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Vos parents
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27 janvier 2006 17:26
Société. Vos parents
Par Driss Ksikes et Réda Allali


Ils sont votre référence ultime, leur bénédiction vous est indispensable pour tout ? La société trouve ça normal. Pas les sociologues, ni les psychologues.


Aziz , un boxeur, vient d'être sacré champion d'Afrique de sa catégorie. Il est fier de sa médaille, de son titre mais plus encore d'entendre le public chanter : “Aziz, ta maman te donne sa bénédiction, sir allah y rdi alik”. C'est ainsi que le public félicite un champion dans nos stades, la manifestation collective d'une réalité évidente chez nous : la bénédiction des parents représente la récompense suprême, au-delà de
la réussite professionnelle ou matérielle, du bonheur personnel. Regardez nos stars comme Jamel Debbouze ou Hicham El Guerrouj : chaque fois qu'ils le peuvent, ils exhibent les cadeaux qu'ils font à leurs parents, ils savent que le public les jugera en fonction de la façon dont ils les traitent. Noureddine Naybet, à La Corogne, est allé jusqu'à porter le nom de sa mère sur son maillot à la place du sien. à cette recherche de bénédiction du côté des enfants - même adultes et accomplis - répond une recherche de reconnaissance du côté des parents. Faire prendre conscience à l'enfant des efforts consentis pour l'élever dignement, c'est chez nous une véritable obsession parentale. Le répéter à l'infini, cela peut même finir par ressembler à un reproche, ou en tout cas déclencher un sentiment de culpabilité : “Allah y smeh lina mel walidine”...
La notion de dette est omniprésente, une dette considérée comme impossible à rembourser par essence. A la base de ce sentiment, une réalité économique tout d'abord. La dette existe bien en réalité, puisqu'en l'absence de service public décent, de système de bourse ou d'aide sociale, les parents sont effectivement contraints à plus de sacrifices financiers qu'ailleurs. Dette affective également, comme l'explique la sociologue Soumaya Noamane Guessous : “Dans notre société, nous grandissons entourés d'affection, du coup nous ne pouvons pas nous épanouir individuellement sans la famille autour”. Conséquence : l'affirmation de soi, qui se fait traditionnellement en s'opposant aux parents, est très difficile ici. Comment se construire sereinement en tant qu'individu lorsque l'école, tout comme les textes sacrés, sont unanimes à réclamer une soumission totale aux parents ?
En misant tout sur ridat-al-walidine comme valeur suprême, on accepte de placer l'estime que l'on peut avoir de soi entre les mains d'autres personnes (en l'occurrence les parents). Potentiellement, c'est très dangereux. Il suffit d'une réflexion des parents pour se retrouver ramené à l'état de gamin quelles que soient vos réalisations d'adulte. Mais il est également très dangereux de s'élever contre cet état de fait. Dire du mal de ses parents, ou même le penser, c'est un tabou. Aller jusqu'à la rupture, c'est évidemment un acte grave. Dans une société où l'individu se définit d'abord par “ould flane”, se retrouver isolé peut être très perturbant. Surtout lorsque la rupture ne règle aucun problème. Selon le psychologue Jalil Bennani : “La rupture ne veut pas forcément dire l'autonomie... On peut rompre sans modifier les réflexes traditionnels”.
Devant l'impossibilité d'une vraie rupture, et par peur de la malédiction, certains choisissent comme stratégie le louvoiement, avec son cortège de frustrations et de dissimulations. D'autres optent pour le modèle traditionnel et cultivent leur dépendance parentale très tard dans leur vie. Le rapport de forces s'inverse en général avec le temps, lorsque les enfants peuvent prendre en charge leurs parents. Dans tous les cas, la tentation est grande de répéter avec ses enfants les schémas de sa propre enfance. C'est la force du mimétisme, qui perpétue cet éternel casse-tête.



