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Où va la royauté ?
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21 janvier 2005 14:03


Son image, son devenir, ses pouvoirs, ses archaïsmes

Où va la royauté ?

Par Abdellatif Mansour


Difficile de s?apercevoir d?un changement quelconque sous un régime monarchique. Cela paraît presque antinomique. Un peu comme si on faisait le parallèle entre une génération humaine et l?échelle géologique. Le seul moment où le changement est réellement perceptible, c?est lorsqu?on change de roi. Lorsqu?on souffle dans le cor pour annoncer aux fidèles sujets : «Le Roi est mort, vive le Roi».
Le temps monarchique
s?arrête. Nouvelle intronisation, nouveau règne, nouveau calendrier officiel pour déplacer un ou deux jours fériés. Et puis, l?on se demande si tout cela va se dérouler dans une continuité immuable ou avec des actes et des moments de rupture notoire. Sans remonter jusqu?aux Almoravides, ce qui serait le déluge par rapport aux temps actuels, la question était dans tous les esprits à l?arrivée de S.M Mohammed VI sur le trône. Cinq ans après, l?équivalent d?une législature, on n?en finit pas d?ouvrir le cahier des comptes pour déceler des indices de réponses.

Plus question de s?en sortir par une pirouette, genre «changement dans la continuité». Parmi « le peuple souverain», «le lecteur est roi». Ce lecteur-là appartient, en moyenne, à la même tranche d?âge que le Roi actuel. Il exige des réponses qui ne soient ni vieillottes par rapport à la mentalité de son époque, ni décalées par rapport à ce qu?il observe.
Un premier constat qui relève de l?évidence: S.M Mohammed VI remplit le champ politique, dans le temps et dans l?espace; y compris quand il est à l?étranger et qu?il s?y attarde, au point que l?on trouve matière à
épingler les ?longues absences du Roi?. C?est arrivé récemment, lors de sa tournée en Amérique du Centre et du Sud, du Mexique au Chili, sur fond de question du Sahara. Cela ressemblait un peu à ses déplacements éclairs de Oujda à Agadir, sans escale à Rabat. Il n?y a presque plus de capitale. Le Roi est partout; et il inaugure tout. On n?a jamais autant vu à la télévision, autant touché un Roi. C?est l?image de ce qu?on a appelé ?le Maroc de Mohammed VI?. Cet arrêt sur image véhicule et suscite, en lui-même, quelques
interrogations. Deux, essentiellement, pour faire court : Un. Lorsque le Roi bouge, est-ce que le Maroc bouge également et réellement ? Deux. Le Maroc doit-il bouger uniquement par le Roi ; autrement dit, pour parler clairement, quitte à mettre les pieds dans le plat de la Constitution ?un plat récemment réchauffé- le Roi doit-il et régner et gouverner?
Procédons par ordre. ?Le Maroc de Mohammed VI? a-t-il bougé? Réponse par une pirouette qui n?en est pas une : oui et non; beaucoup et pas assez. Bref recensement du «oui». Le Maroc du statut libérateur de la femme, envers et contre tous les réflexes conservateurs et anachroniques. Le Maroc de la parole retrouvée et livrée au public, des victimes des «années de plomb»; ce qui est en fait le procès de l?époque Hassan II. Le Maroc de la criminalisation de la torture par amendement et procédure lourdement punitive du Code pénal. Le Maroc de l?épouse du Roi, que l?on voit et dont on a mémorisé le visage; le terme n?existe pas dans le lexique protocolaire, mais c?est un peu ?la reine mère du Prince héritier?, avec une présence effective qui participe de l?image de la monarchie.
Le Maroc d?un Roi qui utilise les palais comme espaces de travail et qui loge dans une villa, forcément royalement cossue. Le Maroc de la volonté affichée de résorption progressive des océans cumulés de bidonvilles et des strates sédimentées d?habitat précaire. Le Maroc du
projet, que l?on souhaite réalisable, de l?assurance maladie obligatoire ; ?un peu? tardive, mais une reconnaissance tout de même du droit aux soins de santé pour tous. Le Maroc du chantier gigantesque de Tanger-Med. Le Maroc d?une beaucoup plus grande liberté de la presse où la personne même du Roi est souvent mise en équation politique. Ce Maroc-là, un Maroc monarchique, bouge. Il ne bouge pas que par la volonté d?un Roi; il bouge aussi par la force des choses. Et dans «les choses», il y a la contrainte des problèmes qui ne peuvent plus être différés, l?exigence citoyenne d?une société civile émergente et un environnement international de plus en plus regardant.
