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Littérature : Un Fassi peu banal

Les tribulations d'un Juif marocain au siècle de Philippe II.

On sait que 1492 est une date clé de l'histoire occidentale. Cette année-là vit la « découverte » de l'Amérique, bien sûr, mais aussi la chute de Grenade et l'expulsion quasi simultanée des Juifs d'Espagne. Une bonne partie de ceux-ci traversa le détroit de Gibraltar et s'installa à Fès, alors capitale du Maroc. Les musulmans leur firent bon accueil. Une coexistence de plusieurs siècles allait s'ensuivre, pour le plus grand profit des deux communautés.
Ces réfugiés - comme on les appellerait aujourd'hui - et leurs descendants prirent d'emblée une part importante dans la vie publique (notamment à la cour du sultan), dans la diplomatie et dans le commerce. Parmi les Fassis d'origine juive espagnole, Samuel Pallache, le héros de ce livre passionnant, mena une vie qui a tout d'un roman : d'abord une éducation où l'apprentissage du chaldéen côtoie la lecture de la Bible en hébreu et son commentaire en arabe ; puis une vie d'espion double, voire triple, où cet émissaire du sultan essaie de vendre au roi d'Espagne, pour son propre compte, un plan d'invasion d'Asilah ; une douteuse conversion au catholicisme pour mieux trafiquer les pierres précieuses au Portugal ; une carrière d'intermédiaire entre puissances européennes. Et il trouve encore le temps de se marier et de fonder une famille !

On retrouve Samuel Pallache à Londres, où il est jugé pour piraterie. N'a-t-il pas armé des vaissaux de corsaires ? Sa défense est si brillante que l'accusation publique recommande... son embauche au service de Sa Gracieuse Majesté... Notre héros ne s'attarde pas sur les rives de la Tamise. Le revoilà aux Pays-Bas où, après s'être reconverti au judaïsme, il monte une alliance stratégique entre les Hollandais et le sultan. Il n'oublie pas ses propres affaires : les Bataves regardent avec stupéfaction ce Juif marocain accaparer sous leur nez une partie de leur commerce extérieur. Mais il n'en a cure. Le voilà qui fait des offres de service à un autre sultan, celui d'Istanbul...

Bref, qui a besoin de romanciers, quand on a des historiens capables de retracer avec minutie des vies qui rivalisent avec les fictions les plus débridées ?

A Man of Three Worlds, de Mercedes Garcia-Arenal et Gerard Albert Wiegers, Johns Hopkins University, 174 pages, 50 euros.

FOUAD LAROUI
Source : Jeune Afrique - L'Intelligent

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