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Ma mère, ma soeur : quels hommes !
H
3 janvier 2013 17:24
Salâm,

Je lisais hier un post concernant le rôle de la femme : active ou mère au foyer. Chacun y allait de son avis, et puis face aux réactions les plus extrêmes, je n'ai pu m'empêcher de réagir, moi qui d'ordinaire ne prends jamais part au débats. Le post est certes long, et je m'en excuse. Mais je suis d'humeur bavarde, surtout face à l'incompréhension.

Je ne suis pas encore une femme, mais j'ai une mère (Allah ykhaliliyaha), et c'est le regard d'une fille que j'expose ce soir sans artifice, une fille que l'on a forcé à être indépendante. Les filles de notre famille, ce sont des hommes et même plus. Notre indépendance, nous ne l'avons pas volée, nous l'avons méritée.

Nous sommes une fratrie de 4 enfants : un grand frère de 27 ans, une soeur de 18 ans, un petit frère de 15 ans. J'ai quant à moi 23 ans. Ma mère est arrivée en France à deux ans, et a donc grandi ici. Fille unique, elle n'a personne, ni parents, ni oncle, ni tante.

Ma mère a travaillé jusqu'à l'âge de 26 ans. Puis quand elle est tombée enceinte de mon frère, a décidé d'être mère au foyer. Nous avons tous environ 5 ans d'écart. La raison ? Prendre le temps de faire grandir et mûrir de la meilleure manière qui soit un enfant. Elle s'est occupé admirablement de chacun de nous, afin de nous éveiller, de nous construire, de nous cultiver.
Mes parents formait un très beau couple. Mon père subvenait au besoin de toute la famille comme un mari et un père se doit de le faire. Nous n'avons jamais manqué de rien, bien au contraire.
Nous étions naturellement plus proches de ma mère : nous passions le plus clair de notre temps avec elle. Chaque instant était pour elle l'occasion de nous apprendre quelque chose de nouveau : le matin en nous habillant pour aller à l'école, les conversations dans la voiture en y allant, à midi lors du repas, pour le goûter... L'hiver, après l'école et une fois que les leçons étaient sues sur le bout des doigts (si tel n'était pas le cas, elle avait l'infinie patience de tout reprendre, toujours sur le même ton réconfortant et encourageant) nous avions droit à de longues conversations philosophiques : pourquoi être bon ? pourquoi respecter les autres ? pourquoi mettre l'école et le savoir au centre de tout ?
Combien de soirs nous a-t-elle bordés en nous lisant une histoire et combien de fois nous sommes -nous endormis sur le son de sa voix ?
L'été, après les cours, elle nous conduisait "là-haut", dans la colline, où elle nous regardait nous défouler, courir à perte de vue. Souvent elle participait à nos batailles, toujours elle partageait nos fous rires d'enfants innocents.
Pendant les vacances, elle s'occupait en bénévole du centre aéré du quartier, l'occasion pour elle d'être là à chacune de nos découvertes.
Quand venait le temps du carnaval, elle passait des semaines sur nos costumes, tous plus originaux les uns que les autres... Et quand elle m'offrait une nouvelle poupée, c'est tout naturellement qu'elle cousait de nouveaux vêtements et qu'elle m'aidait à remplir une nouvelle chambre dans ma grande maison de poupées, qu'ensemble, nous collectionnons.

Toute son oeuvre, je l'ai entendu résumée par mon père en cette phrase qu'il dit un jour à un ami : "ma femme, il lui en faut peu pour être heureuse. Ce qu'elle a de plus cher ce sont ses enfants. Elle n'hésiterait pas à décliner l'invitation d'une voisine juste pour faire des crêpes !".
Et au fond, il avait raison. Elle préférait coller des gommettes plutôt que d'aller écouter les ragots du quartier.

Nous avons ainsi vécu sur un petit nuage pendant des années. Puis, les choses ont changé, notre situation s'est dégradée... Mais pas nous.

