Menu
Connexion Yabiladies Ramadan Radio Forum News
Panorama irakien : «un confessionnalisme sans religion»
s
31 janvier 2007 00:13
Noureddine Lachhab, 2 décembre 2006

Traduit par Ahmed Manaï et révisé par Fausto Giudice




Je me permets de me présenter pour éviter que le gouvernement « des barbus démocratiques sous occupation, confinés dans la réserve usaméricaine de la zone verte » ne me range d’emblée dans les rangs des Takfiris [1], des saddamistes et des agents du régime déchu.



Je suis du Maghreb, l’occident de cette nation arabo- musulmane, inscrite en permanence au registre de la tristesse.



Je dois avouer de prime abord qu’il n’y a aucune différence, pour moi, entre un sunnite et un chiite, l’un et l’autre appartenant à des écoles juridiques de la même aire, destinées à promouvoir la compréhension de l’islam. Je n’aime pas m’engager dans des débats secondaires de jurisprudence ni dans les litiges, d’ordre historique, relatifs aux problématiques qui ont longtemps préoccupé la pensée arabe.



Le plus important pour moi est que la diversité de ces écoles juridiques, traduit la richesse des idées et du patrimoine intellectuel arabe et qu’elle est susceptible de fournir matière à réflexion à une éventuelle élite, habitée par la curiosité et le désir de produire une pensée en rapport avec le patrimoine de l’Oumma.



Ainsi et alors que nous étions en pleine lutte idéologique entre les islamistes et les gauchistes, nous faisions souvent appel aux travaux de penseurs de l’islam politique, sunnites et chiites à la fois. Nous étudions les œuvres de penseurs iraniens tels que Ali Shariati, Mourtadha Moutahheri ainsi que les livres du martyr Mohammed Baker Assadr, tels que « Notre philosophie », « Notre économie » et « Les fondements logiques de la déduction», les articles de l’érudit Mohamed Hassen Fadhallah ainsi que l’Ayatollah Mohamed Mehdi Chamseddine, Mohsen Amine, Hani Fahs et d’autres. Les revues Al Alam, Almountalak, Al Kalima, Al Minhaj étaient nos autres références, chaque fois que le besoin se faisait sentir, sans gêne ni complexe d’aucune sorte, étant convaincus que nous nous abreuvions à une source commune et que nous transformions notre acquis en instrument de débat avec nos camarades étudiants.



Puis quand la révolution islamique triompha en Iran, les meilleurs d’entre les Arabes et surtout les intellectuels marocains, les islamistes comme les gauchistes, accueillirent l’événement avec un immense espoir.



Ainsi, la revue Aklam, sorte de cercle du savoir autour duquel gravitaient le nec plus ultra de l’intelligentsia de gauche au Maroc, publia dans son numéro d’avril 1979, deux longs poèmes à la gloire de Khomeiny, le premier intitulé « Partie de la grande Iliade de l’imam Khomeiny », du poète Ahmed Hennaoui et le deuxième, intitulé « Hommage à la victoire de l’artisan l’imam Khomeiny » du poète Mohamed Wadiâ Asfi. Le Cheikh Abdessalem Yacine, l’un des plus brillants théoriciens du courant islamiste, avait des propos très élogieux de l’Imam Khomeiny, dans la revue Al Jamâa, avant qu’elle ne soit interdite par l’administration. Il estimait que la révolution islamique iranienne était l’une des trois formules de changement que l’Oumma devrait prospecter pour s’en inspirer dans sa confrontation avec les despotes et les autocrates qui la gouvernent.



Ajoutons à cela, un facteur d’une grande valeur historique que les Marocains ne peuvent oublier, à savoir que la première dynastie d’essence musulmane a été fondée chez nous par Moulay Idriss 1er appartenant à la famille du Prophète (SAS). Nous n’avons donc aucune allergie aux chiites et nous sommes, nous autres sunnites, au plan affectif, des chiites. Nous respectons, glorifions et prouvons de l’affection pour Al El Beit (la famille du prophète, NdT). Cependant nous ne pouvons plus les suivre, lorsqu’ils deviennent injustes et inéquitables, nous fondant en cela sur le Hadith du Prophète (SAS) : « Par Allah, si Fatma, ma propre fille, volait, je lui couperais la main ».



N’étant pas idiot, pardonnez que je ne puisse m’engager dans un débat sur « l’infaillibilité », qui est une affaire théologique conflictuelle entre les deux écoles de jurisprudence.



