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Tunisie : les hirondelles et les rapaces
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3 juillet 2011 20:16
Tunisie : les hirondelles et les rapaces

Une hirondelle ne fait pas le printemps. Mais quand, le printemps venu, quelques rapaces menacent de couper la tête des hirondelles, en toute impunité, cela ne sent pas vraiment l'été. Plutôt le retour à l'hiver.

L'une des hirondelles s'appelle Nadia El Fani. Elle vient d'obtenir le Prix international de la laïcité pour son travail. Des films qui bousculent et font réfléchir. Le dernier en date, Ni Allah ni maître, plaide pour la liberté de conscience en Tunisie. Il rend fou les intégristes. Tout comme sa déclaration : "Je ne crois pas en Dieu." Depuis, la réalisatrice est menacée de mort. On promet de couper sa "tête de truie". Elégante référence à son crâne rasé, qui n'est pas le signe d'une lubie d'artiste mais de son combat contre le cancer. Autant dire qu'elle n'a pas l'intention de se laisser intimider par une poignée de fanatiques rêvant de la précipiter dans l'au-delà.

Les mêmes appellent au meurtre du réalisateur Nouri Bouzid, ex-opposant au régime de Ben Ali et auteur de films qui ont marqué le cinéma tunisien. Le 6 avril, il a été agressé en pleine rue par un fanatique qui l'a frappé à la tête avec une barre de fer en criant "Allah Akbar". Il s'en est tiré avec quelques points de suture. Ces opérations commandos s'ajoutent aux raids menés contre des femmes dont les tenues vestimentaires sont jugées non conformes à la "morale islamique", et à toute une série d'intimidations inquiétantes mais prévisibles.

On se doutait que des fanatiques, souvent fraîchement revenus de leur exil londonien, tenteraient de confisquer la révolution. Eux qui n'ont pas voulu la fin de l'autoritarisme par soif de liberté, mais pour le remplacer par une autre dictature... Les menaces contre Nadia El Fani constituent un test, parmi d'autres, pour savoir si la vitalité de la société tunisienne saura résister.

La plupart des associations et des partis ont compris cet enjeu et tiennent bon. Notamment à l'initiative du réseau Lam Echaml, qui a organisé une soirée "Touche pas à mon créateur" au cinéma Africart. On devait y projeter Ni Allah ni maître lorsqu'une soixantaine de fanatiques ont débarqué pour tout casser en scandant "la Tunisie est un Etat islamique ". Les participants ont dû se battre, physiquement, pour leur tenir tête. Le directeur de la salle, Habib Belhedi, a été agressé. Et la police a mis bien longtemps à arriver...

Le gouvernement provisoire et le ministère de la culture ont pris position en faveur des créateurs, mais peinent à protéger les citoyens des extrémistes. Ces derniers profitent de forces de l'ordre divisées ou en grève pour faire régner leur loi en toute impunité. Mais le plus inquiétant vient du manque de lucidité et de solidarité de certains démocrates laïques qui, sans avoir la moindre sympathie pour les fanatiques, enfoncent gentiment le couteau dans le dos de Nadia El Fani et de son film : "pas le moment", "trop provocant", "irresponsable". Ce sont eux les irresponsables.

Il n'existe pas de moment plus opportun pour défendre la liberté de conscience comme l'un des acquis de la révolution. Si les tentatives d'intimidation contre cette liberté d'expression ne sont pas condamnées et sanctionnées, elles continueront, et la Tunisie ne sera jamais libre. Pas plus qu'elle ne sera en paix si elle renonce à s'émanciper de l'article 1 de sa Constitution, qui fait de l'islam "sa religion". Ce seul article contient à lui seul toutes les dérives redoutées. Il conforte les partisans de la supériorité d'une religion sur les autres et discrimine les non-croyants. Mais, surtout, il incite les rapaces à foncer sur les hirondelles. Jusqu'à leur épuisement. Et que la Tunisie passe du printemps à l'hiver.

Caroline Fourest, essayiste et journaliste
 
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