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Quand l'Algérie s'implique
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14 juin 2006 15:43
MALI - 11 juin 2006 - par CHERIF OUAZANI


Comme en 1992, c’est le voisin algérien qui a accepté de jouer le rôle de médiateur dans la crise touarègue. Mais à certaines conditions.

C’est le 6 juin seulement qu’Alger a officiellement accepté d’assurer la médiation entre le pouvoir et les Touaregs maliens. Ce jour-là, le président Abdelaziz Bouteflika reçoit Kafougouna Koné, ministre de l’Administration territoriale et ancien patron de la Sécurité d’État du Mali. L’émissaire d’Amadou Toumani Touré (ATT) est venu demander aux Algériens de se saisir d’un dossier qu’ils connaissent fort bien pour y être déjà intervenus en 1992.
C’est d’ailleurs en raison de leur proximité avec la question touarègue que, dès les premiers coups de feu du 23 mai, ATT - à peine informé de l’attaque de trois camps militaires à Kidal et Ménaka par des hommes du lieutenant-colonel Hassan Fagaga -, a décroché son téléphone pour informer l’ambassadeur d’Algérie au Mali, Abdelkrim Gheraïeb.

Aujourd’hui directement impliqué dans le règlement de la crise, Alger n’en a pas moins, au préalable, posé ses conditions auprès des autorités maliennes et des rebelles. D’abord, la demande de médiation devait émaner des deux parties, d’une manière claire et officielle. Iyad Ag Ghali - en contact permanent avec Gheraïeb - a accepté et en a fait état publiquement dans la presse. Quant à ATT, il a dépêché Kafougouna Koné à Alger. Porteur d’une lettre officielle, le ministre chargé du dossier touareg a demandé au « grand frère d’assister le Mali dans cette épreuve ».

Alger voulait, par ailleurs, être seul à traiter l’affaire. Bamako n’y voit pas d’inconvénients. « C’est la meilleure solution, affirme, de son côté, Iyad Ag Ghali, figure du mouvement Azawad qui a rejoint Fagaga et le maquis. Nous nous sommes soulevés à cause du non-respect du Pacte de stabilité et de paix que nous avons signé en avril 1992 à Tamanrasset avec le pouvoir, sous les auspices du gouvernement algérien. Il est donc judicieux de confier aux parrains de cet accord une médiation en cas de problème. » Même si les Algériens imposent la fermeté aux rebelles : « Nous refusons toute implication si vos objectifs sont liés à une revendication autonomiste ou sécessionniste. » Les rebelles se sont concertés. Hassan Fagaga avait publiquement exigé une large autonomie pour la région de Kidal. Le débat était d’actualité puisque, au Parlement, une question orale avait été adressée à Kafougouna Koné quelques jours avant l’attaque de Kidal.

Mais, à aucun moment, ATT n’a considéré cette revendication comme légitime ou ouverte à la discussion. « Rien qui puisse menacer l’unité nationale ne sera entrepris. Notre politique de décentralisation a répondu à toutes les clauses du pacte. Les autorités des régions Nord, qu’elles soient administratives, civiles ou militaires, ont été confiées à des personnalités de la communauté touarègue. On ne peut faire plus. » Chez les rebelles, Iyad Ag Ghali est parvenu à convaincre Hassan Fagaga de revenir sur cette revendication. Cette condition satisfaite, plus rien ne s’opposait à la médiation algérienne. ATT s’est ainsi vu contraint d’avoir recours à son voisin du Nord, bien que les relations entre Alger et Bamako ne soient pas au beau fixe.