Mardi l’walidine. Le béni

Toute sa vie tend à un objectif clairement défini : faire plaisir à ses parents. Faire plaisir, dans un premier temps, cela signifie obéir, suivre les directives. Chez lui, le respect se confond avec la soumission. Il admet définitivement que “les parents savent”, donc il se contente d'appliquer leurs conseils, quand il ne les sollicite pas. Du coup, il choisira de vivre près d'eux, géographiquement et psychologiquement. Être présent pour témoigner de sa reconnaissance, tout le temps. Évidemment, cela peut aller très loin. Du choix du conjoint au prénom du bébé, en passant par la couleur des rideaux. L'éducation des enfants aussi, bien sûr. Une fois en couple, la situation du mardi l’walidine se complique un peu, surtout si sa moitié lui ressemble. Il y a deux fois plus de parents à satisfaire... Il faut donc se démultiplier pour les aïds, les vacances, ça peut rapidement tourner au cauchemar. Sans compter que les parents peuvent percevoir son mariage comme une menace
(alors qu'ils détestaient le voir célibataire). Du coup, il va jongler, négocier...
Mais faire plaisir à ses parents, cela veut dire aussi mettre la main à la poche, soit symboliquement, soit systématiquement. Le mardi met donc un point d'honneur à multiplier les cadeaux. Le summum, c'est le pèlerinage, qui peut être réédité autant de fois que les parents le jugeront nécessaire. C'est le cadeau idéal pour les deux parties puisqu'en plus de sa valeur symbolique, il est particulièrement visible.
Dans les familles plus modernes, on attendra sensiblement la même chose d'un mardi. Certes, il y aura plus de dialogue, mais il devra leur laisser le dernier mot. Ils prendront toutes les décisions, mais ils auront auparavant pris le soin de jouer la comédie de la suggestion. Concrètement, l'antique “Ton fils s'appellera Abdelmoula, que tu le veuilles ou non, comme son grand père” est remplacé par le plus moderne : “Ce qui nous ferait plaisir, c'est de donner à ton fils le prénom de son grand-père, mais la décision t'appartient”. Évidemment, le résultat est le même.



Maskhout l’walidine. Le banni

Il a transgressé les règles, il est allé jusqu'à la rupture. Pourquoi et comment ? Les scénarios sont multiples. Citons les plus fréquents. Pour les filles, il y a les cas de grossesses illégitimes, ou de mariages mixtes contre la volonté des parents. Les garçons, eux, s'attireront les foudres de leurs mères en choisissant une mauvaise épouse, ou une épouse qui ne se comporte pas comme il faut, qui ne respecte pas “l'ancienneté”. Les ruptures père/fils, elles, sont le plus souvent dues à des raisons matérielles, tout simplement. Un refus d'envoyer une somme d'argent jugée nécessaire et urgente peut suffire à déclencher une guerre terrible. Citons tout de même le cas suprême de l'enfant homosexuel qui n'a pas la décence de se cacher. En milieu rural, on ne pardonne pas aux enfants d'abandonner la terre familiale pour
s'installer en ville. Surtout si ce départ n'est pas compensé par des mensualités. Le reniement de ses origines, sous toutes ses formes, géographique, raciale ou sociale, est une cause de sakht courante.
Dans tous les cas, le maskhout est sorti de la communauté, il a remis en cause la parole des parents et il en paie le prix fort. Ce ne sont pas seulement ses parents qui lui en veulent, c'est toute la société qui le regarde de travers. Que peut donc bien valoir aux yeux des autres quelqu'un qui ne prend même pas soin de ses parents ? Systématiquement, le bannissement familial est vécu des deux côtés comme une blessure profonde. Plutôt que d'atteindre cette extrémité douloureuse, les deux parties, en cas de désaccord profond, choisissent de jouer à un jeu de cache-cache complexe et tacite. On ne montre pas ce qui déplaît aux parents, qui de leur côté s'abstiennent de poser des questions ou de mentionner le problème. C'est l'exemple caractéristique du fils qui rend systématiquement visite à ses parents sans sa femme mais avec ses enfants...





Une troisième voie est-elle possible ?

