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Et si l’immigration exerçait aussi son droit de retrait ?

Lorsque le bon sens ne suffit pas, alors dire sa réprobation devient une nécessité et un acte citoyen. A l’approche de chaque échéance électorale en France la question de l’immigration s’invite et s’installe avec le lot habituel de mauvaise foi et autres instrumentalisations. Elle devient le lieu commun pour déverser ce qu’il y a de vil ou d’abject : le rejet, l’égoïsme et la xénophobie.

Non seulement il n’est pas juste de se servir de l’immigration et de la vie des immigrés, tantôt comme épouvantail et tantôt comme souffre douleur de tous les maux de la société française ; mais on ne ferait pas mieux pour attiser ces mêmes réflexes contre les ressortissants français eux-mêmes ailleurs. Polariser le choix du destin politique ou le projet de société du pays sur cette question relève de l’escroquerie politique et de la captation indue des souffrances de nos concitoyens en France bien réelles mais dans lesquelles l’immigration n’est pour rien.

Aussi et partant de l’engagement sincère des militants soucieux d’attirer l’attention sur les questions de l’immigration en de telles occasions. Je ferais simplement observer que l’expérience a déjà démontré qu’l y avait rien à attendre des promesses électorales et autres manifestations compassionnelles vides de toute action qui mérite mention. C’est dans la durée et dans la continuité que les problèmes, les difficultés, les injustices ou les inégalités doivent trouver leur résorption. Et il va sans dire que l’efficacité dans ce sens ne saurait être une approbation de principe sans contrôle de tout ce qui se dit mais une extrême précision dans le descriptif des difficultés que rencontrent les gens.

Concernant les personnes âgées et dans un propos que je limite à l’exemple de l’immigration marocaine, voici ce qui me semble constituer les difficultés principales du moment, libre à chacun de les enrichir par sa propre pratique ou expérience ou avec les similitudes que l’on pourrait trouver concernant d’autres personnes âgées d’autres nationalités. Les réalités migratoires aujourd’hui et partant de cette seule tranche de la population immigrée ne sont plus identiques, ni dans leurs formes et modalités de présence, ni dans leur rapport aux pays d’origine et moins encore dans leurs perspectives au sujet d’un retour définitif ou non, d’une présence intermittente ou d’une fixation totale dans l’hexagone. Tout ceci doit être pris en compte pour une plus grande lisibilité des difficultés des gens et pour une pertinence dans les axes de revendications.

Annoncer d’emblée à leur sujet une retraite ou une fin de carrière professionnelle problématiques peut paraître inexact. Certes, les immigrés comme les français arrivés à la retraite peuvent accéder à leur retraite et disposer des revenus afférents à celle-ci. Cet accès aux avantages du droit commun français n’est pas mis en cause. Ce sont cependant la mise en pratique dans l’accès à ce droit, les difficultés inhérentes à la gestion des carrières et au recouvrement des droits et la situation souvent désavantageuse des immigrés dans l’ensemble des politiques sociales de solidarité destinées aux personnes âgée à faibles ressources qui retiennent l’attention.
Certaines difficultés rencontrées sont d’ordre administratif, liées à la reconstitution des carrières et à la liquidation des pensions retraite. D’autres dysfonctionnements constatés sont relatifs à l’accès à des prestations vieillesse de solidarité, non contributives et soumises à des conditions diverses dont les plus importantes sont les conditions de nationalité, de territorialité et durée de résidence en France.


La reconstitution des carrières
A un public majoritairement analphabète et peu rompu aux rouages administratifs des difficultés à la hauteur de son handicap. Telles difficultés qui sont encore perceptibles :

* Au sujet de l’établissement ou de la concordance d’éléments d’état civil en rapport avec des patronymes qui varient parfois d’un document d’état civil à un autre ;

* Des dates de naissance qui sont souvent d’une grande approximation parce que l’état civil est bien antérieur à la naissance dans de nombreux cas et qu’il s’agit là de questions juridiques, que ni les juridictions françaises, ni les administrations hexagonales ne sont habilités à résoudre.

* Mieux encore ou pire, dans certains cas les documents produits sont frappés de nullité de par leur « caractère artisanal » ou parce qu’établis dans une langue étrangère et donc inaccessibles aux agents des services administratifs.

* Nous avons tous en mémoire la situation complexe dans laquelle se sont retrouvés certains travailleurs immigrés marocains justement, particulièrement dans les secteurs minier et du bâtiment, qui étaient trop vieux biologiquement pour être encore des actifs, mais trop jeunes encore au regard de la légalité (de l’état-civil) pour prétendre à la liquidation de leurs pensions. Telle difficulté qui avait revêtue un caractère particulier au moment des départs/mises aux rebuts massifs des salariés dans les années 80.