Je voudrais parler de la situation tragique de l’Irak et de la relation du véritable islam Mohammadien, comme se targuent de l’appeler les nouveaux rois des Taïfas [2], avec le sang, les chouhadas et les corps déchiquetés dont les victimes sont les pauvres, les poètes, les savants et les gens pieux, qui tombent par dizaines et centaines comme les feuilles d’automne.



Quelle est la réalité de ce qui se passe en Irak avec ces enlèvements, ces gens qu’on égorge, ces assassinats, ces tortures et ces cadavres qu’on mutile, de part et d’autre ?



L’Islam, tel que je le comprends, est venu pour faire le bonheur de l’humanité et la mission de la foi est d’assurer la paix. Plus un homme avance dans la voie de la foi et s’éclaire de la lumière du Prophète, plus il a la sensation de s’éloigner de la bestialité et d’accomplir sa vraie humanité. L’islam vient de Assalam, la paix et le Jihad, qui est une violence sacralisée, n’a pour but que d’écarter un préjudice et de défendre l’intégrité de l’homme, celui-là même dont la religion est venue faire le bonheur, l’ennoblir et lui donner la paix dans ce monde et dans l’au-delà. L e philosophe et poète Mohamed Iqbal disait :



« Si la foi se perd, il n’y a plus de sécurité, et il n’y a point de vie pour celui qui ne vit pas sa foi ».



Ce qui se passe en Irak, aurait-il un rapport avec une lutte entre conceptions juridiques ? Non, loin de là, parce que les conceptions juridiques ne se battent pas mais débattent, ce sont des idées qui ont besoin de convaincre et non pas de réprimer.



Nous sommes face au phénomène qu’avait prédit feu le sociologue irakien Ali Al Wardi et qu’il avait appelé « confession sans la religion ».



Revenons un peu à l’histoire immédiate qui, dans ce cas, est absolument nécessaire pour comprendre ce qui se passe aujourd’hui. Nombre de chercheurs arabes et, paradoxalement nombre d’Irakiens parmi eux, affirmaient il n’y a pas longtemps, que l’Irak ne tomberait jamais dans le piège de la guerre civile, prévue et planifiée par l’occupant, parce que la cohésion sociale résisterait aux appels du confessionnalisme. L’explication à cela est que la société est d’essence tribale et que l’allégeance des gens va plus à la tribu qu’à la confession.



Ainsi les tribus Chammar et Jebour ne font qu’une seule et même tribu, dont la partie située au nord est sunnite et celle située dans le sud est chiite.



Peut-on imaginer que les fils d’une même tribu puissent s’entretuer ? En plus, les enfants des deux franges de tribu se marient entre eux sans tenir compte du complexe de la confession. Au plan politique, il n’est jamais arrivé que des partis politiques se fussent constitués sur des bases confessionnelles ou ethniques. Ainsi, le parti de l’Istiqlal avait pour président le cheikh Mohamed Koubba, un chiite, et son vice-président, Siddik Chenchal, un sunnite. Même les partis de Nouri Saïd et Salah Jebr étaient pluriethniques et pluriconfessionnels.



Depuis la constitution de l’État irakien en 1920 jusqu’à l’occupation en 2003, il y a eu parmi les chefs de gouvernement 7 chiites et 4 kurdes.



Les intellectuels irakiens allaient encore plus loin dans leur refus d’imaginer la guerre civile, en cherchant leurs arguments jusque dans la révolution de 1920, durant laquelle chiites et sunnites s’étaient battus côte à côte contre l’occupation britannique.



Mais l’Irak est tombé dans le piège que lui ont dressé les occupants et leurs agents, lesquels n’ont rien à voir avec la religion et ses valeurs nobles, ni avec la dignité du citoyen irakien et ses traditions de fierté.



C’est ainsi que les premiers à avoir fait la promotion du sectarisme confessionnel, ce sont des groupes d’intérêt arrivés sur les pas de l’occupant, et à leur tête Ahmed Chalabi. C’est ce dernier qui, le premier, avait lancé le concept de « la maison chiite », après que les Usaméricains, le grand Satan omnipotent, l’avaient immunisé contre toute poursuite judiciaire (en 1992, Chalabi fut jugé par contumace en Jordanie, reconnu comme étant directement impliqué dans la banqueroute de la banque jordanienne Petra Bank qu’il dirigeait. Il fut condamné à 22 années de prison, NdT).