La plupart des adultes oscillent d'un modèle à l'autre, au gré de leur parcours personnel et de l'état de leurs finances. Vivre ainsi, en perpétuel état d'insatisfaction ou de culpabilité peut engendrer de grandes souffrances. La troisième voie, si elle existe, implique un véritable travail sur soi de la part des deux parties. Il faut commencer par inventer un concept de respect qui ne soit pas qu'une soumission pure et simple. Il faut également accepter un modèle de relation où l'affectif n'est pas perturbé par des différends qui relèvent du choix de chacun et encore moins de considérations matérielles. Autrement dit, il faut séparer les sphères affective, logique et financière, pouvoir être en désaccord sans que l'amour filial soit touché. Une révolution culturelle, quoi.




Dépendance. De 17 à 77 ans

De l'adolescence à la vieillesse, la relation enfants - parents fluctue de la rébellion à la soumission, de la volonté de réussite à la recherche de reconnaissance… Comprenez mieux ce qui se passe entre vos géniteurs et vous, étape par étape.


“Quand y a une fête, je ne peux pas ne pas être là, ça serait très mal pris… il faut être là, pour les parents !”. La trentaine à peine, Nadia est l'exemple même de la Marocaine qui a ses opinions mais les garde pour elle, de peur de froisser “les vieux”. Et si elle en souffre en privé ? Tant pis. Son avis compte pour du beurre. D'autant qu'elle n'arrive même pas à l'exprimer, sereinement.

L'adolescent : Un individu à l'horizon ?
Tout commence à l'adolescence. L'individu est alors un enfant en mutation et un adulte en devenir. “Normalement, explique le psychanalyste Jalil Bennani, le propre de cette phase est la révolte”. Et
es parents peuvent servir de punching-ball, amortir le choc, pour préparer le jeune homme ou la jeune fille à la vie. Or, chez nous, tout est souvent biaisé dès le départ. Les parents jouent rarement le jeu. Ils résistent et tiennent à imposer leur autorité, à tous les coups. “Avant, je me braquais et il s'ensuivait des discussions interminables et des disputes. Maintenant, je fais comme si je me pliais à tout ce qu'ils veulent”, affirme Soufiane, fier d'avoir compris la manœuvre assez tôt.
Les parents, eux, se sentent souvent en porte à faux avec des jeunes, porteurs des courants, des valeurs, des images, des modes, des parlers de leur époque. Jalil Bennani énumère trois types de réactions parentales. “Soit ils sont ouverts au changement, et leurs enfants font alors un double saut vers l'âge adulte, soit ils ont des positions figées et forment des adultes-enfants, incapables de se prendre en charge, soit ils cherchent à être trop proches de leur progéniture et montrent, alors, qu'ils ont raté leur propre adolescence”. Face à des parents qui lui collent à la peau, l'adolescent peine à trouver ses marques, et à la longue son autonomie.
“Le souci majeur de nos parents est de s'assurer que nous allons réussir professionnellement”, affirment l'ensemble des jeunes que nous avons interrogés. Peuvent-ils penser par eux-mêmes, œuvrer à leur épanouissement individuel ? Un souci mineur, sinon un luxe proscrit. “Les parents ne forment pas de futurs individus. Ils fabriquent plus de futurs parents, explique le sociologue Jamal Khalil. L'école devrait jouer son rôle. Or, cette dernière renforce la soumission des jeunes”. Normal, en donnant à la mère la clé du paradis, en faisant du père, absent ou présent, un être aussi sacré que Dieu, en brandissant la menace permanente du qu'en dira-t-on, la parole des parents devient forcément indiscutable. évidemment, les adolescents, en face, ne sont pas toujours dociles ou impassibles mais “les parents ne se rendent compte des dégâts que lorsque l'adolescent, excédé, crie, devient violent ou atteint le stade de la maladie mentale”, affirme Jalil Bennani.
Dans la vie de tous les jours, la mère est beaucoup plus présente que le père. “évidemment, note la sociologue Soumaya Noamane Guessous, “depuis que les femmes travaillent, il y a plus d'équilibre dans les relations affectives”. Mais, la tradition ayant toujours le même poids, “les femmes cherchent aussi, selon le psychologue Fouad Benchekroun, le pouvoir phallique qui leur manque, en régentant le couple à la place du père et en s'affichant d'abord comme oum flane”. L'écrivain Abdellah Taïa raconte : “Lorsque j'étais au lycée, ma mère faisait une fixation sur nous les garçons, pour nous façonner au mieux et être sûrs qu'on pourrait, à l'avenir tirer la famille de sa misère”. Et le père, dans l'histoire ? Il existe justement comme représentant de la loi (qu'il ne respecte pas forcément) et comme détenteur des cordons de la bourse (lorsqu'il en a les moyens).
La dépendance financière, voilà au fond ce qui complique l'accès à l'âge adulte. “Ailleurs, explique Jamal Khalil, la société a mis en place un système de bourses et de prises en charge, permettant aux jeunes de 16 à 17 ans de s'autonomiser de la famille. Chez nous, l'état a laissé les jeunes à l'abandon. L'assistanat parental a fait le reste”. Les jeunes allant à l'université jusqu'à 25 ans, les parents ne savent pas quand ils doivent fermer le robinet. En attendant, les adolescents tardent à devenir adultes et parfois deviennent tributaires des orientations de papa-maman, à vie.

