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Cinéma Amazigh : Nabyl Ayouch produit deux longs métrages

Les premiers films amazighs produits dans le cadre du projet initié par la société de production de Nabyl Ayouch sont arrivés sur le marché. Il s’agit de deux longs métrages, «Ouache» ou celui qui n’a jamais de chance et «Tiouirga» ou Rêve au sens littéral même si dans le film cela renvoie plutôt à Cauchemar. Les deux films sont réalisés par Brahim Chakiri.

Rappelons que ce projet est l’émanation d’une commande de la SNRT pour la société de Nabyl Ayouch pour produire une trentaine de «films» dont une quinzaine en langue amazighe. Une structure spécifique a été montée à Agadir, la Film industry, pour l’exécution de ce projet inédit dans les annales de l’audiovisuel marocain. Une sorte de fabrique au rythme hollywoodien qui suit le film dans un travail à la chaîne. La question de l’écriture est assurée par des ateliers encadrés par un directeur artistique. Une vive polémique avait suivi la conférence de presse de lancement du projet. On avait reproché au maître d’œuvre en l’occurrence d’avoir transgressé les règles régissant l’octroi de marché dans le cadre des entreprises publiques.

Or, justement la SNRT en est une et obéit dans sa gestion de commande de programmes à des normes strictes qui n’ont pas été respectées dans le cas de figure. De quoi secouer et émouvoir un secteur fragile et en voie d’émergence. Néanmoins et subitement, la polémique malgré la virulence des attaques de départ a sombré dans l’oubli, égarée dans les labyrinthes des centres de décision…

La place est ainsi faite au public pour juger sur pièce la qualité des produits. N’oublions pas de rappeler aussi que le marché du film amazigh est catégorisé très porteur : il y a une forte demande dans un secteur encore en friche. La production amazighe connaît une véritable révolution audiovisuelle qui a marqué la chanson et touche aujourd’hui à la fiction. Certaines tentatives tournées dans des conditions quasi artisanales ont rencontré des fortunes diverses mais globalement reçues avec un grand engouement public notamment de la région du Souss.

Les échos que nous avons reçus concernant les deux films de la Film industry sont largement positifs. Le support privilégié dans un premier temps est le VCD. Une société de distribution s’est jointe au programme pour en assurer la distribution avec des prix abordables (13dh). Il est prévu que certains films seront édités en copie DVD pour assurer une certaine interactivité notamment au niveau du choix des langues (les films sortis actuellement sont tachelhit).

La première remarque à propos des deux films disponibles sur le marché, Ouache et Tiouirga, concerne justement le support : chaque film est édité en deux Cd, ce qui n’est pas très pratique pour assurer une réception confortable. La qualité des images n’est pas non plus exceptionnelle. Ceci n’a pas empêché un bon succès public au départ. Les deux films appartiennent en effet à deux genres dramatiques très prisés par les spectateurs : la comédie (Ouache) et le fantastique (Tiouirga). C’est Mostafa Achour qui signe les deux scénarios.

Ouache est une comédie des situations : Hassan est un jeune qui n’a pas de chance, orphelin de père, il vit avec sa mère et aime sa voisine Aicha. Le jour où pour une fois il trouve un travail, il rencontre celui que tout le monde fuit car «il porte la poisse». Il n’échappe pas à cette fatalité et voit sa main coincée dans les grilles du couvercle d’égout (la première fois que ce trou d’égout apparaît à l’écran, on croit à un clin d’œil au film chef-d’œuvre Mystic River de Clint Eastwood ; mais laissons de côté le délire cinéphilique). Hassan traîne alors ce boulet comme son destin : on refuse de le libérer de cet engin, propreté de l’Etat, sans une autorisation expresse du président de la commune…on imagine facilement les situations comiques qu’il va vivre. Mais ce n’est pas un rire gratuit ; il y a une gentille histoire d’amour, une affaire de détournement de deniers publics…qui assurent au film un ancrage social comme le veut la tradition dans la création artistique amazighe. Le film est structuré comme une nouvelle avec une situation initiale/d’exposition mettant en place les personnages, la problématique à résoudre (le chômage – l’amour de Aïcha), des rebondissements (comportant des scènes d’action) et une situation finale rétablissant un nouvel équilibre et la résolution des questions de départ.

Si la mise en scène se nourrit d’effets spéciaux pour assurer une progression du récit, elle pèche par moments de naïveté notamment dans la construction des scènes. La modernité affichée au niveau du traitement de l’image cède le pas à un découpage classique de la scène. L’apport des comédiens est formidable : ils portent le film et dégagent de l’émotion et de l’empathie. Par contre, le traitement de l’espace isole l’histoire de son cadre ; seule la langue des dialogues renvoie à la dimension amazighe : aucune référentialisation ne vient ancrer l’usage d’une telle langue dans un contexte socio-culturel ; même la ville supposée être Agadir est réduite à des rues, de la poussière et du béton.
Ce qui nous ramène à la conclusion que le débat sur le film amazigh reste encore posé.

Rafik Mahmoud
Source : Libération Maroc

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