOUSSI, Juriste - France
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