L'adulte : Un être vraiment autonome ?
Si les parents recherchent, par procuration, les études idéales et, à l'arrivée, le travail rêvé, pour leur progéniture, il n'est pas dit que cela plaise à tous les coups. A plus de 30 ans, Mehdi traîne des frustrations mal cicatrisées. “Je voulais être comédien. Mes parents m'ont fait comprendre que ce n'est pas cela qui me nourrirait. Depuis, j'ai abandonné mon rêve et suis rentré dans le droit chemin”. Pour leur faire plaisir, évidemment. Des trentenaires comme Mehdi, qui souffrent d'avoir laissé leurs parents téléguider leur avenir, ne manquent pas. “Chaque enfance a ses blessures, écrivait Jacques Brel, toute la vie adulte consiste à les cicatriser”. Oui, mais chez nous, reconnaît le professeur en psychiatrie Driss Moussaoui, “dans les blessures, les parents sont partie prenante”. Ceux qui en souffrent, Jalil Bennani en voit défiler tous les jours sur son divan. “Souvent des adultes refoulent leurs désirs de peur qu'ils soient mal perçus. Au lieu de faire mal aux autres, en l'occurrence le père ou la mère, ils se font mal. Et parfois, ils en tirent une satisfaction. C'est cela même la servitude volontaire”.
Pour une jeune femme, les raisons de la soumission sont toutes autres. Zineb avait décidé, en tant que célibataire qui s'assume, de vivre seule mais “mes parents ont tout fait pour m'en dissuader arguant du fait qu'en tant que fille je ternirais ma réputation”, déplore-t-elle. Et qu'est-ce qui l'empêche, en tant qu'adulte, majeure et vaccinée, de n'en faire qu'à sa tête ? “On ne s'imagine pas vivre hors du cadre communautaire. Il y a, de la part des parents un tel investissement, matériel et affectif, que nous nous refusons de penser à la rupture, quel que soit notre âge”, estime Soumaya Noamane Guessous. La hantise de quantité d’adultes, même vivant loin de leurs parents, comme Nadia (célibataire de 28 ans) est “d'assumer toujours ce [qu'elle] fait tout en évitant de mettre [son] père et [sa] mère dans une situation qui les gênerait”.
Même lorsqu'une personne réussit sa carrière et n'a plus besoin de se présenter comme “ould ou bent flane”, elle ne se sent réellement comblée qu'au moment où ses parents bénissent sa réussite personnelle. Voyez les soutenances de thèse, toute la famille vient pour filmer, se voir dédicacer des copies, et bénir la réussite scientifique du doctorant. “La preuve que je suis bien, ils me voient comme tel”, se disent la plupart des adultes, chez nous. Mais au fond, ils ne sont pas respectés tels qu'ils sont. Avez-vous déjà vu des parents reconnaître un fils homosexuel ou tolérer une fille qui boit, voire qui fume ? “C'est pour cela que les adultes transgressent les règles, de manière cachée et masquée”, explique Fouad Benchekroun. Cette femme mariée de 35 ans a ses raisons : “Je vis mes passions loin de leur regard pour ne pas avoir à me justifier. Ce serait compliqué”. Cet autre quadragénaire, également marié, ment constamment à ses parents pour avoir la paix. Afin d'avoir bonne conscience, ses pairs ont la bonne formule : “Allah ya smah lina min haq loualidin” (Que Dieu nous pardonne les tourments que nous causons à nos parents).
Le mariage est un moment-clé où les ingérences se multiplient, au nom de la tradition. Tout commence avec le rituel des fiançailles. Ce sont “eux” qui vont aller ykhatbou. L'individu s'efface. C'est le nous communautaire qui prend le relais, avec toutes les tractations et les calculs que charrie la tradition. “à ce moment précis, votre objet de désir doit correspondre à l'image que s'en font les autres”, note à juste titre Fouad Benchekroun. Le discours implicite du père, qui scelle l'union, est d'une violence symbolique inouïe : “Tu n'es que par ce que je suis et ce que je veux que tu sois”. Après le mariage, la mère devient protagoniste. “Quand elle rentre dans la maison de son fils, elle considère que sa belle-fille lui a usurpé son espace”, analyse Jamal Khalil. Cela dit, le fait que la femme travaille et ne soit plus cantonnée à une fonction de procréatrice rééquilibre la place des sentiments et introduit plus de raison dans les rapports.
Une fois installé dans la vie, l'adulte continue souvent à exprimer ses désirs personnels par voies détournées. “Il me faudrait une personnalité hors du commun pour exprimer réellement ce que je pense et ce que je suis sans mettre de masque devant mes parents”, avoue Aziz, ingénieur, lui-même père de 2 enfants. Et qu'est ce qui empêche des hommes accomplis comme Aziz de s'affranchir de cette emprise ? “Souvent, dans notre société, note Jalil Bennani, des adultes restent prisonniers du désir parental. Ils ne savent pas que même lorsque les parents suggèrent à leur fils de devenir médecin ou ingénieur, ils ne le font pas forcément pour son bien mais pour le leur. Ils cherchent la réussite par son biais”.

