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Université : Guerre froide sur le campus
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16 décembre 2006 12:13
Nadia Lamlili, Tel Quel n°251



Au sein de l'université, une bataille politique rangée oppose les Adlistes de l'UNEM à l'Organisation du renouveau estudiantin, proche du PJD. Derrière les deux organisations islamistes, l'extrême gauche et le mouvement amazigh se tiennent en embuscade…


La faculté des lettres de Ben Msick est particulièrement animée ce lundi matin. Une voix aigüe résonne dans la cour. Une dispute ? Une rixe ? Du tout. Il s'agit d'un tribun de l'Organisation du renouveau estudiantin (Mounadamat attajdid attoulabi), perché sur une chaise, qui
appelle les étudiants à se mobiliser pour réhabiliter le prestige de l'université. “Chers frères, chères sœurs, nous sommes les plus concernés par la question de la recherche scientifique. C'est notre arme pour lutter contre l'immoralité et ce que Roger Garaudy appelle la négation de l'humanité”, crie ce petit bout d'homme à s'en rompre les cordes vocales. Même en prônant l'ouverture sur les sciences, les étudiants islamistes cru 2006 n'ont apparemment pas modernisé leurs lectures : le déclin moral et les citations d'un écrivain anti-sioniste font toujours recette.

Mais pour eux, l'enjeu est beaucoup plus grand. “Aucune université marocaine ne figure dans le classement des 5000 premières universités dans le monde”, se rattrape sur un air désolé Ismaïl Hamoudi, le monsieur communication de cette Mounadama proche du PJD, qui a organisé la semaine dernière son 9ème “Forum culturel”. En guise de culture, il s'agit surtout d'un étalage de livres en arabe sur l'éducation islamique, l'herboristerie, la femme musulmane... Même le bon vieux “Touhfat Al Ârouss” y est exposé ! Le livre-culte, qui entend apprendre à chaque mariée comment se comporter avec son époux, a visiblement encore du succès. Et c'est tant mieux pour ces jeunes étudiantes voilées, qui gloussent discrètement en le feuilletant ! Reste que l'exposition ne comporte aucun livre en langue étrangère. “Nous n'y sommes pour rien. Les librairies qui acceptent d'exposer chez nous ne vendent pas ce genre de livres”, répond Hamoudi.

Notoirement proche du PJD, la Mounadama cherche pourtant à éloigner de ses activités tout cachet politique. Pourquoi ? Une agitation au fond de la cour donne la réponse. Des étudiants, à l'apparence sévère, installent un bureau estampillé “mutuelle de l'UNEM (bureau des affaires estudiantines)” et s'affairent à régler les problèmes administratifs de leurs camarades. Ce sont les membres de la Jamaâ d'Al Adl Wal Ihsane, les vrais patrons de l'UNEM, auto-proclamés porte-parole syndicaux des étudiants. Et qui n'apprécient guère qu'on vienne chasser sur leur territoire.

