Je vous rejette tous Et je mets fin au dialogue Je n'ai plus rien à dire J'ai fait un autodafé De mes dictionnaires et de mes effets, J'ai fui la poésie antique Et la rime en "r" du long poème de Farazdak, J'ai émigré de ma voix J'ai émigré des cités du sel amer Et des poèmes de poterie peinte.
J'ai apporté mes arbres à votre désert De désespoir les arbres se sont suicidés ; J'ai apporté ma pluie à votre sécheresse La pluie s'est retenue de tomber ; J'ai planté mes poèmes dans vos matrices Ils se sont étouffés. O matrice, porteuse de poussière et d'épines ! II
J'ai essayé de vous arracher De la colle de l'histoire, Du calendrier des fatalités, De la poésie pleurarde des clichés, Du culte des pierres ; J'ai tenté de libérer Troie assiégée, Alors le siège m'a assiégé. Je vous rejette, oui, je vous rejette Vous qui avez créé votre Dieu A partir de la bave, Vous qui avez élevé une coupole A chaque santon, Un lieu de pèlerinage A chaque faux prophète. J'ai tenté de vous sauver De la clepsydre qui vous engloutit A chaque instant du jour et de la nuit, Des amulettes que vous portez sur vous, Des psalmodies récitées sur vos tombes, Des derwiches tourneurs, De la diseuse de bonne aventure, Et de la danse du Zaar. J'ai tenté de planter un clou dans votre chair, Mais, j'ai désespéré De votre chair et de mes serres, J'ai désespéré de l'épaisseur du mur, J'ai désespéré de mon désespoir.
Hier, je me suis pendu Aux tresses de ma maîtresse Mais je n'ai pu lui faire l'amour Comme je l'ai habituée, Les traits de son corps étaient étranges, Le lit était froid Le froid était froid, Le sein de celle que j'aime était une vieille orange pressée, Et un drapeau percé.
Je regarde, hagard, sur la carte de l'arabisme : A chaque empan de terre un Califa est né Un pouvoir absolu s'est établi, Une tente a été dressée… Le drapeau et les sceaux me font rire, Les empires me font rire, Les Sultanats de pacotille, Les lois originales, Les cheikhs du pétrole, Les mariages de courte jouissance Et les instincts déréglés.
Je marche, visage étranger dans Grenade J'embrasse les enfants, les arbres et les minarets renversés, Là, les Almoravides ont campé, Ici, les Almohades se sont établis, Là, ont eu lieu les orgies, Ici, s'est effectuée la transe, Là, un manteau ensanglanté, Ici, un échafaud dressé.
Tribus arabes ! Dispersez-vous comme des feuilles mortes ! Entretuez-vous ! Disputez-vous ! Suicidez-vous ! O coup de poignard Pour une seconde fois Du genre d'une certaine Andalousie vaincue !
nizar kabbani
==================================================================
Si ça coince, forcez. Si ça casse, ça devait probablement être réparé, de toute façon.