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"Pour une visibilité musulmane discrète"
4 octobre 2013 11:32
Un nouvel équilibre sociétal laïque est nécessaire. Cependant, il ne peut être réalisé uniquement par une approche juridique.

J'ai toujours prôné une visibilité religieuse modérée en général. Elle consiste concrètement pour notre cas à relativiser cette pratique particulière qui obligerait la musulmane à se couvrir les cheveux. C'est ce qu'on appelle à tort "foulard islamique" ou "voile islamique".

Mais si j'appelle à une certaine visibilité musulmane discrète, je reste un peu libéral et défends en même temps la liberté de conscience, les convictions et le choix volontaire d'avoir des pratiques religieuses, tant que cela ne trouble pas l'ordre public et tant qu'elles ne sont pas nocives pour la société de manière avérée, même si je ne les partage pas.

En tant que musulman théologien engagé et en tant que citoyen, je considère comme impératif pour les musulmans de faire un peu de ménage et de mettre un peu de bon sens dans leur pratique religieuse. Selon moi, se couvrir les cheveux, pour la musulmane, relève d'une "prescription équivoque et mineure". Autrement dit, elle repose sur un ou deux passages coraniques amphibologiques et sur des hadiths (communication orale) du Prophète, dont l'authenticité n'est pas certaine.

Rappelons que nous avons plus de textes qui demandent, par exemple, aux hommes de garder leur barbe que de textes qui demandent aux musulmanes de couvrir leurs cheveux, abstraction faite de leur authenticité et de leur sens discutables. Or il y a chez certains musulmans plus de focalisation sur le foulard des femmes que sur la barbe des hommes, lesquels ne se gênent pas pour se raser sans trop se soucier des textes. Quant à ceux qui la portent, ils ne sont pas du tout inquiétés par les lois de la République.

La sociologie de cette pratique nous indique que de "l'ostentation islamique", le "voile islamique" est passé à "l'ostentation esthétique" ; d'un objet de pudeur à un objet de séduction. Une tendance. Des filles qui portent le foulard avec un pantalon serré, ou des vêtements moulants ou transparents, laissent à penser que le sens initial du foulard se perd peu à peu. Il est devenu une tendance un "objet culturel". Aujourd'hui, on organise des défilés de mode du hidjab (voile laissant le visage apparent). Rien à voir avoir avec la pudeur. On a l'impression de voyager dans un conte des Mille et Une Nuits. Le pire, c'est que de plus en plus de filles qui portent le foulard ne font pas leurs cinq prières canoniques quotidiennes, deuxième pilier de l'islam pourtant, après l'attestation de foi. Faudrait-il prendre ce foulard au sérieux ?

D'autres considèrent que le foulard symbolise une consécration, un acte de baptême, un rite de passage pour la fille. Là on pourrait vraiment parler d'un égarement.

C'est à cet égard que j'en appelle aux imams et aux prédicateurs pour qu'ils assument leur responsabilité, remédient à ce désordre religieux et corrigent un discours importé d'ailleurs et d'un autre âge, et qui est en train d'orienter les musulmans vers des pratiques mineures et sans issue, des pratiques exotiques qui trouvent un terreau favorable, celui d'une psychologie identitariste et d'opposition.

AUCUN SYMBOLE, AUCUNE COULEUR

Tous les canonistes musulmans considèrent que se couvrir les cheveux n'est pas un acte cultuel ('ibâdâte), mais relevant du relationnel (mu'amalâte), c'est-à-dire de l'éthique qui intègre les coutumes et les traditions, même ceux qui considèrent que cet acte est obligatoire. Le couvre-chef de la musulmane n'est pas comme une kippa ni comme une croix. Il n'est donc pas un signe religieux, un "objet cultuel".

L'islam étant une religion aniconique, théologiquement parlant il n'est symbolisé par aucun objet ni par aucune couleur. Ni croissant, ni couleur verte, ni habit, ni minaret, ni voile ne sont des symboles de l'islam, contrairement à ce qui est répandu. Donc le concept même de "signe religieux" n'est pas approprié à la théologie musulmane. L'interdiction du foulard dans les écoles comme "signe religieux ostensible" est une immixtion dans les affaires intérieures de la religion, une hérésie politique, dirais-je, dans la mesure où le politique fait de la théologie en déterminant ce qui est modéré ou pas et ce qui est un "signe religieux" ou pas.

En effet, l'islam est une religion qui ignore le concept d'"objet cultuel". Se couvrir les cheveux est un comportement lié au corps, similaire par exemple à celui du port de la barbe. Doit-on dans ce cas considérer la barbe elle aussi comme un "signe religieux ostensible" et donc obliger les garçons musulmans au lycée à se raser ? Pourquoi donc cette double focalisation sur la femme musulmane ?

Dans cette histoire de bras de fer, c'est la femme qui est la victime, doublement victime. D'une part, les musulmans la culpabilisent si elle découvre ses cheveux, ce qui est, d'après moi, théologiquement grave, d'autre part, le législateur laïque donne l'impression de la traquer partout, de l'école jusque dans la rue, et de l'enfance jusqu'à l'âge adulte.

Ce genre de traitement symptomatique ne fait que doper la résistance et l'entêtement chez nos jeunes. Il est contre-productif. Nous sommes en train de faire un mauvais diagnostic en confondant la cause avec l'effet, le symptôme avec l'éthologie. Nous croyons qu'en cassant le thermomètre nous allons guérir notre fièvre.

Sans minimiser le problème que pose la visibilité de l'islam en France, la crise de notre société est profonde, mais remédiable. L'islam n'en est parfois qu'un marqueur sociologique. Réduire sa visibilité par des interdits serait passer à côté des vrais enjeux. La solution est forcément multifactorielle et ne peut être réductible au seul aspect juridique et aux différentes stratégies court-termistes, politiciennes et électoralistes.

Une interdiction supplémentaire du foulard dans les universités donnerait encore une image d'une République contre sa propre démocratie qui en est une dimension constitutionnelle. Car qui dit démocratie dit pluralisme.

Tareq Oubrou (Recteur de la mosquée de Bordeaux)

Source : [www.lemonde.fr]
Ma Sha Allah !!! "[i]Rien ne se perd, rien ne se créé, tout se transforme ![/i]" (Lavoisier) [Bienvenue au Yabi Poésie Club]([url=http://www.yabiladi.com/forum/yabi-poesie-club-7-3375889-5377811.html#msg-5377811])
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4 octobre 2013 19:41
merci Moh Tsu pour cet article intéressant émanant d'un imam éclairé, preuve que l'islam peut avancer et se moderniser et se débarrasser des dogmes archaïques. Tareq Oubrou est fidel à son origine le Maroc pays de l'islam modéré.
 
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