Islamiste vs islamiste
La Mounadama et le groupe d'Al Adl sont les deux acteurs majeurs dans l'université marocaine. Et ils se livrent une guerre feutrée, mais réelle. “Ils ont choisi leur chemin et nous avons choisi le nôtre”, lâche Mustapha Khalfi, président de la Mounadama. La phrase du membre du conseil national du PJD et du Majliss Achoura du Mouvement Unicité et réforme (MUR) sonne comme le verset coranique “vous avez votre religion et j'ai la mienne”. Preuve que le sujet fait mal et soulève de bien mauvais souvenirs. Les deux mouvements constituaient en fait une seule force au début des années 90. Puis des divergences internes ont fini par les diviser. Mais elles n'ont pas coupé le contact pour autant. Même si elle s'oppose à “la récupération politique” de l'UNEM par Al Adl, la Mounadama a tenu à garder un pied au sein de l'organisation estudiantine, à travers sa branche Al Wahda Wa Tawassoul. “Nous n'avons rien contre les membres de la Mounadama. Mais nous ne comprenons pas leur double discours. Leur branche Al Wahda Wa Tawassoul veut travailler à l'intérieur de l'UNEM. Mais en même temps, leurs dirigeants créent leur propre organisation”, s'étonne Mohamed Benmassoud, secrétaire général de l'UNEM battant pavillon Al Adl Wal Ihsane. Aujourd'hui, l'UNEM a tout d'une curiosité. Gelée depuis l'échec de son congrès national en 1981, elle ressemble à un vieil immeuble en ruines, squatté par un groupe qui y règne en maître absolu. L'association estudiantine traîne derrière elle une histoire aussi lourde que complexe, à la fois glorieuse et sanguinaire. C'est grâce à elle que la gauche a connu son époque de gloire dans les années 70. Mais c'est aussi à cause d'elle que ces mêmes gauchistes ont été persécutés par les forces de l'ordre dans les années 80. Les événements dramatiques de Fès et d'Oujda, où le Makhzen a instrumentalisé la force islamiste pour bouter la gauche hors de l'université, marqueront l'histoire du Maroc. En 1999, Al Adl s'est appropriée une organisation agonisante pour en faire le fer de lance de sa propagande en milieu estudiantin. Et ni l'Etat, ni les partis de gauche n'ont jugé bon de s'y opposer.

L'UNEM, personne n'en veut !
Résultat, aujourd'hui, l'UNEM n'est qu'une caisse de résonance des disciples de Cheikh Yassine. “Ce n'est pas notre faute. Ce sont les autres sensibilités qui se sont retirées de l'organisation. Nous avons appelé à l'élection de nouvelles structures, mais personne ne s'est présenté”, justifie Mohamed Benmassoud. “Ils se déclarent démocrates alors qu'ils se sont appropriés le nom de l'UNEM dans un objectif politique. Nous n'intégrerons cette organisation que lorsqu'elle redeviendra ce qu'elle était avant : démocratique, progressiste et indépendante”, se révolte Abdellatif Zeroual, membre de la Chabiba d'Annahj addimocrati, représentée au sein de l'université par la faction des “basistes”. Avec un tel discours, les représentants de la gauche radicale, dont l'influence reste secondaire, se posent leurs propres limites. Ce qui ne les empêche pas de procéder à quelques démonstrations de force. Les “basistes” sont ainsi à l'origine de la grève d'étudiants qui secoue depuis le 27 novembre l'université de Fès, rejoints depuis par les autres mouvements estudiantins.

Quant aux partis socialistes, ils ont purement et simplement déserté le campus. “Les partis démocratiques n'ont jamais eu la volonté de reprendre place dans l'université”, signale Hassan Tarek, professeur universitaire et ex-dirigeant de la Chabiba ittihadia. Par peur d'un nouvel échec ? L'épisode de leur éviction de l'UNEM par les islamistes n'est pas totalement digéré. Pire, les socialistes sont même sérieusement bousculés au sein du syndicat des enseignants du supérieur. Visiblement, leurs priorités sont ailleurs que dans l'enceinte universitaire, qui ne fait plus figure d'ascenseur politique.

Les étudiants sont ailleurs !
En attendant, les Adlistes ont trouvé un terrain propice pour asseoir leur domination sur l'université marocaine, même si la récente réforme universitaire a entamé leur pouvoir. “Avec les contraintes de présence imposées dans le nouveau système universitaire, nous n'avons plus le temps de nous intéresser à ce que font les syndicats”, lâche Fatim-Zahra, étudiante en communication à la faculté de Ben Msick. Ce lundi, cette jeune étudiante voilée porte le brassard en protestation contre l'absence répétitive de ses profs. Elle a initié cette action avec quelques collègues “dans une forme civilisée” et “sans faire de tapage”.

