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voyage au coeur d'un métier impossible
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10 novembre 2006 14:29
Des enseignants témoignent



Voyage au cœur d’un métier impossible


Par Maurice T. Maschino
Journaliste, auteur de Oubliez les philosophes, Complexe, Bruxelles, 2001.





Professeurs agressés par des élèves ou des parents : c’est cela qui retient l’attention des médias lorsqu’ils évoquent le métier d’enseignant. Mais le danger principal est ailleurs... « J’étais entré à l’éducation nationale pour trouver un sens à ma vie. J’y ai trouvé l’absurde. (...) On nous fait commencer par ce qu’il y a de plus dur (les classes à problèmes dans des quartiers difficiles). Les formateurs se refusent à fournir des réponses à nos questions. Notre patron n’en est pas un. La gestion des ressources humaines est inhumaine. » Tout est dit dans ces quelques lignes qui ouvrent le livre de Kevin André (1).

Sorti sans formation véritable de l’institut universitaire de formation des maîtres (IUFM), où l’on « théorise » à mille lieues de la pratique et où, sans crainte du ridicule, on appelle un ballon un « référentiel bondissant » et un crayon, un « outil scripteur », nullement épaulé par de prétendus « maîtres formateurs », il ne reçoit aucun soutien de collègues individualistes et d’une inspectrice qui ne répond pas à ses demandes de rendez-vous. Agressé par les parents, il se sent perdu, tout juste bon à garder des élèves comme on garde des oies rebelles. Au terme d’un calvaire de trois ans, il démissionne.

Professeure des écoles depuis onze ans, France Doppia, quant à elle, ne démissionne pas, mais, comme tant d’autres enseignants, fait une dépression. Dans Maternelles à la dérive (2) – témoignage au style voltairien et riche de portraits au vitriol –, elle raconte ce qu’est la vie au quotidien d’une enseignante de maternelle. Une maternelle n’est pas un havre de paix, comme on le croit naïvement : les parents y sont continuellement présents, quatre fois par jour, et même plus. Certains s’attardent dans la cour ou se collent contre la porte de la classe, pour écouter – surveiller – la maîtresse. Leur présence, leurs interventions, sans parler des agressions, empêchent l’école d’accomplir l’une de ses missions : aider l’enfant à devenir un élève, un être autonome, qui apprend à se conduire selon la raison. Maturation problématique, quand les parents parasitent continuellement le travail de l’enseignante, dont ils attendent qu’elle supplée à leurs multiples défaillances : s’assurer que l’enfant arrive propre à l’école, qu’il est chaudement habillé...

« Nous sommes des bonnes à tout faire », écrit France Doppia. Des « bonnes » que personne ne soutient. Le constat est ici particulièrement accablant : Lionel, 5 ans, très perturbé, hurle, saute sur les tables, mord ses camarades, casse des bancs. Les collègues font la sourde oreille ; la directrice ne veut rien savoir ; le médecin scolaire, qui assiste à une scène de violence, conseille des plaquages au sol (il n’ose pas conseiller les menottes), la psychologue assure que « tout cela passera, c’est de son âge », et l’inspectrice est aux abonnés absents. Ce métier devient souvent un métier impossible, qui détruit peu à peu ceux qui tentent, malgré tout, de l’exercer.

Maurice T. Maschino.


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(1) Kevin André, Les Désarrois d’un jeune instit, Jean-Claude Lattès, Paris, 2006, 228 pages, 14,50 euros.

(2) France Doppia, Maternelles à la dérive, Fayard, coll. « Documents », Paris, 2006, 169 pages, 15 euros.



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