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Portrait de Jamel Debbouze, l’indi’djeune

Joyeux trublion des temps modernes, Jamel est actuellement à l’affiche du film «Indigènes» de Rachid Bouchareb. Artiste, homme d’affaires, citoyen à la conscience sociale et politique, Jamel est un comédien peu commun qui jongle avec les casquettes.

«Jamel Debbouze ? Connais pas». «Qui, dites-vous ? Désolé je ne vois pas». «Ce nom me dit vaguement quelque chose, je ne suis plus sûr…». «C'est un artiste connu ? Ah oui, je crois voir. Il n'avait pas fait de la pub pour Maroc Telecom ?» «Il est petit, c'est ça ? Oui je connais un peu, mais je ne sais pas vraiment ce qu'il fait, je ne le regarde pour ainsi dire jamais». Contre toute attente, ces propos ne sont ni le fruit d'une imagination fertile ni la négation envieuse du statut de star de Jamel. Les interrogés vivent bien dans le même pays que vous et moi, terre d'origine dudit Debbouze. Vous voyiez Jamel comme une star ? Il semblerait qu'il n'ait pas réussi une percée généralisée dans les foyers marocains.

À l’inverse, il est l'une des personnalités préférées des Français. Au dernier sondage Ifop, mené en juillet dernier pour le JDD (Journal Du Dimanche), Jamel se classe confortablement en septième position, juste avant Sœur Emmanuelle qu'il apprécie. Il la kiffe, pour parler Jamel, tout comme il kiffe la dernière coupe de cheveux de Claire Chazal, présentatrice du 20H sur TF1. Au fil des années, il est devenu un symbole pour les jeunes générations, issues (ou non, d'ailleurs) des banlieues. Il incarne un franc-parler, une insolence doublée d'une fraîcheur, bienvenus dans cette France de plus en plus sclérosée et morose. Un mot définit Jamel en terre gauloise : populaire.
Marocain ou Français, le public de Jamel semble aussi disparate que la double culture de notre homme. Pour être populaire au Maroc, un comique doit-il forcément être arabophone ? Rien n’est moins sûr. Gad El Maleh semble bien plus populaire auprès des Marocains que son acolyte, bien qu’il s’exprime en français. Question de culture, une fois de plus. Dans le cas de Jamel, sans grande surprise, c’est la frange marocaine exposée aux médias français (ou tout simplement francophone) qui connaît le mieux ce comédien qu’elle suit depuis ses débuts : sa période Canal+, ses spectacles sur DVD (parfois piratés), ceux sur scène (pour qui a su s'offrir les tickets convoités), ses passages télé remarqués mais aussi ses élans de générosité.
Pour d’autres, en revanche, Jamel demeure peu ou pas connu. Tout au plus se souvient-on de sa participation à la campagne de pub pour la carte de téléphonie Jawal. À l’inverse des stars confirmées qui mettent leur notoriété au service d’un produit, Faouzi Diouri, responsable de l’Information à Maroc Telecom, note que «les premières campagnes de communication ont aidé à renforcer la notoriété de Jamel Debbouze auprès de tous les Marocains».

Et pourtant, voilà plus de dix ans que Jamel a entamé son chemin vers la gloire. Son étonnante success story laisse parfois perplexe tant elle semble se perpétuer, tranquillement mais sûrement. Chaque fois que l'on croit sa carrière atteindre son apogée, Jamel va encore plus loin, nous surprenant sur des terrains inattendus.

L’homme d’affaires qui sommeille en lui
ImageTout semble lui réussir. Après des débuts discrets et difficiles, Jamel pousse les portes des plus grandes salles, ses spectacles se jouant à guichets fermés, casse la baraque dans «Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre», carton du box-office français en 2002, et enchaîne depuis les propositions. Pourtant, il ne manque jamais de le rappeler, il revient de loin. Sa jeunesse difficile, on l'a entendue maintes fois déclamée en fonction de l’inspiration, version tire-larmes et violons ou franchement marrante. En revanche, l'homme d'affaires qui sommeille en lui est bien moins connu du grand public. Jamel ne se contentant pas de porter la seule casquette de l’artiste, le monde des affaires lui est de moins en moins étranger.

