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PJD : Les Marocains entre espoir et doute

Législatives 2007 : Le Parti de la Justice et du Développement (PJD) crédité de 47% des votes par un institut Américain

Depuis quelques temps, le Parti de la Justice et du Développement (PJD, mouvance islamiste) est sous les rampes aussi bien de la presse nationale qu’internationale. Et pour cause. Le parti de Saad Eddine el-Othmani est donné gagnant aux législatives de 2007 devant renouveler la Chambre des Représentants, par un sondage d’International Republican Institute. Une ‘’victoire’’ qui ravit les uns et donne des sueurs froides aux autres. Avec bien évidemment des arguments divers. Mais au-delà de la fascination des uns et de la répulsion des autres vis-à-vis des islamistes, beaucoup de leçons restent à apprendre de ce sondage…

A la question ‘’ Si les élections parlementaires étaient tenues demain et que vous ayez à décider tout de suite de votre vote, vers quel parti politique pencheriez-vous ?’’ Résultat : 47% des sondés ont penché en faveur du Parti de la Justice et du Développement (PJD), 17% pour l’Union Socialiste des Forces Populaires (USFP) et 12% pour le Parti de l’Istiqlal (PI). Le sondage a été réalisé par l’Institut Républicain International (IRI) auprès de 1500 personnes interrogées à domicile à travers un questionnaire dont le remplissage nécessite 30 minutes en moyenne. De cette prospection dont une partie de la presse nationale a donné l’écho, on nous apprend que les préoccupations des Marocains sondés étaient l’emploi et le chômage (74%), la lutte contre la pauvreté (37%), le niveau de vie (27%), etc.

Un sondage n’est pas une science exacte. Elle est plutôt la photographie instantanée des réactions d’une partie de l’opinion publique, comme aiment à rappeler les sociologues des médias. Et l’opinion publique se caractérise par sa versatilité selon les circonstances et les conjonctures. Mais un sondage n’est pas dépourvu pour autant d’intérêt, car, il permet de saisir l’état d’esprit d’une population donnée à un moment donné. Bref, que faut-il retenir de ce sondage, mis à part le triomphe présumé des ‘’islamistes modérés’’ ? Que les Marocains sont tiraillés entre l’espoir de voir un parti qui serait (enfin ?) plus attentif à leurs moindres desiderata, un parti qui réduirait les aspérités sociales, un parti qui ne ferait pas des deniers publics un citron dont seuls les tenants des rênes suceront. Pour résumer un parti qui, comme sous l’effet d’une baguette magique, transformerait les quartiers défavorisés de Sidi Moumen à Casablanca ou encore de Jbel Raissi à Rabat en endroits cossus comme Hay Riad, Souissi… Et le doute sinon la crainte de voir un parti qui viendrait étouffer leurs libertés, qui emprisonnerait les femmes dans des tenues qui les priveront d’air froid comme…en Afghanistan sous les talibans, un parti qui les priverait de la dive bouteille (pour les amateurs), etc. Chacun a le droit de s’adonner à des conjectures sur le canevas des événements si le PJD venait à remporter les élections ! Mais question intéressante : comment ce parti qui a beaucoup pâti de son image au lendemain des attentats meurtriers de Casablanca a pu reprendre aussi rapidement du poil de la bête ? Beaucoup évoquent les raisons suivantes :

Le PJD bénéficie d’atouts certains tels la cohésion et la discipline internes, ‘’un marketing savamment dosé et une propension au travail dont peu de partis peuvent se targuer’’ qui lui permettent de thésauriser des militants et sympathisants. Mais aussi le discours populiste de ce parti qui a su exploiter le vide laissé par les partis jadis mastodontes trusteurs de la vie politique et intellectuelle du royaume à l’image de l’Istiqlal ou de l’USFP…Des partis qui semblent aujourd’hui s’éloigner du ‘’Maroc d’en bas’’, et qui traîneraient auprès d’une certaine frange de marocains l’image de partis qui se seraient embourgeoisés et devenus snobs vis-à-vis des ‘’petites gens’’…

Autre élément de réponse, c’est que ce parti est dans l’opposition, dans à peu près la même posture que l’USFP en 1998, qu’il n’est pas comptable du bilan contrairement à l’Istiqlal et au parti de Yazghi qui sont dans la majorité… Le ras-le-bol des citoyens qui se sont peut-être dit : pourquoi ne pas les mettre à l’essai et les juger au résultat même si l’on aura affaire à des islamistes ?