Curieux que les deux pôles de la contradiction puissent faire si bon ménage !



En tout cas, ce Chalabi a réussi à mobiliser les chiites sur une liste qui semble avoir reçu la caution de Sayed Ali Sistani et même son soutien actif, puisqu’il a déclaré que le vote était une obligation religieuse. Lors de son retour d’un voyage en Iran, Chalabi avait déclaré, au cours d’une conférence de presse à Nadjaf et en présence de Abdel Aziz El Hakim, que l’Iran ne veut pas que les Usaméricains quittent l’Irak, sans doute au prétexte qu’il veut en faire un otage dans son dossier nucléaire. Chalabi était conscient que le nouveau gouvernement serait un gouvernement de barbus, soutenu par l’Iran et c’est ainsi qu’il joua très tôt sur la corde du sectarisme.



Le deuxième à lui avoir emboîté le pas et à avoir soutenu le sectarisme, fut le Parti communiste irakien (PCI). En effet, quelques jours après la chute de Bagdad en avril 2003, le Parti communiste accroche une banderole à travers l’avenue Al Moutanabbi, portant l’inscription suivante : « Le Parti communiste irakien présente ses condoléances au Seigneur du temps et de l’époque, le Mahdi, l’imam caché et qu’Allah précipite son retour, par le martyr de l’imam Hussein ». Curieux que les deux pôles d’une contradiction puissent faire si bon ménage et que les chiites et les communistes se rencontrent !




Gardien devant le QG du PCI - Communiste irakien en action - Banderole du PCI :"Patrie libre, peuple heureux"



Et l’on se demande, avec l’intellectuel irakien Fadhel Rbîi, si on est dans la mythologie ou la réalité ?



L’homme défait et écrasé, selon le critique canadien Northrop Frey, ne réfléchit pas par l’idéologie mais par la mythologie.



Le moment est venu de nous poser, non sans une certaine naïveté, cette question : à quoi serviraient les milices si elles ne défendent pas l’intégrité du pays, protègent les citoyens et agissent pour assurer la sécurité de tous, sans distinction, et le plus important, combattre l’occupation. Il s’agit pourtant d’une mission légitime selon toutes les lois divines, les usages et le droit international et conforme aux dispositions de la nature humaine la plus saine.



Qu’en est-il de la position du courant Sadr par rapport à l’appel de Sayed Mohamed Baker Sadr, des mois de Rejab, Chawal 1399H et après lequel il tomba en Chahid ?



En voici un extrait qui éclaire sa vision de ce qui se passe actuellement : «Le taghout (l’oppresseur) et ses agents essaient de convaincre nos bons enfants sunnit s que la bataille est une affaire entre sunnites et chiites, afin de couper les sunnites de leur véritable combat contre l’ennemi commun. Je voudrais vous dire, vous enfants de Ali et de Hussein et enfants de Abou Bakr et de Omar…que le pouvoir des Califes « bien guidés » était fondé sur l’Islam et la justice et que Ali , avait pris les armes pour le défendre. Il fut en effet un simple soldat dans les guerres contre l’apostasie, sous le commandement du premier calife. Nous nous battons tous pour défendre l’Islam et sous son drapeau quelque soit sa couleur confessionnelle. Il y a cinquante ans, les savants chiites avaient pris fait et cause pour le pouvoir sunnite qui se réclamait de l’islam et avaient émis une fatwa enjoignant à leurs disciples de combattre pour lui. C’étaient des centaines de milliers de chiites qui s’étaient engagés dans la bataille et offert généreusement leur sang pour le défendre. Le pouvoir actuel n’est pas un pouvoir sunnite même si ceux qui s’en sont accaparés historiquement le sont…Adel Abdel Mahdi ; Revue Kirâat Syassya, n°3, année 1992).



Pourquoi donc le courant Sadr s’est-il écarté de cette profonde vision préconisée par le martyr Sadr ? Quelle serait donc la position de Adel Abdel Mahdi sur ce qui se passe aujourd’hui ? Pourquoi auraient-ils transformé Al El Beit (la famille du prophète) en gens belliqueux et sanguinaires, faisant la cour à l’objet de leur amour par l’assassinat d’autres Irakiens, comme en témoigne l’enlèvement des fonctionnaires du ministère de l’Éducation, leur torture et leur massacre à la cité qui porte le nom du martyr Sadr. Les fonctionnaires ne sont pas des membres d’Al Qaida et n’ont rien à voir avec l’ancien régime. Ce sont de simples fonctionnaires qui luttent pour leur pain quotidien.



