Le ministre de l’immigration etc. et ce matin le premier ministre font savoir qu’ils se disposaient à refuser l’acquisition de la nationalité française à l’époux d’une française qui imposerait à celle-ci le port du voile intégral.
Voici le communiqué officiel du ministre :
Pour répondre à certaines rumeurs, Eric Besson, Ministre de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Développement solidaire, confirme avoir contresigné et transmis aujourd’hui au Premier ministre un projet de décret refusant l’acquisition de la nationalité française par un ressortissant étranger marié à une Française, au motif qu’il est apparu, lors de l’enquête réglementaire et de l’entretien préalable, que cette personne imposait à son épouse le port du voile intégral, la privait de la liberté d’aller et venir à visage découvert, et rejetait les principes de laïcité et d’égalité entre homme et femme.
Cela mérite un petit décryptage.
Pour répondre à certaines rumeurs…”. Non, rassurez-vous, les services de presse des ministres de la République n’en sont pas à traquer les rumeurs dans les loges de concierge et autour des zincs de nos cafés. Il faut juste comprendre que malgré les efforts du ministre, personne n’en parlait alors qu’il y avait un coup de comm’ à faire. Donc on fait comme si le tout-Paris ne bruissait que de cette folle rumeur.
Le coup de comm’ est diaphane : le président a dit que la Burqa n’était pas la bienvenue en France, et hop, regardez, le gouvernement refuse la nationalité à un mari qui impose la burqa, vous voyez, pas besoin de loi, on agit. Sauf que.
Sauf que cette décision n’a rien de révolutionnaire et ne repose pas sur le motif mis en avant par le gouvernement.
Rappelons le contexte juridique. Monsieur est marié à Madame, qui a la nationalité française, depuis au moins quatre ans. Il peut donc déclarer vouloir acquérir la nationalité française : art. 21-2 du Code civil. La déclaration se fait au tribunal d’instance à la préfecture depuis le 1er janvier 2010 et est transmise au ministre en charge des naturalisations (le ministre de l’immigration actuellement), qui vérifie que les conditions légales sont remplies : quatre années de mariage, la nationalité française du conjoint au jour du mariage et au jour de la déclaration, une communauté de vie effective et une connaissance suffisante du français par le conjoint. Si ces conditions sont remplies, l’acquisition de la nationalité française est un droit. Si un litige apparaît sur ces conditions, c’est le tribunal de grande instance, donc l’ordre judiciaire, qui est compétent. Rare cas d’un recours judiciaire contre la décision d’un ministre, contraire à la tradition juridique française. Mais c’est une loi de simplification du droit qui l’a voulu…
Mais le gouvernement peut s’opposer à ce droit, en prenant dans les deux ans de la déclaration un décret motivé qui fit obstacle à cette acquisition en raison de l’indignité ou du défaut d’assimilation du conjoint (pas du niveau insuffisant de français, qui relève du juge judiciaire) : art. 21-4 du Code civil. S’agissant d’un acte du gouvernement, c’est le juge administratif, ici le Conseil d’État, qui est compétent pour en juger de la légalité.
C’est ce que se dispose à faire le gouvernement dans cette affaire.
Mais ce que le ministre ne dit pas dans son communiqué, c’est que le Conseil d’État a toujours jugé que le port de la burqa ne saurait en soi justifier un refus de nationalité par mariage comme défaut d’assimilation : CE 3 février 1999, n°161251. Il en va ainsi à plus forte raison quand ce n’est pas le conjoint étranger qui la porte mais le conjoint français : le principe de personnalité de la nationalité s’oppose à ce qu’on dire argument du comportement d’autrui pour refuser la nationalité française à une personne : CE, 23 mars 1994, n°116144, CE 19 novembre 1997, n°169368. Cette position du Conseil d’État s’explique tout simplement parce que la liberté religieuse fait partie de ces valeurs républicaines qu’on demande aux étrangers d’assimiler.