* L’essor économique d’une certaine époque en France, celle du plein emploi était aussi une période de tentation où l’on changeait de secteur d’activité au gré de l’embauche et des « petits plus » qu’on pouvait toujours avoir. Mais une mobilité professionnelle qui n’était pas toujours sans risque aussi et certains s’en sont aperçus à leur dépend en fin de carrière, lorsqu’ils étaient dans l’impossibilité ou l’incapacité de justifier des années de labeur ou des périodes d’activités, par absence de justificatifs attestant de leur exercice professionnel.

* Enfin, dans certains cas les pensions seront nécessairement faibles et imputées. Elles le sont devant l’impossibilité de valider et de faire valoir les périodes d’activités dans le pays d’origine.
A tout ceci, il faudrait ajouter que si les retraites sont forcément faibles, c’est parce qu’il s’agissait souvent de travail et de travailleurs non qualifiés et par conséquent de bas salaires pris en compte dans le calcul des pensions de retraite.

Les prestations non contributives
C’est seulement depuis 1998 et par des recours divers devant les juridictions françaises et européennes que la condition de nationalité n’est plus exigible pour l’accès à des prestations venant souvent compléter un revenu faible (loi Reseda du 11 mai 1998). Reste à signaler que ces prestations sont conditionnées par la situation administrative (être titulaire d’un titre de séjour) et par la régularité du séjour en France (une présence ininterrompue si ce n’est sous des conditions aussi). Des difficultés substantielles sont à signaler dans ce prolongement comme les lenteurs subies dans la régularisation des situations lorsqu’il faut produire un document d’état-civil (par exemple le certificat de vie ou de résidence du conjoint au pays) délivrés seulement dans le pays d’origine.
A ceci s’ajoute le fait que ces prestations ne sont aucunement exportables et qu’elles exigent la résidence du demandeur/bénéficiaire sur le territoire métropolitain.

Enfin, reste à signaler que si l’esprit de la loi n’est pas/n’est plus discriminatoire serait-ce au prix de « correctifs juridiques » venus rétablir une équité dans l’accès à ces prestations, les difficultés qui subsistent résultent de l’interprétation de la loi et des exigences administratives annexes des établissements publics prestataires. Des exigences extrêmement variables dont la logique et la cohérence ne sont souvent compréhensibles que de ceux qui les annoncent ou disent s’en tenir dans leur application au strict respect de la loi.

Une population âgée immigrée est particulièrement exposée à ces difficultés et nous en comptons un nombre non négligeable pour le Maroc : ce sont ces personnes qui sont ici et ailleurs à la fois, mais ni totalement ici, ni totalement ailleurs. « Transitaires », « célibataires » ou encore « navettes » comme disent certains à leur sujet. Des vieux en transhumance perpétuelle jusqu’au terme de leurs vieux jours.

C’est peut-être à la lumière de la situation de cette population singulière que les inconvénients des plus récentes décisions administratives méritent examen :
Concernant le titre spécial pour les retraités (la carte retraité) qui s’adresse aux immigrés titulaires d’un titre de séjour, d’une pension vieillesse contributive et qui établissent leur résidence hors de France, les facilités que ce titre apportait : Renouvellement de plein droit, circulation sans obligation de visa, ne peuvent laisser ignorer les contraintes ou les restrictions que peuvent constituent :

• Ne plus pouvoir séjourner en France plus de douze mois, renoncer aux prestations non contributives, à l‘aide au logement et aux remboursements des soins.

• A signaler toutefois que les prestations de l’assurance maladie ne sont ouvertes au titulaire de cette carte et à son conjoint en séjour temporaire en France que sous d’autres conditions également.
Tout ceci mérite une clarification et surtout une simplification. Plus globalement, encore on ne dira pas assez le besoin d’une harmonisation qui s’impose, dans ce domaine des retraites, de la protection sociale et de l’accès aux droits entre les différents mécanismes juridiques et administratifs qui se trouvent engagés par des décisions juridictionnelles françaises, les textes de lois en cours, les décisions des juridictions européennes et les conventions bilatérales, en l’occurrence ici la convention franco-marocaine de sécurité sociale.

Et au fond n’est-il pas possible d’envisager que l’immigration puisse exercer elle aussi son droit de retrait d’un climat délétère ?

NB : Droit de retrait : se retirer d’une situation dangereuse ou contenant un danger imminent.

Omar Samaoli - Gérontologue
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