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Yémen: au bord de la rupture
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15 mai 2011 05:50
Le Yémen au bord de la rupture
Régis Soubrouillard - Marianne | Vendredi 13 Mai 2011 à 15:01 | Lu 2369 fois

Largement influencé par le wahhabisme saoudien, depuis la réunification de 1990, le Yémen affronte de nombreux défis : quasi-absence de l’Etat de droit dans certaines zones, corruption, pauvreté, base arrière d’Al Qaïda depuis trois mois le Yémen est en proie à de violents affrontements entre opposants et partisans du régime. Une situation dans la quelle les USA jouent un rôle ambigu appelant le régime à la retenue tout en faisant le pari de la continuité dans sa politique de coopération anti-terroriste.

Le Yémen au bord de la rupture
C'est la révolte arabe la plus ignorée médiatiquement, mais au litre de sang versé, ses initiateurs prennent cher ! Dix-neuf manifestants tués dans la seule journée de mercredi. Un chiffre qui dit toute la violence de la répression subie par le peuple yéménite, engagé depuis trois mois dans un bras de fer sanglant avec le président Ali Abdallah Salleh.

Les affrontements les plus durs se sont déroulés à Sanaa, où les forces de sécurité et des partisans du régime en civil ont ouvert le feu mercredi sur des milliers de manifestants, tuant 12 d'entre eux et en blessant près de 230. Les manifestants avaient marché de la place du Changement, où ils campent depuis le 21 février, en direction du siège de la présidence du gouvernement. Les forces ont tiré sur eux alors qu'ils se trouvaient à 200 mètres du bâtiment jouxtant les locaux de la radio nationale.

Au total, la répression du mouvement de protestation réclamant le départ de Saleh, a fait au moins 173 morts depuis fin janvier, selon un bilan établi par l'AFP à partir de sources médicales et de sécurité yéménites.

Ces nouvelles violences interviennent alors qu'un plan de sortie de crise des monarchies arabes du Golfe, qui prévoyait la démission du chef de l'État en échange de l'immunité a toutes les chances d'être remis en cause. En plein chaos, le Yémen a suspendu sa production de pétrole cette semaine alors que les revenus issus de la vente de pétrole représentent au moins les trois quarts du budget de l'État.

« Le soulèvement au yémen prend un tour dramatique » estime le quotidien Emirati The National. Pendant que les membres de quelques unes des plus puissantes tribus yéménites font route vers la capitale pour venir protéger les manifestants des attaques des troupes loyales au président Saleh, les différentes fractions de l'armée s'affrontent entre elles et les affidés du pouvoir déclarent que le Yémen est une bombe à retardement prête à exploser « qui touchera ses voisins du Golfe si on ne vient pas en aide au gouvernement ». Rien de très rassurant surtout quand on apprend que selon une étude, chaque citoyen yéménite possèderait trois armes légères. Soit 70 millions d'armes en circulation !

Affaiblie, l'opposition parlementaire appelle aussi à la rescousse « les pays du Golfe, la Ligue arabe et nos amis en Europe et en Amérique pour arrêter les massacres commis par les forces de Saleh contre les manifestants pacifiques à Sanaa, Taëz et Hodeida ». Sans véritables résultats sinon des communiqués lapidaires qui ne feraient pas ciller un chef d'Etat en poste depuis 33 ans.

Le rôle ambigü des Etats-Unis
Certes, le Département d’Etat appelle « les forces de sécurité yéménites à faire preuve de retenue, à s'abstenir de faire usage de la violence et à respecter les droits du peuple yéménite librement et à se réunir pacifiquement et à manifester », les Etats-Unis n’en jouent pas moins un rôle très ambigu.

Chercheur à l’Institut français du proche Orient, Laurent Bonnefoy estime que « la persistance du caractère exclusivement pacifique de la mobilisation, y compris face à la répression, et l’émergence de répertoires d’action originaux (sit-in, poésie, théâtre, rôle des militantes, etc.) continuent à susciter l’enthousiasme et l’étonnement. Mais tout enthousiasmant et légitime qu’est le mouvement engagé par la jeunesse, il ne peut faire oublier les ressources du régime, même affaibli. Sur le plan armé d’abord, en dépit des défections de militaires et de chefs de tribus, les partisans d’Ali Abdallah Saleh conservent la main sur de nombreux organes de sécurité. Ensuite, les partenaires internationaux et régionaux du Yémen, Etats-Unis et Arabie Saoudite en tête, continuent à jouer un rôle ambigu. L’obsession sécuritaire qu’ils partagent et la coopération anti-terroriste engagée avec le régime d’Ali Abdallah Saleh contre al Qaida dans la péninsule Arabique (AQPA) amènent de nombreux acteurs à faire le pari de la continuité ».

Washington soutient ainsi la lutte anti-terroriste au Yémen avec une aide militaire de 150 millions de dollars par année et la mise à disposition de 100 instructeurs à tout moment mais les manifestations populaires appelant à la démission du président Saleh ne facilitent pas les efforts du gouvernement yéménite dans sa lutte contre l'organisation terroriste.

Le cas yéménite symbolique des révolutions arabes

Selon la société d’analyse Stratfor, spécialisée dans l’intelligence stratégique, le Yémen est devenu, depuis le début des années 2000 un des axes prioritaires de la lutte anti-terroriste américaine. L’armée US mène régulièrement des missions de drones sur des bases présumées d’Aqpa. En septembre, le ministre des Affaires étrangères, Abu Bakr Al-Qirbi, avait déclaré que les frappes avaient été suspendues.

Le 5 mai 2011, pourtant, 3 jours après l’annonce de la mort de ben laden, un drone américain aurait tiré un missile contre une voiture qui circulait dans le sud du Yémen, tuant deux frères considérés comme des militants d'Al-Qaïda Péninsule Arabique (Aqpa). L’opération a eu lieu dans la province de Shabwa, une région qui connut des affrontements violents entre les partisans du gouvernement et de l'opposition.

Considérée comme l’une des branches les plus actives et les plus nuisibles aujourd’hui dans le monde, Aqpa est dirigée par le leader Yéménite Nasser al-Wahishi qui a menacé du « pire » les Etats-Unis après la mort de Ben Laden. Une menace censée justifier l'ingérence américaine qui n'en pose pas moins de nombreuses questions. Par le passé, le gouvernement yéménite a, par exemple, utilisé les djihadistes comme soldats par procuration, agitant le spectre d'Al-Qaïda pour obtenir plus d'aides occidentales. Un double jeu subtil qui contraint les alliés extérieurs au Yémen à beaucoup de prudence, sinon d'attention à l'égard du pouvoir en place et qui s'est avéré relativement efficace à diviser l'opposition intérieure.

« Face à ces nombreux détours et soubresauts, le cas yéménite illustre combien la temporalité révolutionnaire, nécessairement longue, se distingue de la temporalité médiatique. Cette révolution yéménite encore inachevée laisse par là entrevoir la diversité des fortunes à venir des révolutions arabes de l’année 2011 et ne peut qu’inviter à la patience », conclut Laurent Bonnefoy.
[www.marianne2.fr]
 
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