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Microcredit - Maroc : un exemple pour le Maghreb
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20 juillet 2006 23:24
[www.jeuneafrique.com]

Maroc : un exemple pour le Maghreb
20 juillet 2006 -

Il est 9 heures du matin à Meknès, dans un quartier excentré de cette ville du nord du Maroc. Dans la salle d’attente d’une agence d’Al Amana, une association de microcrédit reconnue dans le pays, des hommes, mais aussi et surtout des femmes, échangent quelques nouvelles. Puis, à tour de rôle, seuls ou en petits groupes, ils se lèvent pour se rendre dans l’une des pièces du bâtiment et rejoindre leur agent de crédit. On est lundi, le jour où l’agence encaisse le remboursement des emprunts et délivre de nouveaux prêts. Les sommes sont modestes : 1 000 DH par-ci, 2 500 DH par-là. Elles représentent pourtant une petite fortune pour leurs bénéficiaires. Car la clientèle servie ici n’intéresse pas les banques. Il s’agit des habitants d’un quartier pauvre, artisans pour la plupart, souvent analphabètes et sans compte en banque.

Dans le bureau de Madi, les clients défilent : une brodeuse qui doit financer son fil, puis un chauffeur de taxi dont le moteur est tombé en panne, alors qu’il rembourse actuellement son premier emprunt de 5 000 DH. Viennent ensuite un photographe qui équipe son studio et Mohamed, 34 ans, qui achète à crédit de l’huile d’olive pour la distribuer à motocyclette dans son quartier. À peine assise, Roula, qui en est déjà à son neuvième prêt, plonge la main dans son caftan bleu et en sort un sac en plastique transparent contenant une liasse de 1 200 DH. Elle la jette sur la table. La routine. Madi vérifie la somme en faisant glisser les billets entre ses doigts, puis tapote sur sa petite calculette pour déterminer les échéances encore à venir. Deux coups de tampon sur une fiche cartonnée, un reçu, et on n’en parle plus. Dans quinze jours, sa cliente devra repasser pour régler la traite suivante.

Depuis le temps qu’ils se fréquentent, clients et employés de l’agence se connaissent bien. Avant d’obtenir un crédit, Roula, Mohamed et les autres ont eu plus d’une fois affaire à Madi et à ses collègues : à l’occasion de séances d’information d’abord, puis lors des enquêtes de terrain destinées à évaluer leur patrimoine, leurs besoins financiers… et leur « moralité », autrement dit leur réputation dans le quartier.

Ce n’est qu’à l’issue de cette procédure qu’un premier emprunt est négocié : modeste pour commencer (1 000 à 1 500 DH), il s’élève par la suite. Pour limiter les risques d’insolvabilité, les associations de micro crédit assurent leurs arrières. Car les clients exercent très souvent leur activité dans le secteur informel de l’économie. Le suivi de chaque dossier est donc personnalisé, pour que les agents connaissent individuellement tous leurs créditeurs. Des liens de confiance doivent naître entre eux afin d’assurer le bon fonctionnement du système.

Un tel déploiement de précautions explique en grande partie l’excellent taux de remboursement enregistré par les associations marocaines : 99 %, contre une moyenne mondiale de 95 %. Mais c’est aussi parce que, au Maroc, l’essentiel des prêts accordés sont dits « solidaires ». Ils sont accordés à des groupes de cinq personnes souhaitant emprunter qui se cautionnent mutuellement. Toutes doivent mener une activité génératrice de revenu. Il leur faut, en outre, n’avoir aucun lien de parenté et disposer d’une carte d’identité : une opportunité que saisissent souvent les femmes pour s’en pourvoir et faire ainsi un pas de plus vers l’émancipation.

11 heures à Meknès. Issam multiplie les coups de tampon, car il faut passer aux décaissements avant la fin de la matinée. Toutes les portes se ferment alors, discrétion oblige. L’agent de crédit accueille un premier groupe : Ali, 27 ans, est distributeur ambulant de produits alimentaires, et Tahar, 60 ans, vend des produits agricoles. Deux brodeuses sont là également. Les vêtements et les visages usés par le temps révèlent un train de vie extrêmement modeste. « Attention, avertit pourtant Issam, c’est un très bon groupe, qui rembourse sans jamais poser de problèmes. Et, à chaque fois, ils renouvellent l’emprunt. » Tous sont voisins. Ali est un peu le référent du groupe, même si les responsabilités sont réparties en parts égales. C’est à lui qu’Issam tend la première liasse de billets. Ali compte les coupures, avant de remettre 1 000 DH à sa voisine. L’opération se répète jusqu’à ce que tout le monde soit servi. Quant aux billets, roulés à l’aide d’un élastique, ils disparaissent immédiatement dans les caftans.