Les puritains que nous avions crus incapables de commettre l’interdit se sont transformés aujourd’hui en assassins, en incendiaires, en destructeurs de mosquées et en traîtres. Que dire encore de Abdel Aziz Al Hakim, au cœur si pur ?



Mais laissons parler, à son propos, l’intellectuel irakien Kheireddine Hassib qui ne connaît que le langage des chiffres, des documents et du dialogue serein. Abdel Aziz Al Hakim dispose, selon lui, d’un port, à Bassora, pour le vol et l’exportation du pétrole brut vers l’Iran et le docteur Hassib connaît tous ses acolytes. Et comme pour faciliter le vol, il n’existe pas de compteurs sur les puits de pétrole pour comptabiliser les quantités extraites et exportées. C’est le vol du peuple irakien qu’ils sont venus sauver de la dictature. L’inspecteur usaméricain désigné par le Congrès n’a fait que constater les faits scandaleux de ce vol qui continue depuis Bremer. Que pense Al Hakim, l’homme lige des Iraniens s’il n’est pas iranien lui-même, de cette sentence de Khomeiny : « Si tu as l’assentiment des Usaméricains, tu devrais alors te considérer coupable » et encore du slogan « grand Satan » de la révolution islamique, pour désigner les Usaméricains ? Le cœur avec l’imam Hussein et l’épée avec les Usaméricains ?



Curieux que les deux pôles d’une contradiction puissent faire si bon ménage !



Que signifie cette réconciliation nationale à laquelle appelle Maliki et qui pose à la résistance cette condition « qu’elle n’ait pas versé le sang des amis des forces de la coalition », c'est-à-dire des occupants ? Personne ne peut y croire, sauf peut-être le commissaire marocain Mahmoud Archane, serviteur du Makhzen et détenteur de la carte de résistant français, et qui déclara dans une interview à un journal marocain que « ses mains étaient propres et qu’il n’a jamais trempé dans le sang d’un occupant français ».



Puis, que signifient aussi ces réunions « soufies » avec la secrétaire d’État usaméricain et pourquoi se réunissent-ils avec Zalman Khalilzad (ambassadeur US à Bagdad, d’origine afghane, NdT), le sunnite, et ne le font pas avec le Sunnite qui combat l’occupation ?



Non, en toute logique, ils ne sont pas sincères parce que les deux pôles de la contradiction ne peuvent se rencontrer. Ils sont assurément des imposteurs, ne s’intéressent qu’à leur propre intérêt. Ils sont parfaitement étrangers au peuple irakien avec lequel ils n’ont rien en commun et ne peuvent s’accommoder avec lui. Ils ne sont pas sûrs de pouvoir se maintenir plus longtemps sur cette terre d’Irak. Je ne plaisante pas parce que la volonté des peuples a horreur de la plaisanterie…Les nouveaux rois des taïfas sont venus pour une seule mission, définie ainsi par le poète irakien Trad Al Kebissi : « Ils sont venus sortir les Arabes de la terre des Arabes ».




Notes



Takfiri (du mot arabe تكفيري ) sont des extrémistes islamistes adeptes d'une idéologie violente. Le terme "takfiri" signifie littéralement "excommunication". Les Takfiris considèrent les musulmans ne partageant pas leur point de vue comme étant des apostats et donc des cibles légitimes pour leurs attaques. Les opposants musulmans aux takfiris considèrent souvent ces derniers comme étant les équivalents modernes des Kharijites, un mouvement religieux, qui, au VIIe siècle lança la guerre contre le califat.



Taïfas : Les reyes de Taifas ou Taifat ("rois des factions" ou "Rois des régions" en castillan , de l'arabe Moulouk el Tawaïf) sont des roitelets qui régnèrent en Espagne sur une trentaine de principautés musulmanes souvent éphémères qui se succédèrent entre 1009 et 1091 à l'époque des taïfas, puis périodiquement, dans le califat omeyyade de Cordoue et au-delà.



--------------------------------------------------------------------------------

Original : Al Quds Al Arabi

Traduit de l’arabe par Ahmed Manaï et révisé par Fausto Giudice, membre de Tlaxcala .
siryne
 
Emission spécial MRE
2m Radio + Yabiladi.com
Facebook