Parents vieillissants : leur sommes- nous doublement redevable ?
Dès que “les vieux” dépassent la barre des 60 ans, deux questions majeures taraudent inconsciemment l'esprit de leur progéniture : l'argent et la mort. Tout dépend, bien évidemment, de la précarité de la famille. Dans des familles issues de milieux défavorisés, il y a une vieille rengaine : “je t'ai permis d'être ce que tu es, tu es mon fruit. Il te revient de m'entretenir, quand je serai sans ressources”, raconte Saïd, cinquantenaire. Dans ces milieux-là, avoir un fils ou une fille qui a plus ou moins réussi, revient à avoir une retraite. Seul hic, , “quand les parents sont nécessiteux, explique Soumaya Noamane Guessous, ils ne sont pas d'accord sur le montant de l'allocation que le fils devrait leur verser”. Dans des familles appartenant à la classe moyenne (encore limitée chez nous), Jamal Khalil pense que les enfants se sentent redevables vis-à-vis de leurs vieux parents, lorsque ces derniers disent : “On n'attend rien”. Sauf qu'en règle générale, même dans les familles aisées, Fouad Benchekroun relève une “logique de dîme, censée prouver la reconnaissance”. Ce retour sur investissement semble d'autant plus prisé, selon Noamane Guessous, que “l'amour s'exprime chez nous par le matériel, d'abord”. Affaire de précarité économique et de paraître social. Parce qu'au fond, donner de l'amour désintéressé aux parents n'est pas à la portée de tous. “Il faut en avoir reçu abondamment sans calcul, durant l'enfance, sinon on porte des frustrations et on ne véhicule à l'égard des parents que du ressentiment”, estime Jalil Bennani.
Les parents, vieillissants, peuvent continuer à exiger de l'affection sous la menace. Les grand- mères marocaines, se sentant dépassées, et voyant souvent que leur discours sur le passé n'a pas prise, lâchent cette phrase fatidique : Allah yaatini l’mout bach t'hannaou menni (Que Dieu me donne la mort et vous débarrasse de moi !). Face à un tel chantage, Salma, la cinquantaine, affirme : “Nous avons peur de la franchise et des conflits. On pense à la souffrance de la mère, qui nous serait très difficile à supporter. On suppute des drames. Alors, on se tait”. Les mères, surtout, attendent des gestes, des cadeaux, lors des fêtes. Et un pèlerinage à la Mecque ne serait pas de refus. Mais là encore, explique Jamal Khalil, “les enfants ne font pas toujours ces gestes pour le père ou la mère mais pour eux-mêmes”. Pour se racheter, avoir bonne conscience ou pour gagner des points en bénédiction. Une fois les parents disparus, “l'arborescence qui tenait par le haut se disloque”. Et il arrive que des individus n'existent qu'une fois leurs parents partis. Comme s’ils avaient été un fardeau.





