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Portrait : Qotbi show
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28 octobre 2006 11:28
Par Fahd Iraqi




Haut comme trois pommes mais culotté comme pas deux, le “peintre lobbyiste” Mehdi Qotbi revient au bercail après 37 années passées en France. Portrait d'un personnage haut en couleur.


Mehdi Qotbi arrive sur le lieu de rendez-vous 5 minutes en avance. “Je n'aime pas faire attendre les gens. C'est pour cela que je me déplace à vélo à Paris”, lance-t-il. La bonne société parisienne se souvient encore avec émotion de cette réception de l'Elysée à laquelle il était arrivé en pédalant, tiré à quatre épingles. Aujourd'hui, il n'est ni en smoking ni
à vélo. En jeans et chemise, “le roi des paillettes”, comme le surnomment certains, se fond dans la foule casablancaise. “C'est le premier ramadan que je passe au Maroc depuis 37 ans”, commence-t-il avant d'être interrompu par son téléphone portable. Avec son correspondant, il tente de dealer un rendez-vous “ne serait-ce que dix minutes” avec François Hollande, le chef du Parti socialiste français. “Mon retour au Maroc ne signifie pas une rupture avec mes amis français”, note le lobbyiste.

Depuis son arrivée à Casablanca, c'est dans un studio du quartier Gauthier que le peintre tient désormais son atelier. Ici, il réalise des toiles sur commande à plus de 100 000 dirhams pièce. Mais peintre, Mehdi Qotbi ne semble plus l'être qu'à ses heures perdues. Il est surtout connu comme le VRP de luxe du Maroc. Un véritable cas pour ses détracteurs comme pour ses fans. Ils ne manquent pas d'adjectifs pour le qualifier : redoutablement efficace, incontrôlable, agréable, collant, opportuniste, patriote, etc. Mais pour tous, “il a une revanche à prendre sur la vie”.

Mohamed le pauvre, Mehdi le “frenchie”
Une vie qui ne l'a pas trop gâté quand il était enfant, et qui lui a peut-être inculqué l'art de la débrouillardise. Il n'a pas encore dix ans quand il se plante, décidé, devant la villa de Mahjoubi Aherdane. Il interpelle le ministre de la Défense de l'époque pour lui demander du travail pour sa sœur. Il retournera souvent à cette villa où la secrétaire d'Aherdane enseigne le français à Qotbi, pour le préparer à rejoindre le Lycée militaire de Kénitra. Pour l'enfant, c'était un moyen de sortir de la misère. “Je découvrais la vraie cuisine, avec de vrais repas, matin, midi et soir… Et la viande tous les jours”, raconte Qotbi aujourd'hui, quand il joue au people à Marrakech. Et c'est au Lycée militaire qu'il découvre la peinture. Sa première fresque : un tigre, mascotte de son club de scouts. Un chef-d'œuvre qui lui vaut le respect de ses camarades. Mais pas celui de ses enseignants. Car Mehdi n'est pas doué pour les études et l'ambiance du Lycée ne l'emballe pas non plus. Il fait le mur, puis finit par déserter l'école. Pour survivre, il trime à gauche et à droite, faisant tantôt le boy dans une famille bourgeoise, tantôt l'apprenti-coiffeur.

Mais encore une fois, son culot va changer sa vie. Convaincu de ses talents de peintre, il va à la rencontre de feu Gharbaoui, lors d'une exposition, et réussit à susciter sa curiosité. “Il m'a demandé de voir mes œuvres alors que je n'avais encore rien peint. En rentrant chez moi, je me suis mis à peindre avec les deux mains pour avoir quelque chose à lui montrer”, raconte-t-il.

Bien lui en prend. Le lendemain, Gharbaoui force deux de ses amis collectionneurs à acheter les deux premières toiles de Qotbi, pour la modique somme de 40 dirhams. Un déclic ? Toujours est-il que, rêvant d'une vie d'artiste, il décide de prendre le large. Direction : la France. Il se retrouve ainsi sans le sou à Toulouse. Et encore une fois, sa ténacité lui vaut une inscription aux Beaux-Arts. Deux ans plus tard, il est le plus jeune diplômé de l'école. C'est pour lui une seconde naissance : il change son prénom, Mohamed, pour devenir Mehdi. Petit à petit, l'artiste en herbe tisse sa toile dans les milieux parisiens. “La vie a toujours mis sur mon chemin les bonnes personnes, au bon moment”. Il se rapproche de plusieurs poètes, dont il illustre les recueils par ses fresques. Et à travers eux, il accède aux médias et aux politiques. Le légendaire carnet d'adresses de Mehdi Qotbi commence à prendre forme. Et il saura en faire le meilleur usage…