Pour valider une telle opposition, le Conseil d’État exige que le gouvernement caractérise concrètement une absence d’adhésion à des valeurs fondamentales de la société française. Ainsi, dans une décision remarquée du 27 juin 2008 (n°286798), que votre serviteur avait commenté en ces lieux, le Conseil d’État a validé un tel décret, non parce que la requérante s’était présentée en burqa à la préfecture dans le cadre de l’enquête administrative dont elle a fait l’objet, mais parce que cet entretien avait révélé qu’elle n’adhérait pas à la valeur républicaine de l’égalité des sexes, mais au contraire vivait dans un état de soumission totale aux hommes de sa famille, que l’idée de contester cette soumission ne l’effleurait même pas, et qu’elle n’avait aucune idée de l’existence de la laïcité ou du droit de vote pour les femmes (cf. les conclusions du rapporteur public dans cette affaire - pdf).
Cela n’a pas échappé à notre ministre, comme en témoigne la dernière proposition de son communiqué : le conjoint déclarant “rejetait les principes de laïcité et d’égalité entre homme et femme”. Pile poil les deux motifs déterminants de l’arrêt du 27 juin 2008. Si ce point est factuellement exact, il justifie à lui seul le décret d’opposition, les autres motifs étant quant à eux inopérants. C’est pourtant sur ces motifs que le ministre entend naturellement communiquer.
Après Brice Hortefeux qui veut voter ce qui existe déjà, aujourd’hui, Eric Besson fait semblant d’interdire la burqa. Rassurez-vous, la poudre aux yeux est quant à elle parfaitement conforme aux valeurs de notre République.
N° 161251 Inédit au recueil Lebon 2 / 6 SSR Mme de Margerie, rapporteur M. Hubert, commissaire du gouvernement
lecture du mercredi 3 février 1999 REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête introductive et le mémoire complémentaire enregistrés les 30 août et 30 décembre 1994 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Mme Salika X..., demeurant ... ; Mme X... demande que le Conseil d'Etat annule le décret du 17 mars 1993 lui refusant l'acquisition de la nationalité française ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la nationalité française ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de Mme de Margerie, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Bachellier, Potier de la Varde, avocat de Mme Salika X...,
- les conclusions de M. Hubert, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'aux termes de l'article 37-1 du code de la nationalité, en vigueur à la date de la décision attaquée, "l'étranger ou l'apatride qui contracte mariage avec un conjoint de nationalité française peut, après un délai de six mois à compter du mariage, acquérir la nationalité française par déclaration à condition qu'à la date de cette déclaration la communauté de vie n'ait pas cessé entre les époux et que le conjoint français ait conservé sa nationalité" ; qu'aux termes de l'article 39 du même code, "le gouvernement peut s'opposer, par décret en Conseil d'Etat , à l'acquisition de la nationalité française dans le délai d'un an à compter de la date prévue au dernier alinéa de l'article 106, pour indignité ou défaut d'assimilation" ; qu'aux termes de l'article 106 du même code, "le délai d'opposition court à compter de la date du récépissé prévu à l'article 105, deuxième alinéa ..." ;
Sans qu'il soit besoin de statuer sur l'autre moyen de la requête :
Considérant que si Mme X..., de nationalité marocaine, s'affirme comme musulmane de stricte observance et porte le voile islamique, il ne ressort des pièces du dossier ni que ces faits et circonstances, ni qu'aucun autre élément invoqué par l'administration et relatif au comportement de l'intéressée sont de nature à révéler un défaut d'assimilation ; qu'ainsi le gouvernement n'a pu légalement fonder sur ce motif une opposition à l'acquisition de la nationalité française de Mme X... ; que, par suite, Mme X... est fondée à demander l'annulation du décret du 17 mars 1993 lui refusant l'acquisition de la nationalité française ; Article 1er : Le décret du 17 mars 1993 est annulé. Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme Salika X... et au ministre de l'emploi et de la solidarité.
Modifié 1 fois. Dernière modification le 03/02/10 18:00 par icare99.