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Le mythe de la "surfemme"
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21 septembre 2006 21:37
Le mythe de la "surfemme", par François-Xavier Ajavon
LE MONDE | 21.09.06 | 13h45



Nos sociétés occidentales seraient-elles en train de passer du dénigrement éternel du genre féminin à une mystique progressiste de la femme surpuissante et idéale ? Le reniement de tant de siècles obscurs d'odieuses discriminations à l'égard des femmes doit-il se faire au prix de la naissance d'une encombrante figure médiatique nouvelle, la "surfemme", qui ne concerne que très peu la population.



Evidemment, on objectera le fait qu'Hélène de Troie ou Marie-Madeleine, Golda Meir ou Margaret Thatcher, Marie Curie ou Hannah Arendt, Virginia Woolf ou Mme de Staël, et bien d'autres, n'ont pas attendu les mouvements de libération de la femme pour prendre le pouvoir dans nos contrées et nos esprits, ou pour avoir du génie ; certes, mais le mythe actuel de la surfemme exige des femmes qu'elles allient tout ce qui constituait leur identité préalable de genre opprimé (le culte du corps forgé pour le désir et la reproduction, la superficialité d'agrément, l'adhésion à des valeurs de douceur, de réserve, l'attachement aux enfants comme projet de vie, etc.) à de nouvelles exigences caricaturales, puisées dans ce que l'imaginaire masculin peut donner de pire : la réalisation de soi dans l'épuisement au travail, la combativité débridée en contexte économique libéral, le goût viril du pouvoir et des honneurs, comme autant d'attributs phalliques.

La femme moderne, la femme d'aujourd'hui, la surfemme telle qu'on nous la présente dans les médias, doit donc être à la fois une archaïque et belle "dame du temps jadis", mais aussi une figure féminine dépouillée de ses attributs, et singeant même les hommes. Le passage de la misogynie à la philogynie doit-il se faire au détriment des femmes réelles ?

Certes, la femme revient de loin, il faut l'avouer. Pour ne prendre qu'un exemple cocasse, le médecin Nicolas Venette (1622-1698) n'hésitait pas à écrire dans son très fameux essai Tableau de l'amour conjugal : "Les femmes sont plutôt légères qu'ingénues ; si elles engendrent et vieillissent plus tôt, c'est aussi une marque de faiblesse de leur chaleur ; l'excès de l'amour ne peut être principalement attribué à la force de cette même chaleur, mais à l'inconstance de leur imagination, ou plutôt à la providence de la nature, qui les a faites pour nous servir de jouet après nos plus sérieuses occupations. L'homme, au contraire, agit avec plus de fermeté, se défend avec plus de courage, raisonne avec plus de force, et contribue à faire un enfant avec plus de promptitude."

Impossible, de nos jours, d'imaginer que la surfemme médiatique puisse être le "jouet" de qui que ce soit, si ce n'est des médias eux-mêmes. On connaît l'effet loupe de la presse, qui s'intéresse en priorité aux événements spectaculaires, aux individus hors normes, aux premiers cercles des pouvoirs culturel ou médiatique, et qui n'a de cesse de mettre le focus sur d'absolus cas particuliers du genre humain... c'est pourquoi la surfemme, figure médiatique inquiétante du monde contemporain, a toutes les chances de prospérer dans nos imaginaires. Les nouveaux symboles de l'émancipation de la femme sont prélevés chaque jour dans des catégories professionnelles pour le moins minoritaires et rattachées à des symboliques de pouvoir : élue, figure du monde associatif, chef d'entreprise, quand ce n'est pas pilote de ligne ou même astronaute. Savoir qu'une femme peut maintenant devenir pilote d'A380 chez Air-France ou présidente de la République doit faire une belle jambe à la majorité des Françaises, qui aspirent surtout à une vraie égalité de salaire ou au respect dans le monde du travail.

A côté de cela, d'autres mythologies de la surfemme sont tout aussi persistantes. C'est la surfemme aux mensurations idéales, dictées par on ne sait quel nombre d'or mystérieux mais efficace ; c'est le supermodèle, mannequin aux formes adolescentes, sylphides diaphanes. Moins de 5 % des femmes du "pays réel" satisfont aux normes idylliques du 90-60-90 pour 1,78 m, qui est en général le ticket d'entrée nécessaire dans les agences de mannequins. Alors : monstrueuse ou sublime, la surfemme ?

Cette surfemme médiatique n'est-elle pas, finalement, un instrument du monde masculin ? En quoi des figures aussi exceptionnelles et remarquables, dans leurs genres respectifs, que Ségolène Royal, le mannequin Kate Moss ou l'astronaute Claudie Haigneré sont-elles représentatives d'un quelconque progrès de la place des femmes dans nos sociétés ? Avec tact et un sens exemplaire de la neutralité politique, France 2 s'apprête d'ailleurs à programmer - en pleine campagne pour l'élection présidentielle - une série télévisée sur le thème d'une femme qui arrive à la présidence de la République et qui découvre, quelques mois après son investiture, qu'elle attend un enfant. Ersatz ségolien de "Commander in Chief", la série française "L'Etat de Grace", dont la diffusion est programmée au début 2007, visera certainement encore à montrer une wonderwoman diplômée, en Chanel-Prada, confrontée aux exigences croisées de la maternité, de la féminité, du pouvoir et de la volonté de puissance. Sortira-t-on un jour de cette caricature de femme moderne qui s'émancipe par l'hyper-puissance ? La surfemme médiatique, image "fantomatique" de la puissance ou de l'hyper-beauté, conduira-t-elle à une véritable émancipation - ou plutôt à un effet collectif de réaction et de retour vers les rassurantes figures maternelles du passé ?

Les femmes du monde réel résisteront-elles longtemps à la pression si violente exercée par les modèles féminins d'hyperpuissance que les médias leur martèlent au quotidien ? Rien n'est moins certain...



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François-Xavier Ajavon est chargé de cours de philosophie à l'université Paris-XII.



[www.lemonde.fr]
"Si les singes savaient s'ennuyer ils pourraient devenir des hommes." (Goëthe)
B
22 septembre 2006 10:15
Le pire c'est que cette surfemme instrumentalisée se croit libre
Ben quoi 0-°
 
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