Témoignages.
Propos recueillis par Sawsane Yata

Soufiane. 22 ans, célibataire, Employé.
“Dans notre société on ne peut pas être comme on est vraiment, sinon il faut un caractère vraiment spécial parce que c'est très difficile d'assumer… Pendant les périodes de fêtes, comme en ce moment par exemple, je vois mes parents tous les jours. C’ est cyclique, je les vois beaucoup pendant un moment et puis très peu pendant plusieurs jours. Ils viennent tous chez moi, dans mon appartement. Nous parlons de tout avec mon père, nous sommes très proches. Nous sortons ensemble le soir : il m'appelle et nous allons boire un verre tous les deux, nous en profitons pour parler de tout, tout ce que j'ai plus honte de dire devant ma mère”.

Ghita. 28 ans, célibataire, Chef de projet dans une boîte de communication.
“Pour ce qui regarde mon mariage, j'en parle avec ma mère qui se dit prête à accepter mon choix, elle me dit que c'est le mien et effectivement c'est un choix qui me revient mais je n'en parle jamais avec mon père. On ne parle jamais de garçons, c'est un sujet quasi tabou, mon père ne cherchant pas trop à savoir, non plus. La société dans laquelle on vit est hypocrite : tout le monde agit de la même façon, on est tous pareils et certains se permettent d’émettre des jugements alors que souvent ils font pire. On n'est jamais compris, et cela moi je ne l'ai jamais compris. En plus la différence homme- femme est très
gênante car tout ce que fait une fille est toujours mal interprété…”

Zineb. 24 ans, célibataire, juriste.
“Pour mes parents j'étais destinée à être avocate. Ils n'ont jamais pensé que je ne voulais peut- être pas l'être… J'ai donc suivi des études de droit et travaillé avec ma mère pendant quelque temps mais je viens de quitter le giron maternel pour voir si je vaux vraiment quelque chose, quelle est ma réelle valeur professionnelle, dans un endroit qui n'a aucun rapport avec ma famille. Mes parents m'ont toujours laissé une certaine liberté mais je dois faire exactement ce qu'ils veulent. Que ce soit pour ma manière de vivre ou encore mes études, ils décident de tout”.

Nabil. 30 ans, marié, directeur de société.
“J’ai une relation fusionnelle avec ma mère, plus qu'amicale, elle adopte tout ce que je fais, tout ce qui vient de son fils ou tout ce que fait son fils est forcément bien… Avec mon père, il y a des clashs, mais surtout par rapport au boulot. Il accepte mal mes décisions mais c’est normal, notre manière de gérer l'entreprise est différente. J'ai quitté l'école après la proposition de mon père de venir travailler avec lui. Avec le recul, je ne sais pas si j’ai vraiment eu le choix”.

