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France : Des écrivains de la diversité se rebellent contre le "désordre" établi

En réponse à l’article de M. Fabrice Pliskin consacré à l'ouvrage d'un collectif d'écrivains de la diversité, paru cette semaine dans le Nouvel Observateur.

>> Lire l'article du Nouvel Obs (Format pdf)

Toutes les critiques sont acceptables pour autant qu’elles restent dignes et ne visent pas, sous couvert de dérision, à dénigrer, à humilier et en somme à asseoir ou conforter une domination sur celles et ceux qu’elles visent.

La critique que vient de nous consacrer le Nouvel Observateur dans son édition n°2235 paru le 06/09/2007 n’est même pas une critique littéraire, ou alors ratée. Elle se contente, au prétexte de débusquer les lieux communs, d’ânonner péniblement quelques lignes sans substance, mortes, vitupérant sans verve et avec des relents pestilentiels contre les sujets de nos nouvelles. Et nous disons bien les « sujets », non les écritures qui se répondent, les correspondances que nous tissons, par-delà le sens. Cette critique, autrement dit, ne vise pas notre littérature, elle vise notre démarche, notre rencontre, nos personnalités, ce que nous représentons, bref, tout ce qui flotte autour de nos textes et nous écarte de ce que nous sommes, qu’on le veuille ou non, c’est-à-dire des écrivains.

Vous nous direz : un article attaque votre collectif ? La belle affaire ! Il faut que l’on s’y fasse. Soit, nous sommes prêts à recevoir les critiques. Mais cette critique-là, celle du Nouvel Obs, n’arase pas notre écriture – elle en parle à peine -, elle nous traite de haut, elle nous considère comme des intrus, elle nie notre présence.

Car si l’on s’était contenté de nous traiter comme des écrivains médiocres, nous aurions été tristes, mais compréhensifs. Puisque l’on refuse même de nous traiter comme des écrivains, puisque certains ne le supportent pas, nous serons implacables.

Oui, notre collectif parle de diversité. Oui, nous assumons notre diversité et celle de la France. Quel affreux mot, selon eux, que celui de diversité ! Parce qu’il a été maintes fois disqualifié, déformé, usurpé dans l’arène politique, on va donc sur le champs, sans discernement, pourfendre tous ceux qui s’en réclament, tous ceux qui l’utilisent ?
Ce ne sont pas nos mots qui sentent la naphtaline, celle d’Henri Guaino comme le dit l’article, ou, pourquoi ne pas le dire, car sous-entendu, de Nicolas Sarkozy ; ce sont les leurs, ceux d’une élite intellectuelle moribonde, emprunts d’un paternalisme crasse, d’un mépris glouton, d’une peur ridicule d’en voir d’autres qu’eux venir à bride rabattue sur le devant de la scène, celle qu’ils occupent l’esprit serein depuis des décennies, qu’ils serrent dans leurs poings exsangues, pour ne pas la lâcher.

Tant pis si le Nouvel Obs ne parle pas de cette association qui voit le jour en ce moment et qui a vocation, partout en France et pas seulement en banlieue, à soutenir les projets artistiques de jeunes en difficultés, au-delà de leurs origines ou de l’endroit où ils habitent. Tant pis s’il ne s’attarde pas sur ces droits d’auteurs que nous ne toucherons pas et qui nous permettront de financer des initiatives culturelles. Tant pis si le sens de notre démarche commune lui échappe complètement, s’il ne comprend pas que notre collectif n’a pas une seconde vocation à servir notre ambition politique, mais à aider les autres, ceux qui sont restés derrière, cette armada de jeunes talentueux et oubliés qui peuplent nos campagnes et nos banlieues misérables.

L’attaque contre notre collectif, et non notre prose, est une attaque politique à laquelle il faut donc répondre de manière politique.

Cela ne nous étonne pas de la part d’un journal qui est désormais – et c’est assez triste de le dire – l’agent d’une Réaction intellectuelle féroce, d’un conservatisme social sinistre. Nous connaissons ses positions, ses prises de partis, ses analyses. Pour lui, tout ce qui vient des quartiers est forcément néfaste, toute forme artistique, toute revendication politique, toute révolte inspirée par le déclassement est a ses yeux embrumés assimilable à de la haine, du fanatisme, de la violence gratuite, bref, quelque chose à mettre en quarantaine, à éviter comme la peste, à côté de laquelle il faut passer en se bouchant le nez !

