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"What a Wonderful World" : un Buster Keaton marocain, tueur à gages et amoureux

Interprète de son propre film, Faouzi Bensaïdi est un Buster Keaton marocain, mine impassible, féru de Jacques Tati et de Johnny To. De son désir de marier burlesque et polar résulte ce film inclassable, à rapprocher uniquement de la veine du Japonais Takeshi Kitano : puzzle de pitreries d'un rêveur somnambulique jouant au gangster dans un monde vu comme un studio de cinéma.

Ici, Casablanca subit les caprices de l'imaginaire de ce cinéphile forcené. D'emblée, il sème les indices d'une démarche vouée à s'amuser avec des sons et des images, des lumières et des cadrages.

Il va faire défiler des scènes de tout genre : travellings latéraux et ralentis, comédie musicale et parodie de muet avec dialogues sur carton, fiches biographiques des personnages incrustrées sur l'écran, clins d'oeil au conte de Cendrillon, dessin animé et castagne tournant à la rumba.

Comme son titre l'indique, WWW (What a Wonderful World) intègre la toute-puissance d'Internet. Les principaux acteurs ont l'oeil vissé sur leur site, les actrices ayant l'oreille collée au téléphone portable. Maroc archaïque et Maroc moderne s'entrechoquent dans une suite de séquences plongeant des personnages d'aujourd'hui dans des situations qui font référence au cinéma d'hier.

Le cocktail visuel et sonore est orchestré avec une liberté de ton, parfois elliptique ou brouillonne, qui peut dérouter.

VÉNÉRÉ TÉLÉPHONE PORTABLE
Faouzi Bensaïdi campe Kamel, un tueur à gages qui reçoit ses contrats sur le Net et les exécute sans états d'âme. Il fréquente Souad, une prostituée occasionnelle qui se fait appeler sur le portable d'une amie, Kenza, laquelle loue son appareil à celles qui n'en ont pas pendant les pauses de son travail comme agent de la circulation.

Et comme c'est Kenza qui décroche, Kamel tombe amoureux de sa voix.

On voit aussi Souad passer l'aspirateur en dansant le mambo, montrer à des amies comment onduler du ventre devant des vieux libidineux pour retarder le moment de passer au lit.

On découvre un hacker tentant de s'infiltrer en Europe, des trafics d'embrouilles, le vol d'un avion en papier entre deux tours. Ici et là, la frustration des amants séparés attise la vénération du son (via le portable) et de l'image (une jeune femme expédie des photos d'elle nue à son époux cantonné dans le désert).

La difficulté de faire se rejoindre voix et visages est le fil conducteur de WWW, où Kamel et Kenza ne cessent de se croiser sans le savoir, avant la rencontre fatale du Clint Eastwood arabe et de la femme flic maghrébine.

Chassés-croisés romantiques dans un train, dans un ascenseur où lui s'est travesti en femme pour échapper à la police...

Tout cela est ludique, peut-être un rien désincarné, mais révélateur d'un vrai talent d'auteur.

Film franco-marocain de Faouzi Bensaïdi avec Faouzi Bensaïdi, Nezha Rahil, Fatima Attif. (1 h 39.)

Jean-Luc Douin
Source: Le Monde

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