En France, il orchestre Kissman Productions, notamment producteur du DVD «Jamel en vrai» et du livre «In bed with Jamel». Son frère Karim gère ses spectacles au sein de la société Debjam. Si au cœur de ces sociétés de production les projets maintiennent le comédien au top de sa popularité et de sa fortune, le succès financier profite également à d’autres. Dernier cas de figure en date, Jamel a lancé à travers Kissman Productions le «Jamel Comedy Club». Diffusé sur Canal+ cet été, ce rendez-vous télévisé reprend avec légèreté la formule du stand-up (ou l’art de faire marrer en se racontant, debout), faisant de cette émission une rampe de lancement de jeunes talents comiques. Pour l'épauler dans cette mission, son ami Kader Aoun. Dans l'article «La galaxie Jamel», le quotidien Le Monde revient sur l'influence occulte de ce diplômé de Sciences Po, affublé du doux surnom de «mollah Kader». Rencontré sur Canal+ en 1997, il a co-écrit ses spectacles et la série H et est soupçonné de guider Jamel dans ses choix et ses projets, thèse rejetée en bloc par les deux compères.
Pour «Indigènes», Jamel apporte aussi son sens des affaires. Le film était ambitieux, tant du point de vue de la qualité cinématographique escomptée que de celui du financement requis. Très impliqué dans le film, Jamel a participé financièrement à travers Kissfilms afin de le coproduire et est parvenu par ailleurs à dégonfler de manière importante le budget prévisionnel grâce à un ami de poids, le roi du Roc-ma (verlan, re-parler Jamel). «C’est moi qui l’ai contacté en lui montrant le scénario, raconte Jamel. Il a été touché par cette histoire et m’a dit qu’on pouvait avoir le soutien du Maroc sans aucun problème, qu’il s’agissait d’un devoir de mémoire et qu’il était très fier de pouvoir contribuer à cette histoire». Crédité au générique du film, le Royaume a mis, sur ordre de son monarque, l’armée à disposition du tournage. On note par ailleurs l'appui du transporteur aérien national et de Maroc Telecom, excusez du peu.

Les investissements de Jamel ne se limitent pas à l’Hexagone. En 2002, il annonce, lors de la deuxième édition du Festival International du Film de Marrakech, le lancement d’un projet ambitieux, les Studios Cinématographiques de Marrakech. Depuis, on attend encore, le projet n’ayant pas abouti à ce jour. La communication accompagnant l’annonce du projet s’était faite tonitruante, celle liée à sa mise en œuvre est par contre beaucoup plus étouffée. Jamel explique : «Mon problème aujourd’hui est de réunir les talents, pas le financement». Avis donc aux amateurs : les candidatures pour collaborer à ce projet devraient être prises en compte puisque, visiblement, le financement n’est en rien un problème.

Côté audiovisuel, une chaîne de télévision marocaine à laquelle collaboreraient Jamel et Alain de Greef, ex-directeur des programmes de Canal+, serait en chantier selon le magazine Le Point. Jamel nous le confirme : «Alain de Greef est quelqu’un pour qui j’ai beaucoup de respect et qui a du talent. J’aimerais apporter un maximum de talent dans ce pays qui est encore en voie de développement, poursuit-il, et j’aimerais contribuer à son développement». Quant au concept, Jamel ne le dévoile pas explicitement, mais précise qu’au vu de leurs statuts, lui et Alain de Greef ont «accès à des programmes, à des idées auxquelles on ne penserait probablement pas ici». «Nous avons une tournure d’esprit qui n’est pas la même qu’un Marocain de souche, ajoute-t-il. Ma double culture me permet d’avoir un certain recul. Tout comme Alain de Greef, j’ai l’impression qu’on peut apporter notre pierre à l’édifice». Il conclut en précisant que cet objectif s’exprimant "en toute modestie», il a le sentiment de pouvoir ainsi «apporter un nouveau souffle et un nouveau ton».

Autre société en partie debbouzienne, toujours sur le sol marocain, l’agence Avant Scène. Cette agence de communication et d’événementiel a la particularité de s’être vu confier l’organisation de la sixième édition des Assises Internationales du Tourisme qui ont eu lieu au printemps dernier à Tanger. La décision aurait fait grincer quelques dents (les rumeurs laissent entendre qu’Avant Scène aurait décroché l’organisation grâce aux bonnes entrées de Jamel), mais la polémique s’était faite discrète. Du côté de la société Capital Events à laquelle le marché a été soufflé, le discours est aussi fair-play que prudent. «L’appel d’offres était ouvert et la commission a jugé que l’offre d’Avant Scène était plus compétitive», explique Adil Lazrak, président de Capital Events. «C’est vrai que les cinquièmes Assises que nous avions organisées, ajoute-t-il, ont eu de très bonnes retombées de presse et la qualité était au rendez-vous, tant sur le fond que sur la forme. Ce sont là les règles de la compétition, conclut Adil Lazrak, il faut accepter le jeu». Pour information, on doit aussi à Avant Scène l’organisation de l’avant-première d’“Indigènes” au Megarama la semaine dernière. La société s’apprête également à produire au printemps 2007 pour le public marocain un spectacle réunissant des comiques issus du “Jamel Comedy Club”. Jamel le prouve, on n’est jamais si bien servi que par soi-même.