Cependant, les choses ne se passent pas toujours aussi bien. Dans le bureau d’à côté, une jeune femme tente, en vain, de négocier le renouvellement de son crédit. Elle a accumulé des retards de paiement que ses partenaires ont dû assumer. « Ton groupe lui-même t’a exclue. Alors moi, je ne peux rien faire », lui répond l’agent de crédit. Une autre équipe de femmes se présente avec une demi-heure de retard. Nezha, qui est déjà arrivée depuis plusieurs minutes, en fait partie. Lassée d’attendre, elle le fait savoir à ses codébitrices : « Il s’agit de la première échéance. Qu’est-ce que ce sera à la dix-septième ? »

D’une manière générale, le microcrédit a connu un franc succès ces dernières années au Maroc. Depuis leur lancement dans le pays dans la seconde moitié des années 1990, les douze associations les plus actives ont distribué plus de 5 milliards de DH à 460 000 clients. Quelque 2,2 millions de prêts ont été accordés, en milieu urbain principalement. Et, à lui seul, le microcrédit marocain rassemble la moitié des clients de tout le monde arabe. Alors que le Maroc s’est engagé très tardivement dans cette activité.

Les deux établissements leaders au Maroc sont la fondation Zakoura (première en nombre de prêts) et l’agence Al Amana (premier portefeuille encours avec 550 millions de DH). Elles sont les seules au Proche et Moyen-Orient à avoir intégré le classement des vingt meilleures sociétés de microfinance dans le monde. La filière compte aussi la Fondation Banque populaire, créée par la banque du même nom, ainsi que la Fondep et la Fondation Crédit agricole, de tailles plus réduites.

Al Amana est né d’un projet américano-marocain lancé par l’ONG Volunteers In Technical Assistance, ce qui lui a permis de bénéficier d’un capital de départ important. La fondation Zakoura, elle, a commencé son activité en octobre 1995. « Ce sont des banques marocaines et européennes qui ont vraiment fourni le gros du financement. La Société générale, notamment, qui nous a accompagnés depuis le début », explique Aziz Benmaazouz, directeur général de la fondation.

Sa clientèle est féminine à 96%. « Notre but était aussi de rétablir un certain équilibre entre les hommes et les femmes. Le taux d’analphabétisme étant plus élevé chez ces dernières, elles ont moins facilement accès à l’information et au crédit bancaire. Or on peut plus compter sur elles que sur les hommes pour les remboursements. » D’ailleurs, les organismes incitent souvent les femmes à quitter la maison pour se prendre en main. Grâce à eux, dans le village de Gouerit, Amina, mariée et mère de deux enfants, a ainsi constitué un groupe avec ses voisines Zineb et Dina (29 et 35 ans, toutes deux célibataires) pour pouvoir emprunter auprès de Zakoura. Depuis, elles peuvent élever des lapins. Un premier don du ministère de l’Agriculture leur avait fourni un groupe composé d’un mâle et de quatre femelles, mais les trois prêts qu’elles ont pu obtenir de l’agence (2 000 DH, 3 000 DH puis 2 500 DH) par la suite leur ont permis de porter la taille de leur élevage à une cinquantaine de bêtes. « C’était très difficile au début, parce que je ne savais pas comment soigner, vacciner ni même nourrir les lapins, explique-t-elle. Heureusement, nous avons reçu une formation. »

Les spécificités de la fondation Zakoura sont sa forte présence en milieu rural et l’importance de ses services au particulier : modules de formation, en gestion notamment, accompagnement pour ouvrir un compte épargne et séminaires d’explication, sur les droits des femmes au Maroc par exemple.

Du côté des produits financiers, c’est le prêt solidaire qui domine largement l’activité des associations. Mais, depuis quelques années, celles-ci accordent également des prêts individuels à leurs clients les plus fidèles, assortis, certes, de conditions très strictes (lire page 118). En 1999, une loi est venue réguler ce secteur. Elle a été amendée en 2004 pour permettre de développer le tourisme rural et surtout le crédit-logement, destiné à l’achat ou à la réfection d’une maison.

L’expérience marocaine n’en est pas moins citée en exemple par les bailleurs de fonds internationaux, et les banquiers commencent à s’y intéresser. Mais les défis restent nombreux. La question des taux d’intérêt (28 % pour les prêts solidaires en moyenne) semble la plus urgente à régler. Les débiteurs souhaiteraient son allègement, mais les agences de microcrédit ne veulent pas en entendre parler, arguant de la lourdeur de l’investissement que constitue le suivi personnalisé de leur clientèle. En revanche, celles-ci verraient d’un bon œil une réforme de la loi marocaine qui encadre leur activité. Ces agences ne peuvent toujours pas collecter d’épargne, une ressource qui leur serait pourtant bien utile pour se refinancer. D’autres services financiers ne sont, par ailleurs, toujours pas autorisés, comme l’assurance ou la monétique. « Nous envisageons la mise en place de guichets automatiques, affirme cependant Rachid Boumadi, coordinateur régional pour Al Amana. Le guichet, ça change la perception de votre activité et de votre identité », poursuit-il. Avant de conclure : « Avec un costume et une carte de crédit en poche, vous vous sentez différent. Ce serait une avancée très importante sur le plan symbolique. C’est ça aussi, la réduction des inégalités. »


Nathalie Gillet, envoyée spéciale



Modifié 1 fois. Dernière modification le 20/07/06 23:27 par bikhir.
 
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