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France: Ils ressuscitent la grande mosquée

Jardin, fontaines, patio... Conjuguant leurs talents, artisans angevins et "maalems" marocains redonnent en ce moment vie à la grande mosquée de Paris. Financée par la France, l'Algérie et le Qatar, la première tranche des travaux sera inaugurée cette première quinzaine de juin

Lundi, c'est jour de réunion de chantier. Dans le jardin d'entrée de la grande mosquée de Paris, comme toutes les semaines depuis le mois de juin 2005, les artisans chargés de réhabiliter le lieu saint s'affairent à ciel ouvert. Un léger rayon de soleil éclaire la main de Freddy. Le geste sûr, il verse une poudre d'ocre sur de la chaux. "Je suis en train de recouvrir la base de chaque colonne pour que l'ensemble soit harmonieux", lance-t-il en caressant le "tadelakt", du plâtre poncé à la main par ses collègues marocains, donnant aux piliers cet aspect poli et marbré.

Tailleur de pierre angevin plutôt habitué à l'architecture française "du VIII e au XVII e siècle", Freddy se fait ici le relais et l'interprète entre la société chargée des travaux et les maîtres artisans marocains venus spécialement de Fès, terre de prédilection des maalems spécialistes de la pose et de la découpe de mosaïque. Palais du royaume de Mohammed VI, villas de la côte méditerranéenne, mosquées, et même parc Disney en Floride, on ne compte plus les coups d'éclat de ce corps de métier traditionnel.

L'art du "zellige" L'eau, élement essentiel

"Le zellige (carreau d'argile recouvert d'émail) est un art ancestral hérité de nos pères, qui ont parsemé l'Andalousie de joyaux d'architecture, comme l'Alhambra de Séville", racontent fièrement Ghali et Abdenabi, plaçant un à un de minuscules pièces sur la fondation d'une fontaine. "Comme mon père et mon grand-père, je fais ce métier depuis seize ans. J'ai notamment travaillé sur un aéroport du Burkina, dans des jardins andalous en Egypte, dans la mosquée de Constantine, en Algérie..." souffle Ghali.

Chacun des morceaux composant les mosaïques est taillé à la main à l'aide du "menqach", sorte de marteau effilé que Freddy désigne du doigt, sous l'un des abris de fortune installés sur le chantier : "Avant de réaliser ces énormes puzzles qui recouvrent les sols et les murs, c'est là-dessus qu'ils travaillent. Si je me sens capable de rivaliser avec eux au niveau de la pose, je suis réellement impressionné par l'habileté et la vitesse avec laquelle les maalems ont ciselé ces dizaines de milliers de petits caractères. Il y en a pour des tonnes de zellige."

Un chantier à la croisée des savoir-faire européen et maghrébin. Il n'en fallait pas moins pour rallumer la flamboyance de la grande mosquée, qui accueille chaque jour des centaines de fidèles, des milliers certains jours (pour la fin du ramadan ou pour l'Aïd el-Kebir), et chaque année 60 000 visiteurs.

Dans le patio attenant à la salle de prière et à la salle d'ablutions des hommes, Zoubir Sahli, directeur des moyens généraux du lieu, dresse l'inventaire des dégradations : "Graves problèmes d'étanchéité sur les murs de l'enceinte, fissures sur les façades, chapiteaux salis, mosaïques très abîmées, végétation plantée anarchiquement, sans réelle cohérence au fil des époques, il était temps d'intervenir."

Longeant une fresque où s'étale un poème religieux écrit en arabe, notre guide s'attarde au bord d'une grande vasque vide : "En ce qui concerne l'eau dans les jardins, nous avons reconstruit des bassins d'infiltration pour ne plus faire de gaspillage. L'éclairage nocturne a par ailleurs été totalement repensé. Et dans le cadre de la seconde tranche de travaux, une concertation devrait être engagée avec des spécialistes des jardins de l'Islam."

Botanistes de l'Alhambra, des espaces verts de Paris et des Monuments historiques, tous pourraient apporter leurs lumières pour que scintillent essences et parfums. Des contacts en Iran, où fleurit notamment la fameuse rose du Prophète, sont également envisagés.

En attendant que le tintement de l'eau résonne à nouveau dans le jardin d'entrée, c'est le bruit du menqach qui se fait entendre. Les artisans s'activent toujours, la tête penchée sur le zellige. La mosquée absorbe chaque jour un peu plus l'esprit des maalems.

Par Olivier Aubrée
Source: Metro

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