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L’œuvre de Mohamed Khair-Eddine : Forme et contenu ; exil, spécificité et universalité

Comme pour tous les créateurs hors du commun, qualificatifs et surnoms abondent au sujet du poète et romancier, Mohamed Khair-eddine, «écrivain fondamental qui a intégré dans son œuvre les mythes fondateurs de la culture marocaine», enfant terrible, écrivain iconoclaste, écrivain de l’exil, exilé de l’écriture, poète visionnaire, anarchiste bon vivant, rêveur errant, philosophe de l’oralité, etc.

En fait, pour schématiser les idées, l’originalité de Khair-Eddine semble tenir du culte du paradoxe, cette propriété formidable de l’intellect qui fascine tout esprit libre et parfait qui cherche à embrasser la réalité du monde dans sa complexité multidimensionnelle, que cela soit sur le plan de la nature, de l’Homme, de la société ou du pur intellect (mathématique et logique).

En tant qu’écrivain créateur, Khair-Eddine appartient à cette lignée d’artistes passeurs de ponts et de passerelles entre des entités et des espaces dont les antinomies font - pour la logique du commun des mortels - qu’ils ne peuvent entretenir qu’un rapport d’exclusion et d’excommunication. Que cela soit sur le plan linguistique (lexique, syntaxe et sémantique), des types de discours et de genres littéraires (poésie, prose, narration, essai), des éléments de narration (voix, espace, temps, etc.), de l’éthico social (valeurs du bien et du mal) ou de l’ethno culturel (identité, altérité, spécificité, universalité), Khair-Eddine a, en fait, horreur du train-train monotone des platitudes rassurantes des zones centrales balisées par des sentiers battus. Seuls les confins, tampon mouvants, risqués, polyvalents, voir ambigus, des inter mondes antinomiques, semblent l’intéresser vraiment en tant qu’arènes pour son aventure d’écrivain.

Son aventure consiste en ce que, à chaque zone tampon, entre deux monde antinomiques, il réussisse à élaborer des anamorphismes vertigineux où la réalité de chacun des deux mondes est présentée sans fard plastique ni éthique, sans euphémisme linguistique, mais projetée à travers un prisme philosophique et artistique qui, mutatis mutandis, en donne un tableau hallucinogène à la Goethe, à la Camus, à la Francis Bacon, à la Salvador Dali, à la Picasso, à la Stravinsky, voir à l’Ezekiel et autres, selon le cru du thème et la cuvée du moment et des circonstances. «Il y a chez lui une vision du Maroc qui montre de façon hallucinante les contradictions, les déchirements, le côté tragique du pays, nom pas sous une forme organisée mais sous une forme poétique» (E. A. El Maleh 2005 : 59). 1

Pourtant, si les procédés de construction de la fiction de Khair-Eddine se recoupent avec ceux de la catégorie des créateurs cités, les espaces ethnico sociaux, socioculturels et d'environnement naturel où évolue la majorité des épisodes de sa fiction, le rattachent plutôt à la lignée d’un Al-Mohktar Al-Soussi, d'un Bou-Ifergan et de tous ces ascètes de ces espaces semi bibliques du Sous-Alaqsa et des confins du Sahara; et c’est là l’un des grands aspects de l’originalité de Khair-Eddine : pour exprimer de grandes idées éthiques, philosophiques et/ou esthétiques d’un grand érudit de culture universelle «qui a lu les classiques et qui fait son pain quotidien de la lecture des livres scientifique», Khair-Eddine n’avait nullement besoin de se servir ni des voix des déités de l’Olympe, ni de celle du Diable à la "Faust", ni de celles des grands personnages de l’histoire universelle à la Caligula; un tronc d’arganier séculaire ancré dans le roc, un reptile assoiffé des zones arides du pays ou une campagnarde 'inculte' qui se mouche le nez du pan de sa tamlhaft (haïk) sont capables de traduire ses pensées philosophant sur l’être, le paraître et le néant, sur le logos et le praxis, sur les couleurs des mots et sur la cacophonie de l’existence, sur la grandeur ou la médiocrité des âmes.

Selon Edmond Amran El Maleh (ibid.), Kahair-Eddine «est le seul écrivain [marocain] à élaborer un discours d’une violence radicale qu’aucun écrivain marocain n’a élaboré comme lui». Mais «sa situation comme grand écrivain est ambiguë: d’une part, les travaux thèses, colloques permettent de dire qu’il n’est pas oublié, mais on sent une réticence », une double trahison de son vivant et à titre posthume et un triple exil en quelque sorte : sur le plan du pays, de la langue maternelle et de la reconnaissance intellectuelle; une mise en exil d'autant plus dur pour quelqu'un comme Khair-Eddine, pour qui l'exil n'est pas quelque chose qui affecte le cops dont le propre est de se mouvoir dans l'espace, ni même pas quelque chose qui relève du psyché obscure, mais qui est plutôt une disposition mentale de l'esprit.
L'œuvre de Khair-Eddine reste donc à revisiter et à faire connaître davantage, aussi bien à travers de bonnes éditions qui soient à la hauteur de la qualité du produit, de bonnes traductions dans les langues nationales notamment, une meilleure diffusion et une mise en valeur académique méthodique dans les curricula, qu’à travers une ré exploration scientifique qui soit à la hauteur également sur les plans de toutes les disciplines concernées (poétique, sémiotique, esthétique, etc.).

La rencontre qu’organise Timitar en hommage à Mohamed Khair-Eddine, en partenariat avec le Conseil de la Communauté Marocaine à l'Etranger à Agadir (Salle de la Wilaya) les 1 et 2 juillet 2008 (http://www.festival-timitar.com/timitar.html), s’inscrit dans cette perspective. Une douzaine de spécialistes nationaux et internationaux se pencheront pendant ces deux journées sur ce personnage et son œuvre; et une création théâtrale autour de cette œuvre aura lieu le 30 juin 2008 (http://www.festival-timitar.com/timitar.html).

A Agadir du 30 juin au 2 juillet en Off de Timitar-2008

Mohamed Elmedlaoui , directeur scientifique du colloque
Institut Universitaire de la Recherche Scientifique, Rabat

Source: Communiqué de presse

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