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Un souffle d'espérance à Essaouira

Contribution suite au Festival des Andalousie atlantiques à Essaouira

Toute l'activité, la créativité, la vitalité de l'esprit humain reposent sur les associations d'idées. Si nous n'avons pas d'idées diverses à nous proposer les uns aux autres, si nous n'avons pas d'images et de savoirs multiples à nous offrir, si nous n'avons pas de différences à échanger, cette vitalité s'effondre. C'est le danger que fait peser sur nous le totalitarisme culturel des États-Unis, totalitarisme inspiré non par une idéologie, mais par la prépondérance économique et militaire. L'uniformité conduit à l'entropie, et l'entropie est une situation de mort.


Aussi paralysante pour l'échange des idées est l'attitude de ces minorités fanatisées par de faux prophètes fous, et qui, non seulement interdisent tout échange avec les autres cultures, mais en exigent la destruction. Ce fanatisme engendre des humains déshumanisés, conditionnés pour rechercher la mort en tuant aveuglément des semblables qu'ils regardent comme des dissemblables. Le terrorisme, qu'on pouvait croire sporadique et passager, tout au contraire, s'incruste, se multiplie et s'organise, en usant d'armes de plus en plus destructrices. On peut redouter que des États eux-mêmes ne soient gagnés par un terrorisme de masse, qui provoquerait en retour l'anéantissement de leur nation.


C'est sur ce double danger de réduction à la culture unique que des écrivains, philosophes, artistes, universitaires et journalistes du Maroc, de France, du Brésil, d'Espagne, du Portugal, du Mexique, ont réfléchi ensemble, l'autre semaine, à Essaouira, lors du Festival des Andalousie atlantiques. Leurs réflexions ont pris des titres tels que : «Patriotismes partagés et culture métisse», «Métissage culturel et intellectuel, salut des nations»... Des choses intelligentes, salutaires si elles sont entendues, se sont dites là, entre les représentants des cultures héritières de la grande école de Cordoue. J'ajoute que le colloque s'est tenu entièrement en français, langue partagée par tous les intervenants.


Mais pourquoi «métissage» plutôt que simplement «tissage» ? Je souhaiterais voir préféré le second terme quand il s'agit de culture. Autour de métissage, flotte encore une vague connotation péjorative ; le métis n'est ni d'ici ni d'ailleurs. Tissage, rapporté aux civilisations, évoque, sur une solide trame nationale, les fils de laine, de soie ou d'or formant les étoffes aux dessins et nuances innombrables qui revêtent nos décors et vêtent nos personnes.


Essaouira est en soi un exemple de tissage des cultures. Établissement le plus aventuré des Phéniciens sur le rivage atlantique, au VIIe siècle avant notre ère, prospère au temps romain parce qu'elle produisait la pourpre consulaire, les Berbères qui l'habitaient virent vers l'an 700 les chevaux des conquérants arabes s'arrêter devant l'océan. Les Portugais s'en emparèrent au début du XVIe siècle et lui donnèrent le nom de Mogador, qu'elle porta jusqu'à notre époque. Les Juifs, protégés des sultans, formaient alors plus de la moitié de la po pulation, important l'or qui arrivait des côtes africaines. Et quand Mohammed ben Abdallah, souverain visionnaire, décida, au milieu du XVIIIe siècle, d'en faire un grand port de commerce, à qui s'adressa-t-il ? A un Français, ingénieur militaire que ses corsaires avaient capturé. Ce fut ce disciple de Vauban qui dota la ville de ce fort blond toujours magnifique, hérissé de cent canons espagnols, de ces bassins de pêcheurs, grouillants et colorés.


Il n'est pas étonnant que ce soit sur une telle sédimentation de civilisations que soit passé un souffle d'espérance, en permettant à quelques voix de bonne volonté de proclamer que le tissage des cultures, c'est la vie.

Par Maurice Druon De l'Académie française

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