Les amis de la Mamounia
En 1991, les relations entre Rabat et Paris sont pour le moins houleuses. Le brûlot de Gilles Perrault, “Notre ami le roi”, vient de sortir. Mehdi Qotbi est alors une star montante de la diaspora marocaine. En France, ses relations lui ont déjà valu une décoration d'Officier des Arts et des Lettres. Et au Maroc, il est invité à un anniversaire de Hassan II. “C'est au cours de cette réception que Moulay Ahmed Alaoui est venu me demander de mettre mon réseau au service du pays”, raconte-t-il. Le cercle d'amitié franco-marocaine est né. Qotbi recrute à droite comme à gauche, sensibilise avec conviction et ferveur. Ses actions se multiplient, comme ses entrées au Palais. “J'ai organisé en 1995 une visite pour la presse régionale française, qui a même eu la chance de rencontrer Hassan II. Les retombées médiatiques étaient si importantes que Basri m'a félicité pour avoir réussi ce qu'il n'avait pu faire à coups de millions'”, se rappelle-t-il.

L'avènement de Mohammed VI donne au cercle une nouvelle dimension. Le Maroc se démocratise et il faut le faire savoir. Qotbi a de nouveaux slogans à vendre : les droits de l'homme, la Moudawana, les grands chantiers, l'INDH… “Il est très fort dans la valorisation du Maroc officiel. Mais il le fait en terrain conquis, car le Maroc jouit déjà d'un grand capital sympathie auprès des décideurs français”, explique un fin observateur des relations franco-marocaines. L'arrivée au pouvoir de Dominique De Villepin, un vieil ami croisé la première fois sur un vol Paris-New York, arrange encore mieux les affaires de Qotbi. Ses actions s'étendent de la politique aux affaires en passant par la culture. Il est partout : membre du CCDH, président d'honneur des anciens du lycée militaire et même prétendant à la présidence du Conseil de l'immigration, récemment créé par le souverain.

Mais en route, Qotbi ne s'est pas fait que des amis. Son cercle de détracteurs s'agrandit aussi. Reproche principal : il ne tolère aucune concurrence. “Il a été parmi ceux qui ont demandé l'interdiction de notre association”, accuse Georges Berdugo, fondateur de l'Alliance d'amitié franco-marocaine. “Il a ouvert une sorte d'ambassade du Maroc parallèle, affirment plusieurs de ses connaissances. Il lui arrive même de se présenter comme messager du roi”. Lui en revanche, joue la sérénité et explique simplement qu'il a “toujours travaillé côte à côte avec la diplomatie au service de son pays et de son roi”, avec lequel il n'a jamais prétendu entretenir des relations d'amitié.

Son pays semble en tout cas bien le lui rendre. La bourgeoisie marocaine et les grandes institutions financières (d'Attijariwafa à Bank Al Maghrib) s'arrachent ses toiles de “peinture désécrite”. Même le quai d'Orsay distribue huit de ses tableaux sur différentes ambassades à travers le monde. L'année dernière, il a été le maître de cérémonie des festivités parisiennes du cinquantenaire de l'indépendance du Maroc. L'homme connaît les goûts du gotha politico-économique parisien, pour avoir été le “tour operator” des visites de découverte du royaume (et de ses palaces). Et il se trouve toujours des institutionnels pour payer. La RAM offre ainsi les billets et le Mamounia dresse les tables du Fouquet's, le célèbre restaurant des Champs-Elysées. Même l'Assemblée Nationale met une salle à la disposition de Qotbi pour organiser une conférence.

Son retour au Maroc intrigue. “Il anticipe une certaine perte d'influence. Ses relations sont concentrées dans les cercles chiraquiens, qui auront perdu toute influence après les prochaines élections”. Mais il en faut plus pour déstabiliser Qotbi. Il sort une lettre de Ségolène Royal, le remerciant de son invitation au Maroc. “Mais elle a dû décliner, à cause d'un emploi du temps chargé”, lance-t-il avant de ranger la lettre, dont le ton n'est pas aussi chaleureux que sur celle reçue d'un certain Nicolas Sarkozy. “Je ne mets jamais tous mes œufs dans le même panier”, explique-t-il. Toujours se garder de prendre des positions claires dans les affaires délicates : c'est peut-être la première leçon du manuel du parfait lobbyiste.



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