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Tranche de vie:Moustapha, cireur de chaussure...depuis 1943
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1 octobre 2005 00:31
Moustapha, cireur de chaussure...depuis 1943

Les gestes, il les connaît plus que par coeur. La brosse dans une main, en saccades, l'autre en allers et retours horizontaux pour faire contrepoids, le chiffon de velours qui virevolte sur le cuir. Moustapha cire les chaussures depuis... 1943.


Au coeur de Rabat, la capitale marocaine, il est là tous les jours depuis 62 ans, à slalomer douze heures par jours entre tables et parasols sur la terrasse ombragée d'un hôtel suranné, le long de l'élégante avenue Mohammed V.
1943: les troupes nazis sont battues à Stalingrad, Mussolini arrêté, le ghetto de Varsovie se soulève, Churchill, Staline et Roosevelt se partagent le monde à Téhéran. A Rabat, Moustapha a 8 ans et cire ses premières godasses des colons français.
Le Maroc est alors sous protectorat, les premiers frémissements de l'indépendance se font sentir avec la création du parti de l'Istiqlal et le gamin manie déjà le chiffon et la brosse à dents aux poils collés par le cirage.
Trois règnes - ceux des souverains marocains Mohammed V, Hassan II et Mohammed VI - plus tard, le "gamin" a 71 ans et huit enfants. "Cinq garçons, trois filles. Y'en a que trois qui travaillent". La femme? "A la maison".
Comme un chat à l'affût, il repère vite sa proie: la chaussure sale, terne, si possible "étrangère": ça paye mieux.
Parfois assis à l'ombre sur son minuscule tabouret de poupée, il attend, le menton dans la main, dans sa blouse bleue. A ses pieds sa petite boîte de cireur qui s'ouvre sur les côtés, tel un capot de voiture des années 20. Toute sa vie tient dedans.
Sous un petit bonnet d'où émergent ses cheveux blancs, le visage est dépigmenté autour d'une fine barbe, blanche elle-aussi. Les dents sont rares et de guingois. Et pourtant, il arrive à sourir.
Combien de chaussures a-t-il pu cirer en 62 ans? Derrière ses épaisses lunettes, le regard incrédule s'agrandit devant une telle question.
"Je gagne 1.000, des fois 1.500" dirhams par mois (entre 100 et 150 euros).
"Il gagne bien. Ca va", sourit un garçon de café un peu moins âgé, le plateau chargé de verres de café fumant.
"M'arrêter? Pas possible. Il faut nourrir la famille, payer le loyer, acheter les médicaments", continue Moustapha en sortant d'une poche deux vaporisateurs contre l'asthme.
Et Mohammed VI, surnommé le "roi des pauvres"? "Oooh je l'aime beaucoup. Je le regarde tout le temps à la télévision. Il est gentil. Mais il ne peut pas donner à tout le monde. Y'a beaucoup trop de pauvres!", sourit-il avec un léger claquement de brosse sur sa boîte en bois: le signal pour changer de chaussure sur le repose-pied.
Moustapha traverse l'Histoire sans histoire, accroupi, les poches remplies de boîtes de cirages, avec en tête des regrets teintés de fatalisme. "Avec les Français, c'était bien, bien... Avec Hassan II aussi. Maintenant y'a moins de travail".



Par Jacques Lhuillery

AFP



Le 30-9-2005
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11 octobre 2005 14:22
«Si j'avais 20 ans maintenant, je ne viendrais pas en France»
11.10.2005 | 13h17
Mehdi Fatihi, 52 ans, travaille dans une imprimerie en Essonne et vit à la Grande Borne, la grande cité de Grigny, avec ses cinq enfants. Il raconte son arrivée en France, il y a trente ans, et pourquoi aujourd'hui il soutient le projet professionnel de ses fils : l'ouverture d'un salon de thé à la Grande Borne.
«Je suis arrivé en France en 1972. A Montauban, j'étais dans l'agriculture, la cueillette des pommes, la taille des arbres. Puis j'ai changé de métier, je faisais l'entretien dans un hôtel à côté de Lourdes. Après, je suis retourné dans l'agriculture à Avignon. J'ai travaillé aussi quelques mois dans les hauts fourneaux dans l'est de la France. En 1977, je suis arrivé à Sainte-Geneviève-des-Bois, en Essonne, où j'ai été embauché dans une imprimerie. Depuis ce jour-là, je suis toujours dans l'imprimerie. Je suis aide-conducteur offset.