Ma mère a découvert l'infidélité de mon père : la seule infidélité en X ans de mariage, mais l'infidélité de trop ! D'un commun accord ils ont divorcé. Quand ça a été chose faite, mon père a disparu : inscrit aux abonnées absents. Avant de partir, il a pris soin de récupérer la voiture de la famille, laissant sa vieille camelote à ma mère, a vidé le compte... On s'est retrouvés, littéralement, sans rien ! Avant que le divorce soit prononcé, on nous a proposé un nouvel appartement : 4 chambres, un salon immense, une merveille. Même si elle savait que Papa ne serait plus là, Maman a saisi l'opportunité pour nous de commencer une nouvelle vie, sans lui. Voilà qu'on se retrouvait dans une maison vide, le strict minimum. Mon grand frère n'a pas trouvé meilleur moment pour prendre son envol. Voilà que dans l'immensité et la froideur des murs, nous n'étions plus que trois enfants autour de leur mère.

J'avais 13 ans à l'époque à peu près, et le soir où il est parti, j'ai su que plus jamais je ne dormirais comme avant. Première nuit entre moi et mes amies insomnies ! J'ai eu peur : parce que quand tout est beau, tout est rose, qu'on a été préservés de tous maux et malheurs, c'est un tourbillon noir qui nous vient à l'esprit quand on pense au futur.
La raison à cette angoisse : je n'avais pas encore conscience que ma mère, sur ses frêles épaules, pouvait porter de lourds fardeaux. Je savais qu'elle était forte, mais j'ignorais encore qu'elle était plus que mon père et mon frère réunis, plus forte que tous les hommes sur terre.

Maman n'a jamais hésité : Papa n'étant plus, là, elle assumerait tout, et plus encore. Nulle question de vivre d'aides, de charité, de pleurs à l'assistante sociale, et d'allocs. Non, elle travaillerait !
Et quel métier a-t-elle fait ! Femme de ménage... Pardon, mille excuses : "technicienne de surface".
Quand je l'ai appris, j'ai d'abord eu honte : comment une femme aussi cultivée et aussi bienveillante que ma mère pouvait-elle faire un tel métier alors que nous elle voulait que l'école soit au-dessus de tout ? Puis, en la regardant, je l'ai comparée au proviseur du collège : lui était bardé de diplômes, avait un excellent poste, mais manquait de dignité. Il en manquait tellement que tout le monde le détestait. Voilà que son rang ne lui servait rien. Qu'à cela ne tienne, ma mère pouvait être femme de ménage, parce que justement elle est digne et noble : quand on a ces qualités là, on peut tout se permettre, rien ne nous salira, pas même les poubelles qu'on videra.

Elle a commencé en faisant 2 heures de ménage par jour. Autant dire une misère. Et puis, petit à petit, se sont ajoutés de nouveaux chantiers, des remplacements par ci par là. Chaque centime gagné était dépensé à bon escient : première chose, payer le loyer. Ensuite les quelques dettes lorsqu'il nous arrivait d'en avoir. Avec le reste, on remplissait le frigo, on achetait de nouveaux meubles tout doucement. Et puis de temps en temps, elle faisait quelques heures en plus, histoire de nous offrir de nouveaux livres ;-)
Nous voyions ma mère se sacrifier pour nous sans jamais se plaindre. On voyait bien qu'elle était inquiète, mais devant nous elle se voulait rassurante, protectrice.
J'ai toujours vu ma mère comme un arbre au milieu du désert : grande, forte, elle n'avait de cesse de vouloir protéger les malheureux épuisés par le soleil étouffant. Tous nous nous mettions à l'abri sous son ombre. Mais elle, le grand arbre, qui la protégeait du soleil brûlant ?
Alors, à notre manière nous essayions d'éponger la sueur de son front : nous 4 étions les meilleurs à l'école.
Lorsque j'ai passé mon brevet, j'avais déjà les 160 points requis pour le réussir sans avoir à présenter les examens. Et pourtant, jamais je n'ai autant révisé mes leçons : je voulais faire mieux, et mieux encore. J'imaginais seulement la fierté sur le visage de ma mère, et je redoublais d'énergie. J'avais appris que le temps passé à apprendre n'était jamais vain, on en tirerait toujours quelques chose. Je voyais cette leçon abstraitement. J'ignorais qu'elle m'apporterait quelque chose de matériel.
Une fois entrée en seconde, je reçois un courrier du Ministère : mon excellence était récompensée, j'avais droit à une bourse au mérite. Maman m'a alors dit : "Dieu récompense toujours les efforts et les bonnes intentions". Alors à mon tour, j'ai suivi Dieu, et j'ai récompensé ma mère de ses efforts : avec l'argent, on s'est payés un magnifique salon. Comme elle avait dépensé le fruit de son travail pour meubler nos chambres, je dépensais le mien pour le bien de la famille. Avec l'argent que Maman a mis de côté, elle a pu changer de voiture. Un échelon terminé, on passait immédiatement au suivant, et ainsi de suite...