Dans ce nouveau contexte, l'UNEM a gardé un discours basé sur la protestation, qui ne semble plus séduire les masses comme avant. “Nous avons maintenant des délégués de classe qui nous aident à résoudre tous nos problèmes avec les profs dans le calme”, témoigne Imane, jeune étudiante. Alertés par ce changement chez leur public, les membres de l'UNEM ont ressorti les vieilles rengaines, en appelant à des grèves nationales au sujet de la revalorisation de la bourse et des retards occasionnés pour son octroi. L'argent est tombé quelque temps après. Mais les étudiants ne sont pas dupes. “Ce n'est pas l'UNEM qui a débloqué ce dossier. C'est une volonté de l'administration”, précise Abir, étudiante en littérature arabe. “D'ailleurs, ils (ndlr : membres d'Al Adl) attendent toujours l'approche des délais trimestriels pour reprendre les protestations. De cette façon, ils tentent de nous faire croire que c'est grâce à eux que les choses se sont débloquées”, ajoute-t-elle.

Hassania, étudiante en philosophie, va plus loin. “Je ne crois pas qu'une organisation pareille puisse résoudre mes problèmes, du moment qu'elle n'a aucun relais avec l'Etat”. Car dans les faits, l'UNEM, dominée par les Adlistes, n'arrive toujours pas à entamer un dialogue avec le gouvernement, malgré ses multiples correspondances et sollicitations. Le contraire aurait étonné. Comment le gouvernement peut-il accepter de négocier avec les étudiants adlistes alors qu'il réprime leurs leaders sur la scène politique ?

Ce genre de contradictions rajoute au flou entourant l'activité d'Al Adl au sein de l'UNEM. Quadrillés de partout, les “frères” essaient de préserver les derniers bastions, où ils peuvent encore faire entendre leurs voix. Mais avec quel impact ?

Amphi, buvette, cyber…
Selon plusieurs étudiants, l'organisation ne recrute plus (en tout cas pas de façon directe) pour renflouer ses rangs. Le nombre impressionnant de filles en hijab dans les facultés pourrait pourtant laisser croire le contraire. “Le hijab est un phénomène de société, qui ne reflète aucunement des convictions politiques”, analyse Hassan Tarik. “Les islamistes n'ont pas une force de masse. S'ils sont visibles, c'est parce qu'ils font beaucoup de tapage”, poursuit-il. Même son de cloche chez Mustapha Khalfi, qui confirme que le taux d'adhésion dans les organisations syndicales estudiantines ne dépasse pas les 10%.

Car l'étudiant marocain a changé de profil. Pressé par le temps et l'obligation de résultat, il ne cherche plus à s'intégrer dans des confrontations sans lendemain. “Nous n'avons plus peur de la police comme avant. Les 'awacs' (ndlr : agents de sécurité universitaire) ont disparu. La plupart des étudiants se sont désengagés de toute action syndicale. Ils passent leur temps entre les amphis, la buvette et le cybercafé. Pourquoi s'embêteraient-ils à contester tout et n'importe quoi, alors qu'ils iront alimenter l'effectif des chômeurs ?”, se moque une étudiante en philosophie. Pendant ce temps, un autre type de mouvements commence à faire du forcing. Dans les facultés du Nord et du Sud, le Mouvement culturel Amazigh (MCA) grignote du terrain. Encore une organisation créée en marge de l'UNEM. Jadis regroupé autour d'un même objectif, le mouvement estudiantin se divise à la recherche de niches politiques qui pourraient maintenir son audience. D’un mouvement de masse, il s’est transfromé aujourd’hui en un ensemble de petits îlots de contestation, au pouvoir anecdotique.





Ceux qui contrôlent l’université


Les califes des universités

• Organisation du renouveau estudiantin, “Mounadamat attajdid attoulabi”.
- Président : Mustapha Khalfi, 33 ans, membre du conseil national du PJD et du Majliss Achoura du MUR.
- Date de création : 2003.
- Nombre de bureaux par université : 17.
- Membres : 3000.
- Activités : organisation de forums culturels en faveur des étudiants ; actions syndicales.
- Revendications : rétablir le rôle scientifique de l'université et l'intégrer dans la société d'information.

