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A Essaouira, la baraka gnaoua

La huitième édition de «Gnaoua et Musiques du monde» aura lieu du 23 au 26 juin dans la cité des alizés

Faut-il qu'elle ait reçu la baraka, cette force bénéfique qui émane des membres de la confrérie des Gnaouas, pour qu'Essaouira figure sous les feux de la rampe ? Depuis la création du Festival Gnaoua et Musiques du monde, en 1998, la cité marocaine n'a cessé d'accueillir un nombre croissant de curieux, 400 000 l'an dernier, dix fois sa population. «Essaouira est l'un des plus grands festivals de notre temps», s'enorgueillit André Azoulay, président fondateur de l'association Essaouira-Mogador et inconditionnel de ce rendez-vous, dont la huitième édition aura lieu du 23 au 26 juin*.


Il en fallut de l'audace pour choisir les Gnaouas, confrérie marginale, pauvre et discrète, ces descendants d'esclaves des pays d'Afrique subsaharienne (Mauritanie, Sénégal, Mali, Guinée), comme étendard de la culture d'Essaouira. «Ce choix fut le plus surprenant, le plus difficile et certainement le plus risqué, reconnaît André Azoulay, également conseiller souiri (natif d'Essaouira) du roi Mohamed VI. Mais cette ville, qui s'endormait alors dans une sorte de coma qui aurait pu être irréversible, ne pouvait renaître qu'à partir de ce qui était légitime, son histoire, son patrimoine dont font partie les Gnaouas.»


Longtemps, l'ancienne Mogador souffrit d'être l'oubliée du royaume chérifien. «A Essaouira, le sort nous a souvent obligés à cultiver notre différence, essentiellement pour exister», affirmait le responsable, en préambule à l'une des premières éditions, assurant que l'événement «avait ce qu'il fallait d'insolence, voire de provoquant pour trouver sa juste place dans le discours local». Aujourd'hui, sa portée retentit bien au-delà des remparts de la Sqala qui, depuis le XVIIIe siècle, protègent des assauts maritimes la médina aux maisons blanc et bleu.


«Les festivaliers viennent de tout le Maroc mais aussi de Nouvelle-Zélande, d'Australie, de Finlande, de pays qu'on n'imaginait pas, simplement parce qu'ici, c'est Woodstock», poursuit André Azoulay. Quatre jours durant, c'est en effet la métamorphose. La petite ville du bord de l'Atlantique réputée pour sa quiétude, ses sardines grillées sur le port, ses vagues et ses alizés qui en font le royaume des véliplanchistes, vit aux rythmes du guembri (luth tambour à deux cordes), des querqebats (doubles castagnettes de fer) et du tbel (tambour). «La musique libère les âmes», aiment à dire les Gnaouas. Ils sont musiciens thérapeutes, voyants, acrobates danseurs. Ils ne livrent ici que la partie profane de leur répertoire. «Leur musique permet d'exorciser nos angoisses», ajoute Karim Ziad, l'un des trois directeurs artistiques du Festival. Très vite l'alchimie opère avec le public, mais aussi sur scène, où ces artistes magiciens invitent des musiciens venus d'ailleurs, du jazz, du blues, du rock, de cette scène si réjouissante des «musiques du monde», s'abandonnant à une fusion inédite avec les Gna ouas.


«Basée sur le mode pentatonique qu'on retrouve dans toute l'Afrique avec différents ornements, la musique gnaoua est une base d'improvisation qui permet d'accueillir de nombreux invités», insiste Karim Ziad qui taquine la muse depuis les débuts. Batteur de l'éclectique trio Bozilo, le public entendra son répertoire empreint de sons et de rythmes du Maghreb et des Balkans jeudi, lors du concert d'ouverture. «Ces rencontres restent des moments privilégiés, de découverte, de partage et d'échanges, souligne Neila Tazi, directrice du Festival.


Sur les deux grandes scènes Moulay Hassan et Bab Marrakech, vont se succéder dix groupes étrangers, venus de France, celle de l'Hexagone et celle de l'île de la Réunion, d'Arménie, de Singapour, du Mali, d'Égypte et du Sénégal. On écoutera notamment la diva malienne Naïny Diabaté accompagnée aux percussions du maâlem (maître) gnaoua Mahmoud Guinéa, le compositeur égyptien et ré-inventeur de la pop arabe Fathy Salama, ou encore le groupe franco-algérien Thalweg, qui marie des mélodies berbères et des rythmes kabyles sur des airs gnaouas. Et puis viendra Youssou N'Dour (dimanche à 16 heures), dont le dernier opus Egypte résonne comme un écho à la philosophie gnaoua. Car l'album, par la voix (voie ?) des confréries soufies sénégalaises, est un savoureux voyage mélodico-mystique.


Sept autres scènes vont consteller Essaouira, dont deux dédiées aux concerts acoustiques, les seuls payants. «La gratuité reste la règle», insiste André Azoulay. Pour la première fois cette année, l'électronique sera de la fête, tandis qu'un documentaire intitulé Les 7 couleurs de l'univers, diffusera un bel éclairage sur «la transmission du savoir» par le langage chromatique des Gnaouas. Une confrérie sortie de l'ombre grâce à son art, et qu'André Azoulay rêve de voir proclamée, comme la place Jemma-el-Fna à Marrakech, patrimoine oral et immatériel de l'humanité.

* Rens. : 00 212.22.36.34.05. www.festival-gnaoua.co.ma

Source: Le Figaro

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