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La Syrie, un bouc émissaire commode pour la mort de Gémayel.
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4 décembre 2006 22:16
Par Jonathan Cook

Les commentateurs et les éditorialistes sont d’accord. L’assassinat de Pierre Gémayel a dû être confectionné par la Syrie parce que ses phalangistes chrétiens sont depuis longtemps des alliés d’Israël, et parce que, ministre de l’industrie, c’était un des personnages majeurs de la faction anti-syrienne du gouvernement libanais. C’est aussi ce que croit le président Bush. L’affaire est apparemment réglée.

Contrairement à mes collègues, je ne prétends pas savoir qui a tué Gémayel. La Syrie était peut être derrière les tirs. Peut-être, dans le système politique notoirement fractionnel et levantin du Liban, quelqu’un en voulant à Gémayel, même dans son propre parti, a appuyé sur la gâchette. Ou peut-être, encore une fois, Israël a déployé les muscles de ses longs tentacules au Liban.

Pourtant, on a l’impression que cette dernière possibilité ne peut pas être évoquée entre gens polis. Alors permettez-moi quelques pensées malpolies.

Comme le savent tous les amateurs de séries policières, quand il n’y a pas assez de données matérielles pour une arrestation en cas de crime, les enquêteurs examinent les mobiles des protagonistes pouvant bénéficier du crime.

Les meilleurs enquêteurs se demandent aussi si le premier suspect - celui qui à l’air coupable à première vue - n’est pas en fait tourné en bouc émissaire par une des autres parties prenantes. Le meurtrier est peut être la personne qui bénéficie le plus clairement du crime, ou bien le meurtrier peut être la personne qui bénéficie du fait que le premier suspect est montré du doigt pour le meurtre.

Comme l’ont déduit la plupart de nos politiciens et commentateurs des média, la suspicion tombe automatiquement sur la Syrie parce que les Phalangistes Chrétiens sont un des principaux ennemis de la Syrie au Liban. En partie pour cela, ils se sont opposés aux efforts récents du groupe shiite Hezbollah - l’allié principal de la Syrie au Liban - visant à obtenir une part plus importante de pouvoir politique.

Ils font aussi partie - et ça semble coller pour la plupart des observateurs - de la majorité dans le gouvernement pro-américain de Fouad Siniora qui a soutenu un tribunal de l’ONU pour juger les assassins de Rafik Hariri, un politicien anti-syrien, leader de la communauté sunnite, qui a été tué dans une explosion de voiture il y a plus d’un an et demie.

Après que les six ministres shiites aient démissionnés du cabinet Siniora il y a deux semaines, et maintenant avec l’assassinat de Gémayel, le gouvernement est au bord de la chute, et avec lui le tribunal pour impliquer la Syrie dans le meurtre de Hariri. Si la Syrie peut « supprimer » encore deux ministres et que le gouvernement perde son quorum, la Syrie sera hors danger - du moins selon la logique des observateurs occidentaux.

Mais cette “preuve” fait-elle de la Syrie un suspect n°1, ou un bouc émissaire ? Comment les intérêts supérieurs de la Syrie seront-ils affectés par le meurtre, et quels sont les intérêts d’Israël dans la mort de Gémayel, ou plutôt, ses intérêts à ce que le blâme de la mort de Gémayel tombe sur le Hezbollah ou la Syrie ?

En fait, Israël bénéficiera de multiples façons des tensions provoquées par le meurtre, comme les rassemblements de colère populaire contre la Syrie et le Hezbollah de Beyrouth le prouvent.

Primo, et ceci est évident, le Hezbollah - principal ami politique et militaire de la Syrie au Liban - a été forcé à faire un pas en arrière. Le Hezbollah surfait sur son triomphe de l’été, résistant à l’assaut israélien et mettant en déroute une force d’invasion qui tentait d’occuper le sud du pays.

La popularité du Hezbollah et sa crédibilité ont monté si vite que les leaders de la communauté Shiite ont espéré profiter de ce succès en demandant plus de pouvoir. C’est une des raisons pour lesquelles les six ministres Shiites ont démissionné du cabinet Siniora.