Les événements de Kidal sont arrivés à un bien mauvais moment pour le chef de l’État malien, et il devait se presser de résoudre la question. À la veille du quatrième anniversaire de son investiture à la présidence de la République (voir pp. 50-51) et à un an de l’élection présidentielle, les troubles font désordre. Le passage à l’acte de Hassan Fagaga et Iyad Ag Ghali, rejoints par Ibrahim Ag Bahanga, connu pour sa sanglante prise d’otages de militaires maliens en décembre 2000, embarrasse ATT. Il a promis une gestion responsable et mesurée. L’armée malienne se gardera de mener une action qui prête à équivoque. Le bataillon dépêché à Kidal depuis Gao a pour seule mission de rétablir l’autorité de l’État et de rassurer une population traumatisée par les rafales de mitrailleuses du 23 mai. Le locataire du palais de Koulouba, pour éviter toute dérive, a tenté d’abord la diplomatie régionale. Les amenokal (« chefs », en tamashek) de Tombouctou, Goundam, Kidal et Diré ont demandé aux chefs de la rébellion de donner une chance au dialogue. Iyad Ag Ghali s’est déclaré ouvert à la médiation, à condition qu’elle ne soit pas menée localement. « Il nous faut de sérieuses garanties », a-t-il dit à un notable de Goundam.

Dans un premier temps, ATT a refusé « toute internationalisation du problème ». Le dossier était d’ailleurs confié à Kafougouna Koné, le ministre de l’Administration territoriale. « Nul autre n’est mandaté », précise ATT, faisant allusion aux initiatives locales annoncées ici ou là. Mais il a réalisé très vite les limites d’une médiation nationale. D’autant qu’il refusait d’entendre parler de négociation. « C’est une question d’ordre public. Il s’agit de maintenir la cohésion nationale et la cohérence de l’institution militaire malienne dont une partie de l’encadrement est issue de la communauté touarègue. » Une médiation étrangère, alors ? Soit, finit-il par concéder. Mais qui ? Mouammar Kaddafi s’est proposé en envoyant une délégation à Bamako, qui a consolidé l’acquis du cessez-le-feu décrété par les rebelles. Mais rien de plus. Les émissaires libyens ont quitté la capitale malienne sans même avoir fait le déplacement de Kidal, encore moins des maquis rebelles. Restait donc l’Algérie.

ATT respecte « le plus Malien des Algériens et le plus Algérien des Maliens », comme il l’appelle Abdelaziz Bouteflika. Il admire son passé de combattant, d’autant plus que ce dernier a mené la lutte pour la libération nationale depuis Gao, dans le nord du Mali. De leur côté, les autorités algériennes apprécient ATT, qui a dirigé une équipe d’observateurs électoraux au milieu des années 1990, quand l’Algérie était ostensiblement boycottée par ses voisins et ses partenaires.

Mais les rapports entre Alger et Bamako se sont dégradés depuis 2003. En février, le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) avait pris quatorze touristes occidentaux en otages et les avait emmenés jusqu’au Mali. Une médiation malienne a permis finalement d’obtenir leur libération. Une rançon a-t-elle été payée par les pays dont les otages sont ressortissants ? Le gouvernement malien a-t-il garanti une liberté de mouvement aux terroristes ? Les termes du deal ne seront jamais rendus publics. Officiellement, les Algériens ne font aucun commentaire, mais ils soupçonnent Bamako d’avoir marchandé avec les terroristes. « En négociant avec Abderrezak el Para [l’un des émirs du GSPC commanditaire du rapt], ATT nous a trahis », se plaint-on dans les couloirs de l’état-major de l’armée algérienne. L’annulation de la visite en Algérie du Premier ministre malien, Ousmane Issoufi Maïga, initialement programmée pour mars 2006, n’est pas étrangère à la suspicion ambiante. Les ennuis de santé du président algérien ont été invoqués comme excuse officielle, mais personne n’est dupe.

Le 23 mai, l’attaque de Kidal n’a pourtant pas laissé les Algériens indifférents. Les habitants ont fui en direction de Bord Badji Mokhtar, la ville frontalière algérienne. Alger a alors demandé à Abdelkrim Gheraïeb, diplomate chevronné, de s’occuper du dossier. Connu pour son rôle de médiateur dans la crise des otages américains en Iran au début des années 1980, l’ambassadeur d’Algérie au Mali a également parrainé les négociations avec Ibrahim Ag Bahanga, en obtenant la libération, en février 2001, des militaires maliens pris en otages. Aujourd’hui, il peut à nouveau reprendre ses navettes entre Bamako, Kidal et Alger.


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