Le social ou quand l’engagement et le cœur se rejoignent
Outre ces activités lucratives, Jamel est aussi très présent sur le terrain social. De l’avis de ceux qui l’ont côtoyé comme Leïla Cherif, présidente de l’association l’Heure Joyeuse, Jamel n’hésite pas à s’engager et à faire preuve de générosité et d’humilité. «C’est un monsieur vrai, dit-elle, qui ne s’est jamais impliqué à l’Heure Joyeuse pour faire sa pub». Avec cette association dont il est le parrain depuis 2001, les opérations se sont multipliées : dîners de gala au profit de l’association, vente de paires de chaussures Reebok signées Jamel (recettes de 1 650 000 Dhs), organisation d’un match de foot rapportant près d’un million de dirhams, l’effet Jamel est on ne peut plus positif pour l’association. «Tout ceci va nous permettre de faire fonctionner le Centre Princesse Lalla Meriem pour les enfants sans protection familiale», construit par le Lion’s Club Casablanca. «Ce qui nous manque, ajoute Leïla Cherif, c’est les dates de disponibilité de Jamel Debbouze !». Avec un planning comme le sien, on comprend que Leïla Cherif puisse regretter le revers de la médaille.
Jamel se sait médiatisé et n'hésite pas à en faire profiter certaines causes qui lui tiennent à cœur. On a pu le voir soutenir le Téléthon, l’opération “Sauvez Ali” pour sauvegarder la palmeraie de Figuig, les associations Anaïs ou encore Amesip (Association Marocaine d’aide aux Enfants en Situation Précaire). Pour l’anecdote, Touraya Bouabid, présidente de l’Amesip, raconte qu’à l’occasion d’une avant-première du film “Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre”, Jamel a répondu présent à l’appel et fait montre de sa générosité. Il s’enquiert auprès d’elle des recettes réalisées (100.000 Dhs) et lui propose peu après de compléter la recette initialement prévue par un versement de 50.000 Dhs. Un an plus tard, toujours pas trace de l’argent promis. De passage à Paris, Touraya Bouabid rencontre l’assistante de Jamel qui atteste que le chèque a bien été remis à l’association. Après vérifications, le quiproquo se dénoue : les 50.000 Dhs ont été remis à l’Heure Joyeuse, et non pas à l’Amesip. Du côté de l’Heure Joyeuse, Leïla Cherif atteste pourtant que jamais cette somme n’a été attribuée à son association. Le fameux planning de Jamel serait-il à l’origine de ces quelques cafouillages ? Toujours est-il qu’ils sont nombreux à louer sa générosité, Touraya Bouabid la première. «Nous lui avions proposé de prendre en charge sa venue, ajoute-t-elle, mais il a refusé. Il n’a voulu ni billet d’avion ni chambre d’hôtel. C’est tout à son honneur».

Jamel continue d’aller de l’avant sans perdre de vue son objectif, réussir. Dernière réalisation personnelle en date, sa très belle performance dans le film de Rachid Bouchareb, “Indigènes”. Il le porte fièrement, ce film, un long-métrage qui révèle Jamel sous un jour nouveau, un Jamel empreint d’une conscience politique. Fini le Jamel qui répétait sans cesse qu’il n’était ni assistante sociale ni porte-drapeau. Le nouveau Jamel veut restituer leurs droits aux anciens tirailleurs et porter un message fort aux générations issues de l’immigration : défendre sans cesse la légitimité de leur présence en France n’a plus lieu d’être. Il persiste et signe d’un «je suis plus légitime qu'un petit-fils de collabo» bien-senti. Il le clame plus que jamais, ce mot sans cesse ressassé, “intégration”, il le hait. Quant à “Indigènes”, il n’y est point question de haine. «Ce film est une réconciliation», «l’état d’esprit n’est absolument pas revanchard», c’est Jamel qui le dit. Est-ce cette même conscience politique qui lui a valu d'être (encore) refusé d'entrée en Algérie cette semaine, dans le cadre de la promotion d'“Indigènes”? Point d'explications de la part des autorités algériennes, mais tout porte à croire que les positions claires de Jamel sur la marocanité du Sahara expliqueraient cette décision. Restera dans les annales un film qui aura relevé un défi peu commun, le jour même de sa sortie : changer le cours de l’Histoire, en rappelant et en racontant des faits passés aux oubliettes, et réussir à obtenir le dégel des pensions de ces tirailleurs après 47 années d’injustice. «Tu rends compte?»

1975
Naissance à Paris, le 18 juin.

1998
Débuts télévisuels et premier rôle important dans un long-métrage, «Zonzon» de Laurent Bouhnik.

1999
Premier spectacle, «Jamel en scène».

2003
Second spectacle, «Jamel 100% Debbouze».

2006
Prix d’interprétation masculine à Cannes pour «Indigènes» de Rachid Bouchareb.

Le nouveau Jamel veut restituer leurs droits aux anciens tirailleurs et porter un message fort aux générations issues de l’immigration : défendre sans cesse la légitimité de leur présence en France n’a plus lieu d’être.

Aïda Semlali
Source: Le Journal Hebdomadaire

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