Nous sommes pourtant de cette veine-là, hélas pour vous. Nous appartenons à cette France lointaine, celle que beaucoup méprisent sans connaître, celle que l’on répudie sans frôler, celle qu’on insulte facilement, dans les colonnes, parce que, mon dieu, elle effraie tant avec son écume aux lèvres, avec sa rage débordante, son énergie du désespoir et cette effervescence, pas toujours contrôlée c’est vrai, qui la caractérise.

C’est à cette France que nous parlons, que nous nous adressons, pas à la France flétrie de l’intelligentsia parisienne, celle qui officie dans les couloirs mornes et blancs des salles de rédaction. Nous parlons de France diverse, oui, fièrement, parce que c’est celle-ci que nous aimons et qui est éternelle, et non ce parti de la peur, arc-bouté sur ses privilèges et sa noblesse d’âme, que vous incarnez. Quelle tristesse, lorsqu’on y pense, qu’un journal comme le Nouvel Observateur, naguère si courageux, au temps de la guerre d’Algérie, soit aujourd’hui encalminé, rabougri dans le mépris de l’autre, du faible, de l’opprimé.

L’article qui nous est consacré s’inscrit dans le sillage de cette impotence, et d’un état d’esprit plus général, hélas, qui règne depuis quelques années sur notre pays. L’arsenal de stéréotypes que vous déployez à notre encontre, et avec une joie maligne, est directement hérité d’un paternalisme périmé, instrument de la domination coloniale, qui nie nos capacités à penser de façon autonome, qui nous infantilise et, pire, nous chosifie. Nous ne serions ainsi que les agents perturbateurs d‘une époque, la nôtre, qui échappe totalement à tant de ceux qui se targuent de savoir la décrypter.

Une nouvelle fois, nous constatons que dès que nous sortons des rôles auxquels une partie des élites françaises souhaitent nous assigner, par exemple faire le clown, être gentil et reconnaissant, jouer le voyou repenti, le « grand frère », qui veut s'en sortir, le méchant épouvantail, le sportif, la beurette victime de l'oppression de ses frères, le beur en colère, bref dès que nous aspirons à penser de façon autonome, nous sommes disqualifiés, séance tenante.

Manque de chance, nous ne sommes plus dupes de ces mécanismes de domination.

Encore un peu et nous aurions été traités de minables communautaristes ! Bien sûr, allez, qu’on le dise, il n’y a presque que des Noirs et des Arabes dans notre collectif, et puis presque pas de femmes, aussi. C’est si louche, tout cela… Mais regardons donc du côté du Nouvel Obs, mais aussi de tous ces médias de gauche, affirment-ils, qui consacrent des pages et des pages, de si brillante facture, à ces marronniers tellement vendeurs que sont la violence urbaine, le communautarisme, l’islam, l’intégrisme, les banlieues à feu et à sang, les casseurs, le danger de l’autre côté du périph, les sales gosses et les cancres qui ont détruit l’école républicaine, les voyous qui rôdent, partout, qui sont là, en bas de chez nous, attention ma bonne dame, vous risquez de vous faire tuer en sortant de chez vous, en prenant le RER… !

Et là, on se dit que, finalement, de Sarkozy à la gauche caviar, du Figaro au Nouvel Observateur, de Kouchner à Fillon, il n’y a sur l’intégralité de ces sujets-là, pas l’ombre d’une différence, pas l’épaisseur d’un papier à cigarette. Il y a un consensus, un sale consensus qui pèse au-dessus de notre tête comme une chape de plomb.… Et cela nous encourage, nous réconforte, nous galvanise.

Notre légitimité, celle de notre écriture comme celle de notre action, vient de la rue, du bitume, de la chaleur des dalles en été, de la terre de France ; elle ne vient pas des lignes mesquines d’un hebdo en papier glacé.

Si notre cher pays est encore aujourd’hui, en face du monde, une cage post-coloniale que l’on veut, de toutes nos forces, ouvrir un peu, c’est en partie à cause d’articles tels que celui que nous consacre le Nouvel Obs. Et si, avec ce livre, nous avons cru bien faire, même si, c’est vrai, on ne fait pas de la littérature avec de bons sentiments (ils doivent raffoler de cette citation !), promis, la prochaine fois, on vous niquera votre race !

Collectif « Qui Fait La France ? »

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