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Rachid Benzine et les "Nouveaux Penseurs de l’islam"

Islamologue et auteur des Nouveaux Penseurs de l’islam

Géant débonnaire, Rachid Benzine cache bien son jeu. La simplicité de sa mise et son sourire désarmant lui donnent l'air d'un jeune prof de gym, un de ces enseignants de collège de banlieue - ce qu'il a d'ailleurs été - qui luttent pour des idéaux d'éducation. Grave méprise. Il faut l'entendre parler pour comprendre. La limpidité de sa pensée frappe, la rigueur de son raisonnement subjugue, on a envie de dévorer son dernier livre, Les Nouveaux Penseurs de l'islam, paru en février dernier chez Albin Michel.

Rachid Benzine est un islamologue d'une érudition confondante. Ce natif du Maroc, arrivé en France à l'âge de 7 ans, en a aujourd'hui 33. Mais ce n'est pas hier qu'il a découvert la théologie. Dans ce domaine, il ferait plutôt figure de jeune prodige. « J'avais 16 ans et j'étais en vacances. Je suis tombé sur Le Cas Eugen Drewermann, un livre passionnant sur ce prêtre catholique allemand devenu psychothérapeute. Je me suis demandé pourquoi il y avait tant de tapage autour de lui. Il parlait de la naissance virginale de Jésus et montrait comment cette idée avait traversé non seulement l'islam mais aussi toutes les religions. »

Cette lecture ouvre à Benzine de nouveaux horizons. Certes, son milieu familial le prédestinait à la spiritualité. Un père érudit, très pieux, une mère douce et attentive. « On n'a jamais eu l'occasion de parler religion avec mon père. Mais sa pratique m'impressionnait, notamment quand il priait, à 4 h 30 du matin, avant de partir au travail... »


Le jeune Rachid s'oriente d'abord vers l'économie. Un livre de Samir Amin sur le développement inégal entre pays du Nord et du Sud, la rencontre avec un professeur ancien coopérant, et voilà sa vocation toute trouvée - du moins le croit-il. Il s'interroge sur son identité profonde. « Je sentais que j'appartenais à la marocanité, à la maghrébinité, à l'arabité enfin, explique-t-il, soucieux de démontrer la progression de l'idée en lui. Puis l'islamité s'est imposée. »

Séduit par les exégètes chrétiens, il cherche à savoir s'il existe des équivalents dans le monde musulman, découvre les travaux de l'Égyptien Nasr Hamid Abou Zaïd et du Sud-Africain Farid Esack. Très impliqué dans le milieu associatif, notamment dans le dialogue islamo-chrétien, il se lie d'amitié avec un prêtre, Jean-Michel Degorce, puis avec le père Christian Delorme, avec qui il écrit un premier livre, publié chez Albin Michel dans la collection « Espaces libres » : Nous avons tant de choses à nous dire, pour un vrai dialogue entre chrétiens et musulmans. Il y rédige un chapitre très intéressant sur la façon dont lui, musulman, lit les Évangiles et découvre Jésus. Il n'a que 26 ans, mais retient déjà toute l'attention de son éditeur. Il convainc même ce dernier de publier, à l'instar des études bibliques, les exégèses musulmanes du Coran. Rachid Benzine devient directeur de la collection « Islam des lumières » aux éditions Albin Michel.


Musulman scrutateur de l'islam, sa critique, si elle est radicale, n'exclut pas le respect de la croyance.

Ses ambitions ne se limitent pas à l'édition. Il rêve de créer une fondation dotée d'une importante bibliothèque, qui serait à la fois lieu de recherche et de production intellectuelle, animée par des islamologues du monde entier.

« J'ai envie de vulgariser le savoir universitaire et de le rendre accessible à tous, y compris aux acteurs politiques qui souhaitent réfléchir à la place de l'islam dans la société contemporaine. » Dans la foulée, il aimerait créer une université populaire s'adressant à des auditeurs plus jeunes. « Les meilleurs spécialistes de la pensée musulmane viendraient enseigner, puis leurs cours seraient disponibles sur Internet. »

La devise de Benzine ? L'élitisme pour tous. Et si, devant les journalistes de J.A.I., il parle en spécialiste, il sait adapter son langage au grand public, celui qu'il a rencontré au début de sa carrière à Trappes, dans la banlieue parisienne, où il enseignait au lycée professionnel Gagarine, au sein de l'association Les penseurs dans la cité. « Le savoir ne doit pas rester dans le milieu fermé de l'université, sinon il est inutile. » Rachid Benzine a su joindre l'acte à la parole.

Valérie Thorin
Source : Jeune Afrique

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