Aussi ces partis sont-ils minés par des crises intestines et des problèmes de leadership (le PJD n’est pas lui aussi un long fleuve tranquille…), ce qui les affaiblit. En plus, un parti comme l’Istiqlal semble dormir sur ses lauriers, nostalgique de son passé de résistant farouche au colonisateur. C’est ce qu’a remarqué le sociologue Nourredine Zahi qui déplorait dans les colonnes de La Vie Eco du 7 au 13 courant : ‘’ (…) l’abandon du travail de terrain et de proximité par les partis de gauche, qui n’essayent même plus de capitaliser leur passé. Ils ne tentent même plus de rallier de nouvelles recrues et laissent le terrain vide.’’ Alors que le Palais, selon Nourredine Ayouch à l’hebdomadaire français Le Nouvel Observateur, aimerait des partis forts à la hauteur de ses ambitions : ‘’ Le roi a été déçu par la timidité du gouvernement. Les ministres n’ont pas su s’imposer. Et c’est pour cela que le roi a dû gouverner à leur place…Ce sont deux ou trois partis forts que ‘’M6’’ aimerait avoir en face de lui’’ Le parti du docteur de Saad Eddine el-Othmani fera t-il partie de ces deux ou trois formations fortes ? Il peut en rêver surtout que le PJD avait fait sensation en 2002 en raflant 42 sièges, alors qu’il s’est délibérément défendu de ne se présenter que dans 60% des circonscriptions, et qu’aussi le palais lui fait des yeux doux tout comme le Département d’Etat américain…

Voir par ailleurs l’Oncle Sam soutenir des islamistes peut paraître contradictoire, mais selon beaucoup d’observateurs, ce changement d’attitude s’expliquerait par le désir des USA de les soumettre à l’épreuve du pouvoir pour les voir se casser les dents comme les gouvernants traditionnels. C’est en tout cas le souhait de certains milieux intellectuels américains qui conseillent à l’Etat de laisser les islamistes gouverner ‘’pour entamer leur aura’’.

Pour les partis traditionnellement présents sur la scène politique nationale, cette ‘’percée’’ du Parti de la Justice et du Développement (PJD) leur aura au moins ouvert les yeux sur un constat : qu’en politique rien n’est jamais acquis définitivement. Que la proximité avec les populations est capitale pour prendre connaissance de leurs profondes aspirations. Que les Marocains ne sont plus ceux qu’on venait baratiner à l’approche des élections pour recueillir leurs voix et les jeter ensuite comme de vulgaires kleenex. Que le vote sanction n’existe pas que chez Chirac ou chez Berlusconi récemment…

Que si par ailleurs le PJD qu’on dit modéré, bifurquait vers le fondamentalisme une fois au pouvoir (il ne peut pas le montrer maintenant, car il cherche le pouvoir et quand on veut du foin on peut même faire l’âne…), ils en seront responsables ; et les Marocains ne leur pardonneront jamais cette régression. Les médias nationaux auront aussi leur part de responsabilité. Car ceux-ci dans leur campagne de dénonciation du ‘’péril islamiste’’ en les mettant à toutes les sauces, parfois sans discernement, ne font qu’apporter, sans le savoir, de l’eau au moulin des islamistes.

Les traditionnels partis politiques sauront-ils se refaire une virginité ? En tout cas une mise à niveau et des politiques structurées et opérationnelles sont salutaires. Car le peuple marocain en a marre d’énièmes plans d’actions et des discours vides.

Bassirou Bâ
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