Nadia. 26 ans, mariée, 2 enfants, opticienne.
“Avant de me marier j'ai vécu une situation assez bizarre : mon mari et moi avons voulu acheter une maison, ma famille a mis 40% du prix et mon mari en a mis 60. Mon mari a voulu mettre par contrat cette différence, et mon père l'a très mal pris, disant que je n'avais pas besoin de cette maison et que j'allais en acheter une toute seule, que mon mari n'avait qu'à se la garder, cette maison. Cela a été mal pris parce que, d'après eux, il faut tout partager quand
on est marié”.

Mehdi. 32 ans, célibataire, administrateur.
“J’ai pris mon indépendance financière au moment de la mort de mon père. Avant, je ne me posais pas de questions, on me donnait de l'argent et je le dépensais à mon gré, mais dès qu'il a disparu j'ai été obligé de me débrouiller. Il fallait que je subvienne seul à mes besoins. Il y a des choses qu'on ne peut pas faire sans les parents, il faut respecter la tradition : par exemple je ne peux pas aller voir les parents de ma fiancée tout seul, mes parents doivent m'accompagner. En plus dans la société marocaine avant d'être une personne à part entière on est ould flane, de telle région, ayant tel job… Il faut toujours qu'on soit défini par des attributs sociaux”.







Dernier mot.
Rebelles d'hier, parents d'aujourd'hui
Driss Ksikes

Que deviennent nos “soixante huitards”, hippies et autres militants marxistes, aujourd'hui en costard, quand ils ne se sont pas ringards ? Acceptent-ils que leurs enfants soient aussi anti-conformistes qu'ils l'ont été en leur temps ? Comprennent-ils que les choix individuels d'un(e) jeune de 18 ans lui appartiennent, à lui ou elle seul(e) ? Pas toujours, hélas ! Et les mères, hier en mini-jupe et fières de leur liberté nouvellement acquise, qu'est-ce qui a transformé certaines d'entre elles en surveillantes de la chasteté de leurs célibataires de filles ? Première piste, d’ordre sociologique : chassez le naturel, il revient au galop. “On a été élevé dans un schéma puis on s'est construit un autre. Une fois parents, on retrouve le registre de la mère, avec tout ce que cela suppose comme chantage affectif, constamment monnayé”, soutient Soumaya Noamane Guessous. Et qu'est-ce qui permet à ce retour de se faire aussi naturellement ? Deuxième piste, d’ordre psychologique : les jeunes d'il y a 30 ans n'avaient pas mûri leur révolte. C'étaient des traditionalistes qui s'ignoraient. Ils n'avaient pas suffisamment travaillé sur eux-mêmes pour dépasser réellement le modèle de leurs parents. “Alors, après coup, il y a un retour du refoulé. Devenus à leur tour parents, ils recréent cette même tradition qu'ils ont voulu nier”, analyse Jalil Bennani. Tout cela est-il inconscient ? Faut-il croire que les ex-rebelles des années 70, qui entraient de plain pied dans la modernité, face à des parents généralement traditionnels, sont désenchantés ? Troisième piste, cette fois anthropologique : “Chez les autres, il y a eu le meurtre du père. La catharsis collective a eu lieu. Chez nous, la société rurale n'est pas loin. L'appel du sang, de l'origine est très présent. Résultat, la tentation de recréer le modèle ancestral est forte”, estime Jamal Khalil. Tout cela justifie-t-il la re-traditionalisation des parents ? Non. Mais ça l'explique.





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s
27 janvier 2006 17:30
tm bien les longs textes
h
27 janvier 2006 17:37
moins longs que certains fatwas quand même!!!!
s
27 janvier 2006 18:09
Citation
hux02 a écrit:
moins longs que certains fatwas quand même!!!!

que certaines alors lol
a
27 janvier 2006 20:36
cet article explique trés bien notre dependance vis à vis des parents , et comment une société
dominié par Al-walidine seréte des enfants qui mettent trop de temps pour devenir adultes.
Cette etude s'applique à la société arabe en général.