• Union nationale des étudiants du Maroc (UNEM)
- Secrétaire général :
Mohamed Benmassoud, 30 ans, membre du cercle politique (Daïra Assiyassiya) de la Jamaâ Al Adl Wal Ihsane.
- Date de création : 1990
- Nombre de bureaux par université : 14, en plus de 44 mutuelles élues au niveau de chaque faculté pour assurer le suivi administratif des doléances des étudiants
- Activités : actions basées sur des services rendus aux étudiants (bourses, examens, transport, cartes d'autobus…)
- Revendications : l'ouverture d'un dialogue avec le gouvernement ; libertés syndicales et arrêt de la persécution du Makhzen ; libération des 12 détenus politiques de la Jamâa, condamnés dans les événements de Fès.

Les derniers gauchistes

• Organisation des étudiants basistes
Affiliée à Annahj Addimocrati et baptisée “Al Kourass”, en référence à un document publié en 1984.

• Annahj Addimocrati Al Qaîdi, ou “Al Barnamaj Al Marhali”
En référence à un document présenté en 1986

• Les basistes progressistes, appelés aussi “Al Moumaniîne”
c'est-à-dire les contestataires, créés en 1989.
Combien sont-ils ? Personne ne le sait. En tout cas, la persécution policière des années 80 a réduit la gauche radicale dans l'université à un phénomène anecdotique. En plus, divergences politiques aidant, le mouvement basiste s'est sérieusement émietté. Les “camarades” achoppent sur l'opportunité de restructurer l'UNEM. Mais ils s'entendent tous sur le refus de la réforme universitaire qui incarne, pour eux, “l'assaut sauvage du libéralisme”. Cette mouvance est surtout présente dans les universités de Fès, Oujda, Marrakech et Agadir, où survivent encore certains trotskistes.

Les mouvements identitaires

• Le Mouvement culturel amazigh (MCA)
Créé en 1995, ce mouvement est en train de gagner du terrain dans les régions berbérophones. Ses bastions se trouvent à Oujda, Agadir et plus récemment à Nador. Géré par un secrétariat national composé de 5 personnes, le mouvement défend la réhabilitation de l'amazigh dans l'enseignement, son intégration dans la Constitution et la réécriture de l'Histoire.

• Le groupe des étudiants sahraouis
Né dans les années 70, ce mouvement a des revendications syndicales mais surtout politiques. Il défend le droit à l'autodétermination du peuple sahraoui et certains de ses membres appellent même à l'indépendance. Leurs fiefs se trouvent à Agadir et à Marrakech. À Rabat, leurs effectifs commencent à diminuer, les transferts d'une université à l'autre étant devenus interdits, surtout si l'université choisie par l'étudiant est loin du lieu où il réside. Beaucoup refusent d'intégrer l'UNEM, parce que c'est une organisation… marocaine.
c
16 décembre 2006 13:52
telquel et andi espoir une histoire d'ammour??
B
16 décembre 2006 15:29
>>>>>>>>>>Même en prônant l'ouverture sur les sciences, les étudiants islamistes cru 2006 n'ont apparemment pas modernisé leurs lectures : le déclin moral et les citations d'un écrivain anti-sioniste font toujours recette.
Mais pour eux, l'enjeu est beaucoup plus grand. “Aucune université marocaine ne figure dans le classement des 5000 premières universités dans le monde”, se rattrape sur un air désolé Ismaïl Hamoudi, le monsieur communication de cette Mounadama proche du PJD, qui a organisé la semaine dernière son 9ème “Forum culturel”. En guise de culture, il s'agit surtout d'un étalage de livres en arabe sur l'éducation islamique, l'herboristerie, la femme musulmane... >>>>>>

merci andi pour cet article. aucune université marocaine dans les 5000 premiere dans le monde: a mediter.
k
16 décembre 2006 17:51
il faut sortire le politique de notre université.
a
17 décembre 2006 01:00
Merci andi espoir pour ce texte.
 
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