En dépit de la façon dont la position politique des partis shiites a été présentée en occident, il y a bien des justifications à leurs demandes. Le système politique libanais a été arrangé il y a des décennies de delà par l’ancien pouvoir colonial français, pour assurer que le pouvoir soit partagé entre chrétiens et sunnites. Les shiites musulmans, la faction religieuse la plus importante, a été maintenue depuis sur les franges du système, effectivement dévalorisée.

Avec sa victoire militaire récente, c’est le moment où le Hezbollah a espéré faire une percée, et forcer les sunnites et les chrétiens à des concessions politiques, concessions dont la Syrie aurait bénéficié indirectement. Avec la mort de Gémayel, les chances que ça se réalise deviennent vraiment faibles. Le Hezbollah, et par extension la Syrie, sont les perdants. Israël, qui veut affaiblir le Hezbollah, est gagnant.

En deuxième lieu, l’assassinat a poussé le Liban au bord d’une autre guerre civile. Avec un système politique quasiment incapable de contenir les différences sectaires, et avec les diverses factions peu portées au compromis après l’avalanche d’assassinats récents, le danger d’un retour aux combats de rue au Liban est réel. Ceci ne sera certainement pas au bénéfice du Liban ni d’aucune de ses communautés religieuses, qui seraient attirées dans un nouveau cycle sanguinaire. Les cadres clandestins du Hezbollah qui se sont confrontés à la machine de guerre israélienne devraient certainement se montrer et payer un prix face à d’autres milices bien armées.

Les avantages pour la Syrie seraient moyens, au mieux. Un avantage possible serait qu’une guerre civile sanglante pourrait faire monter la pression sur les USA pour parler à la Syrie, voire pour l’inviter à prendre un rôle majeur dans la stabilisation du Liban, comme lors de la dernière guerre civile.

Mais vu l’ascendant persistant des faucons à Washington, ceci pourrait avoir l’effet inverse, de pousser les USA à isoler la Syrie encore plus.

En revanche, une guerre civile peut causer de sérieuses menaces aux intérêts syriens, et offrir des avantages marqués pour Israël. Si les énergies du Hezbollah sont épuisées sérieusement dans une guerre civile, Israël pourrait être dans une position bien meilleure pour attaquer à nouveau le Liban. Tout le monde ou presque, en Israël, pense que l’armée israélienne a des démangeaisons à l’idée de prendre sa revanche sur le Hezbollah dans une autre bataille. Ainsi, il peut soit obtenir la prochaine guerre avec des prémisses bien meilleures, ou mener une guerre contre le Hezbollah par guerre interposée à l’aide des opposants aux Shiites.

Indiscutablement, un des buts principaux de la campagne de bombardements de cet été, où la plupart de l’infrastructure du Liban a été détruite, a été de provoquer une telle guerre civile. On a alors largement rapporté que les généraux Israéliens espéraient que la dévastation causerait un soulèvement des communautés chrétiennes, sunnites et druzes contre le Hezbollah. Tertio, la Syrie est déjà le premier suspect du meurtre d’Hariri et de l’assassinat de trois autres politiciens et journalistes libanais, tous considérés comme anti-syriens, au cours des 21 mois passés.

Les USA ont exploité la mort d’Hariri, et les vastes protestations qui suivirent, pour jeter la Syrie du Liban. Le retrait de la Syrie de la scène a aussi ouvert la voie, intentionnellement ou non, à l’assaut israélien de cet été, qui aurait été bien plus dangereux pour la région si la Syrie avait encore été au Liban.

Malgré la menace en cours d’un tribunal de l’ONU sur la mort d’Hariri, la Syrie considère que les accusations ont ranci avec le temps, et ne menacent de prouver que ce que tout ce monde croit déjà en Occident. Avec le départ des ministres Shiites du gouvernement libanais, les enquêtes ne pouvaient paraître que redondantes de toute façon.