Le Maroc qui ne bouge pas assez vite ou pas du tout, c?est d?abord celui de réalités réticentes, criantes et parfois dramatiques. Un legs surmultiplié d?un demi-siècle d?indépendance, fait de retard, de n?importe quoi et de
rapine organisée. Toujours pour faire court, un exemple suffit, poignant et inadmissible. Celui de ces jeunes, dans la force de l?âge productif, qui se jettent littéralement et mortellement dans le Détroit pour se donner une raison de vivre, de l?autre côté de la Méditerranée.
Au niveau du cérémonial du protocole royal, qui constitue pour certains une fixation, il y aurait à prendre et à laisser. La présentation de la beïâ (Allégeance) au Mechouar (esplanade du palais de Rabat) fait partie du patrimoine constitutif de la monarchie, même si elle renvoie aux tableaux de Delacroix et à la littérature imagée de Pierre Loti. En somme, l?image d?une monarchie attachée à ses attributs d?ancienneté, tout comme les signes extérieurs de royauté de la reine d?Angleterre, tels le carosse doré et les Rolls capitonnées. D?autres aspects résiduels de l?étiquette protocolaire ont été soit attenués, soit supprimés. Tel le baise-main, qui n?est plus obligatoire. ?La prière du train? royal, annulée ; ?le baise-dahir? royal au moment de sa lecture, annulé ; et la procession de voitures formant cortège royal et roulant sur des kilomètres de tapis contigus, rendue moins voyante.
Restent deux sujets qui, eux aussi, ne sont plus tabous puisqu?il sont étalés à longueur de colonnes de la presse : la liste civile incluse dans le budget de fonctionnement de l?État votée par le Parlement ; et le patrimoine financier de la famille royale approximativement identifiable et difficilement quantifiable.
Venons-en au ?Roi partout?, qui mange l?espace et les attributions de l?Exécutif, en général ; pour réduire à leurs simples expressions les prérogatives supposées du Premier ministre, en particulier. Le thème a fait florès depuis la mort de Hassan II. Les modèles opposés à
l?activisme tonitruant de SM Mohammed VI, prennent pour références les monarchies européennes. Lorsque Mohamed Elyazghi propose un amendement constitutionnel portant sur les pouvoirs du Premier ministre, c?est de cela qu?il s?agit, même si c?est politiquement formulé et subtilement dit.
Par contre, la question qui n?est pas posée est celle-ci : avons-nous les moyens d?une monarchie à l?européenne ? ?Les moyens?, ce sont d?abord, ensuite et enfin, la capacité d?encadrement des citoyens par nos partis politiques. Cette question n?est jamais posée par les partis. Une rétention qui fait figure de tabou inversé. Mais, si l?on prend comme indice incontournable le taux de participation aux votations sous SM Mohammed VI, la réponse sort des urnes: les partis ont perdu et des plumes et de la crédibilité. Ils peuvent toujours objecter que c?est la répression sous Hassan II, à qui ils avaient revendiqué une ?assemblée constituante? refondatrice et recentralisatrice de la monarchie. La réaction de Hassan II fut terrible et durable : il les a politiquement ?plumés?, en termes de liberté d?activité. Quant à la crédibilité, il faut reconnaître que c?est un tout autre registre. Totalement interne aux partis, celui-là. Mais soit, prenons acte de ce descriptif, tout en rappelant une autre évidence : Il n?y a pas de démocratie pluraliste sans partis politiques forts.
Les nôtres ne le sont pas, pour des raisons à la fois historiques et intrinsèques. Alors, en attendant de renverser la tendance, l?ultime question est celle-ci : Dans la foulée de cet épilogue d?une transition décisive, vaut-il mieux, pour le Maroc, une monarchie affaiblie ou une institution monarchique fortement appuyée, politiquement et socialement entreprenante, dans la perspective de la construction démocratique avouée? Question ouverte.


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" Le commencement de toutes les sciences, c'est l'étonnement de ce que les choses sont ce qu'elles sont "
 
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