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Livre: Aux origines de l'immigration marocaine

Enseignant et chercheur à l'université Zohr à Agadir, Elkbir Atouf vient de publier son premier ouvrage sur l'histoire du phénomène migratoire marocain vers l'Hexagone. Entretien.

Vous venez d'éditer votre ouvrage «Aux origines historiques de l'immigration marocaine en France (1910-1963)» aux éditions Connaissances et Savoirs à Paris. Quels sont les thèmes sur lesquels vous revenez ?
L'ouvrage traite des causes profondes qui ont présidé à l'émergence et à la naissance des premières migrations marocaines en France (1910-1963). L'analyse met l'accent sur les origines historiques du phénomène migratoire marocain, à savoir les rapports entre la colonisation, la Première Guerre mondiale, l'émigration-immigration, ainsi que l'évolution des processus sociaux, sans nier pour autant le choix de la politique économique contestable et contestée du Maroc indépendant. Ce dernier n'hésitait pas à orienter l'émigration depuis les régions protestataires. L'exemple du Rif depuis les événements des années 1958-1959 ou des agitations sociopolitiques des années 1960-1963, couronnées par l'exil de Mehdi Ben Barka à l'étranger (France-Suisse) ou encore des événements tragiques comme ce qui a été appelé par la presse nationale et internationale de l'époque «la tuerie de Casablanca » du 23 au 25 mars 1965. Cette situation agitée et instable du Maroc post-colonial a poussé le régime en place à utiliser l'émigration comme outil de gestion de la situation désastreuse des années 1950-1960, et c'est ce qui justifie les nombreuses conventions de main-d'œuvre signées entre le Maroc et des pays européens (la France, la Belgique, l'Allemagne (RDA), la Hollande) ainsi que certains pays du Golfe.

Quels sont les grands événements qui ont marqué cette période ?
Les grands événements marquant l'émigration-immigration marocaine en France coïncident avec des situations sociopolitiques conditionnant irrévocablement l'histoire du Maroc contemporain. Ainsi, on peut repérer trois périodes essentielles. La période de la guerre de 1914-1918, qui représente le déclenchement des premières immigrations marocaines militarisées, donnant naissance à ce qu'on peut appeler «le mode de déracinement militarisé» qui a fortement et irrémédiablement contribué à la dislocation des rapports sociaux et au déracinement des Marocains concernés. La seconde période est celle de l'entre-deux-guerres où on assiste au retour des anciens soldats déracinés en France (ceux qui ont participé à la guerre mais aussi ceux qui ont participé à ladite «pacification» du Maroc), après leur rapatriement par les pouvoirs publics. Cette immigration a été encouragée par une réglementation encore sommaire, initiant la première vague migratoire de main-d'œuvre proprement dite. Enfin, la troisième période, 1942-1963, depuis le débarquement anglo-américain à Casablanca le 8 novembre 1942 jusqu'à la signature de la première convention de main-d'œuvre entre la France et le Maroc le 1er juin 1963. Cette période illustre l'institutionnalisation définitive de l'immigration marocaine en France, se substituant ainsi à l'immigration algérienne dont les décideurs français ne voulaient pas dépendre. Dans ces conditions, on assiste à l'intégration définitive de l'immigration marocaine dans le Capital international.

Des éditeurs nationaux ont refusé d'éditer l'ouvrage. Pourquoi ?
Effectivement, des éditeurs marocains ont refusé de publier mon ouvrage qui fut à l'origine une thèse de doctorat national, soutenue en France le 14 décembre 2002, remaniée, condensée et actualisée. En fait, ces éditeurs m'ont demandé de supprimer quelques points qui dérangent le monde politique. Par exemple, on m'avait demandé de biffer des passages analysant les événements politiques des années 1963-1965, ou de retirer des passages sur l'option révolutionnaire de Mehdi Ben Barka ou encore, et c'est l'exemple le plus flagrant, de supprimer carrément un chapitre sur l'immigration juive «clandestine» vers Israël et en France. J'aborde dans ce chapitre les circonstances et les motivations des migrations juives entre 1948 et 1965. Je démontre le rôle joué par les services secrets israéliens, le Mossad, dans la gestion de l'immigration des Juifs du Maroc ainsi que dans la vie politique marocaine, notamment l'enlèvement de l'opposant Mehdi Ben Barka. Je cite un ouvrage précieux d'Agnès Bensimon, intitulé «Hassan II et les juifs. Histoire d'une émigration secrète», publié en 1991, dans lequel Bensimon parle d'une «migration juive monnayée au plus haut niveau», elle rapporte par ailleurs que «le montant fixé par personne s'élève à cinquante dollars, enfants compris». Une simple opération de calcul permet d'atteindre la somme colossale de 6.000.000 de dollars que les finances de l'Etat d'Israël devaient supporter pour «racheter les 120.000 juifs du Maroc concernés». L'ouvrage ne comprend pas ce chapitre, faute d'espace. L'éditeur français m'a accordé uniquement 440 pages.

Vous préparez un nouveau livre. Quel est le thème abordé ?
Je viens de terminer un nouveau livre, qui paraîtra bientôt, je l'espère, et qui porte sur «L'histoire de l'émigration marocaine au bassin minier du Nord-Pas-de-Calais (1917-1987)». Dans cette recherche, je me limite à étudier l'histoire des mineurs marocains (originaires exclusivement du Sud, notamment de la région du Souss) dans la région du Nord de la France, participant et enrichissant ainsi «des travaux de proximité monographique» au niveau régional afin de nuancer des généralités ou de mettre l'accent sur des «spécificités» locales qui s'effacent souvent dans des études situant le cadre national. D'autant que les études migratoires sont largement délaissées par les historiens et monopolisées par les géographes et les sociologues.

Khadija Skalli
Source: Le Soir Echos

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