Mais l’assassinat de Gémayel à rafraîchi énormément l’intérêt sur qui a tué Hariri, et ramené fermement la Syrie sous les projecteurs. Rien de cela ne bénéficie à la Syrie, mais sans nul doute Israël trouvera du plaisir à l’embarras de Damas.

Quarto, le gouvernement israélien a été sous pression internationale et intérieure pour entamer des négociations avec la Syrie pour le retour des Hauts du Golan, un territoire syrien occupé depuis 1967.

Avec elles, serait résolue l’épineuse question des fermes de Shebaa, toujours occupées par Israël, mais que le Hezbollah et la Syrie proclament territoire libanais qui aurait dû être rendu lors du retrait israélien du Liban en 2000. Le statut des fermes de Shebaa a été un des principaux terrain de dispute entre Israël et le Hezbollah.

Le Président Assad de Syrie a ouvertement fait entendre qu’il est prêt à discuter de la rétrocession des Hauts du Golan par Israël dans des termes plus favorables pour Israël que jamais.

Selon les média israéliens, Assad est prêt à démilitariser le Golan et à en faire un parc national qui serait ouvert aux Israéliens. Il n’insisterait probablement pas sur un retour exact aux frontières de 1967, qui comprennent la rive nord de la Mer de Galilée [lac de Tibériade, ndt]. D’habitude, les dirigeants israéliens répugnaient à cette idée, et provoquaient des peurs populaires en évoquant la vision du père d’Assad, Hafez, trempant ses pieds dans le lac [sic].

Mais si le jeune Assad pousse désespérément à des négociations sur le Golan, par contre Israël ne montre aucun intérêt à exploiter cette option. Le Premier Ministre israélien Ehud Olmert a exclu plusieurs fois de parler à Damas. Ceci pour plusieurs raisons :

· Israël, comme sa forme passée le laisserait supposer, n’est pas disposé à faire des concessions territoriales.

· Il ne veut pas mettre fin à son statut de paria et d’isolé par un accord de paix avec lui.

· Et il craint qu’un tel accord laisse entendre que des négociations avec les Palestiniens sont aussi réalisables.

La paix avec la Syrie, aux yeux d’Israël, mènerait inexorablement, à des pressions pour faire la paix avec les Palestiniens. A coup sûr, ceci n’entre pas dans les perspectives d’Israël.

La mort de Gémayel, et le tort attribué à la Syrie, met à nouveau Damas dans l’ornière de « l’axe du mal », et devance tous les efforts de pourparlers sur le Golan.

En cinquième lieu, la pression a monté dans l’administration américaine pour commencer à parler à la Syrie, ne serait-ce que pour la recruter dans la « guerre contre le terrorisme ». Les USA aimeraient désespérément un soutien local pour gérer leur occupation de l’Irak. On ne sait pas si Bush est prêt à un tel virage à 180°, mais ça reste possible.

Des alliés clés comme Tony Blair poussent fortement à un engagement contre la Syrie, à la fois pour isoler l’Iran encore plus - la cible possible de frappes étasuniennes ou israéliennes contre ses ambitions nucléaires supposées - et pour dégager le terrain pour des négociations avec les Palestiniens.

La mort de Gémayel, et le blâme porté sur la Syrie, renforcent la cause des néocons de Washington - les alliés d’Israël dans l’administration - dont l’étoile a commencé à pâlir. Ils peuvent maintenant argumenter avec conviction que la Syrie n’est ni réformée ni réformable. Un tel résultat aide à détourner le danger, du point de vue d’Israël, de voir les colombes de la Maison Blanche convaincre de sympathiser avec le Syrie.

Pour toutes ces raisons, nous devrions être dubitatifs sur l’idée que la Syrie est derrière la mort de Gémayel - et qu’elle soit le seul acteur régional qui grenouille au Liban.

Jonathan Cook est un journaliste et écrivain basé à Nazareth, Israël. Son livre, “Blood and Religion : The Unmasking of the Jewish State ” a été publié par Pluto Press.

Son site est www.jkcook.net
Source : Information Clearing House
"L'orgueil du savoir est pire que l'ignorance"
 
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