Il parait que les orphelins ,pourvu q'ils aient un peu de chance au niveau matériel, arrivent à cultiver leur personnalité eux meme et reussissent souvent à s'imposer comme chef ou leader.

La plus part des grands leaders de ce monde n'ont pas connu leur pere.Y compris les prophetes.
2
28 janvier 2006 14:04
Citation
hux02 a écrit:
moins longs que certains fatwas quand même!!!!




Oui l'article est long, tu as un problème ?
La liberté des autres étend la mienne à l'infini.
z
28 janvier 2006 18:33
salam hux, salam a tous

excellent ton post hux,Clap je n'ai qu'un mot


SIR ALLAH Y RDI 3LIK (AMINE) winking smiley
z
28 janvier 2006 18:41
re salam

j'avoues quand meme que ça me dérange moi , je me demande finalement, qui est le plus en attente?

est ce que c'est les parents,, qui en donnant cette fameuse bénidiction , montrent un besoin

de reconnaissance, vis a vis de leurs enfants, ou est ce que ce sont les enfants qui ont besoin aussi

de reconnaissance auprès de leurs parents, ma foi .
m
28 janvier 2006 18:43
j'ai pas le courage de tout lire. quelqu'un peu faire un résumé ? lol
a
29 janvier 2006 14:00
Citation
moi casawia a écrit:
j'ai pas le courage de tout lire. quelqu'un peu faire un résumé ? lol

En résumé:

l'article décortique nos relations avec les parents !
A lire entier pour mieux cerner le sujet.

comme je l'ai dit plus haut, on comprends mieux pourquoi "on met trop de temps pour devenir adultes"
dans une société arabe.
PS: Adulte, pour moi est avoir l'independance TOTALE dans ses choix de vie ,y compris la foi .
h
30 janvier 2006 09:37
Citation
2loubna a écrit:
Citation
hux02 a écrit:
moins longs que certains fatwas quand même!!!!




Oui l'article est long, tu as un problème ?


je ne parle pas aux buveuses de pur arabica :d:d
D
30 janvier 2006 11:50
j'ai déjà lu l'article, je trouve que c'est un peu ce qu'on sait tous...j'aurais aimé un travail plus approfondi (comme ils font sur le magazine psychologies) aulieu d'une analyse plate que tout un chacun peut faire tt seul...c'est toujours le même style sur telquel, j'ai l'impression que les articles qui parlent de la société marocaines sont toujours les même, toujours la même chose qu'ils rabachent.
"l'être moral de chacun de nous reste éternellement seul par la vie" G De Maupassant
h
30 janvier 2006 12:05
Bonjour Salma,
d'accord avec toi sur la forme des articles de telquel! c'est pratiquement le même canevas où on mélange les points de vue des journalistes à celui des spécialistes, avec toujours des témoignages. Il aurait été peut-être plus enrichissant de laisser les spécialistes en parler plus longuement au lieu de parsemer leurs propos par-ci et par là pour justifier les idées des journalistes.
Ceci dit, leurs articles restent de très bonne qualité.
D
30 janvier 2006 12:12
ils auraient pas été de bonne qualité, je ne les aurais pas lus smiling smiley (mais il y a toujours un MAIS)
Citation
hux02 a écrit:
Bonjour Salma,
d'accord avec toi sur la forme des articles de telquel! c'est pratiquement le même canevas où on mélange les points de vue des journalistes à celui des spécialistes, avec toujours des témoignages. Il aurait été peut-être plus enrichissant de laisser les spécialistes en parler plus longuement au lieu de parsemer leurs propos par-ci et par là pour justifier les idées des journalistes.
Ceci dit, leurs articles restent de très bonne qualité.
"l'être moral de chacun de nous reste éternellement seul par la vie" G De Maupassant
 
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