J'avais 20 ans quand je suis arrivé en France. J'étais tout seul, je n'avais pas de parent ici, je n'avais rien. Je suis arrivé avec un copain saisonnier. Je suis venu ici par hasard. Au Maroc, mon père avait une épicerie. Je passais mon temps près de lui quand je n'allais pas à l'école. Ma femme, je l'ai rencontrée à Fès, moi je suis de Meknès. On s'est mariés la semaine de notre rencontre. On a fait l'acte de mariage en 1980. Ma femme est restée un an et quelque au pays avec mes parents. Je l'ai fait venir en France en 1982. A la retraite, j'aimerais faire des voyages avec ma femme. Elle s'est sacrifiée avec moi. Elle m'a beaucoup aidé. Moralement, physiquement. Elle n'a jamais travaillé. Elle est toujours restée à la maison pour garder les enfants. Je suis fier de ma femme.

Quand j'étais célibataire, j'habitais au foyer à Sainte-Geneviève-des-Bois puis j'ai pris un studio. Quand je me suis marié, j'ai fait une demande et j'ai eu un F3. Mon premier fils, Tarik, est né en 1983, dans le quartier de la Balance à la Grande Borne. Tous mes enfants sont nés ici. Aujourd'hui, j'ai envie de changer de quartier, j'ai fait cinq demandes. J'ai demandé pour habiter Bondoufle, Brétigny, Arpajon, je n'ai aucune réponse. Je veux déménager pour changer les idées des enfants, pour qu'ils fréquentent d'autres camarades.

Mon gamin, Tarik, il a son BTS de vente. Quand il cherche du boulot, il adresse son CV. Mais il n'a pas de réponse, il n'a rien. Une fois, il a déposé son CV, il est parti, il a fait 500 mètres puis il est revenu le demander pour faire une photocopie. Mais il n'a pas trouvé son CV. Il était dans la poubelle. Avant, quand mes fils ont commencé à faire des études, je pensais qu'ils trouveraient facilement du travail. Je me disais qu'ils avaient de la chance. Mais maintenant, la vie est plus dure. Les machines ont remplacé les gens. Où vous aviez trois gars avant, vous en avez un seul aujourd'hui. Dans les années 70, il y avait du travail. Tu sortais dans la rue, tu trouvais des patrons. Ils te demandaient : "Est-ce que tu travailles, est-ce que vous voulez du travail ?" La vie a changé ici depuis vingt ans. Les intérims cassent le marché. On fait travailler les gens, deux heures, trois heures, on leur dit : "Rentre chez toi." Tu travailles une journée et puis on te dit : "Quand on a besoin de toi, on t'appelle." Les intérims cassent tout, avec les jeunes, avec les vieux. Ça fait peur à tout le monde. Si j'avais 20 ans maintenant, je ne viendrais pas en France. J'ai dit aux gens au Maroc : "Ce n'est pas la peine de venir. Il n'y a pas de travail, vous ne trouverez pas de logement."

Tant que je suis fier d'avoir la nationalité française j'ai la double nationalité ­, je veux rester ici avec mes gosses, je ne peux pas les abandonner. Mon gamin Tarik m'a demandé : "Est-ce vous pouvez m'aider pour faire quelque chose ?" Je lui ai dit "d'accord". C'est un de mes autres fils qui a eu l'idée du salon du thé. Ils ont cherché un local, on a fait des travaux. Ils veulent ouvrir pour le ramadan. Moi je viendrai boire le café ici, je ferai attention à mes gamins, il y a beaucoup de choses à surveiller. Il faut que ça se passe bien. Moi, je suis en France pour faire travailler les gamins, pour qu'ils ne restent pas dans la rue. Ça fait trente ans que je travaille, j'ai fait des économies que j'utilise pour mes gamins. C'est important que les enfants qui portent mon nom aient une belle situation. Moi, je ne serai pas toujours là. Il faut que je puisse dormir tranquille le jour où je mourrai.»

Jacky DURAND
Source : Liberation.fr
 
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