Chacun de nous ne vivait que pour servir la cause de l'autre : la solidarité familiale vous pousse à vous dépasser. Ma mère a toujours tenu à ce qu'on soit bonne cuisinière et qu'on sache tenir une maison. Non parce qu'elle voulait faire de nous des « bent en-nass » bonnes à marier plus tard, mais parce que la crainte qui l'habitait, qu'on se retrouve un jour ou l'autre seuls et qu'elle ne soit plus là pour veiller sur nous, la confortait dans son œuvre : mettre entre nos mains toutes les cartes possibles pour réussir dans la vie sans n'avoir à compter sur personne d'autre que nous-mêmes.

Maman se levait à 4 heures du matin pour aller bosser. On se levait donc seuls pour nous préparer, aller à l'école. Ma sœur (trop jeune encore) préparait le petit-dèj pendant que moi j'habillais et lavais mon frère. Puis nous rangions chacun nos chambres : impossible de sortir de la maison sans avoir fait le maximum, afin d'éviter à Maman d'avoir à encore faire du ménage, en plus de ses heures.
Très vite, nous avons développé des qualités hors-pairs : ma sœur dès l'âge de dix ans était au fourneau. A quatorze ans, c'était un chef ! Chorba, dolma, gratins en tout genre... Et son pain une merveille : khobz ed-dar, kesra, matlou3... Durant le ramadan, c'est elle qui régalait notre petite famille.
Moi de mon côté, j'étais une petite fée du logis : ma maison, j'en prenais soin. Toujours en ordre, nettoyée de fond en comble. Avant d'aller en cours, en rentrant, le week-end, les vacances, mon passe-temps favori c'était de prendre soin de notre intérieur, cet intérieur qu'elle a mis toute sa force à bâtir.
Notre manière de la remercier et de prendre soin d'elle, c'était de lui faciliter la vie autant que faire se peut : veiller à ce que la machine à café soit toujours remplie d'eau et munie d'une tasse déjà préparée ; faire un tour d'horizon dans la salle de bain avant d'aller nous coucher histoire de vérifier que pas un seul cheveu ne traîne dans le lavabo dans lequel elle se laverait à 4 heures du matin ; débrancher la prise du téléphone quand elle faisait la sieste pour que rien ne la réveille... Des petits gestes anodins que personne ne remarque, mais qui pourtant font toute la différence. A force, tous nos petits efforts nous sont devenus routiniers, naturels.
Quand ma sœur et moi n'avions pas cours, ou pendant le week-end, nous allions l'aider à faire le ménage dans ses chantiers : moi je vidais les poubelles et passais un coup de balai, ma sœur se chargeait de la poussière, et Maman de laver le sol. En astiquant, on parlait de tout et de rien, on riait de nos situations les plus cocasses.
Nous n'avons jamais rechigné à aller l'aider quand elle en avait besoin : combien de fois l'ai-je imaginée en plein hiver plonger ses mains dans l'eau glacée à 4 heures du matin ? Je me représentais même chacune des larmes qu'elle versait en silence. Plus grande, j'ai effectivement été découvrir ses chantiers les plus ingrats ! Allah ya3tik al-3afiéh ya Mama!

En trois ans, on s'était déjà bien relevés, on menait un train de vie confortable. En cinq ans, on vivait mieux que quand nous étions avec mon père.
Est-ce que ça a été dur ? Bien sûr : les inquiétudes, les peurs, les pleurs que chacun prenait soin de dissimuler aux autres. Matériellement aussi : les frigos vides, les pâtes, kesra yebsa... Les vêtements dont je dissimulais les trous et le côté râpé... Les copines imaginaires qui m'invitaient à manger chez elles à midi...
Très dur ? Certainement pour elle. Nous on a jamais rien ressenti de tel. Elle n'a rien laissé paraître.
Les sorties avec l'école on y a toujours participé, les voyages en Espagne et en Angleterre avec le lycée j'y étais, les livres scolaires ont toujours été commandés... Elle n'a jamais fait l'impasse sur la culture, l'éveil, l'ouverture d'esprit.
Quand je suis entrée à la fac, j'ai commencé une licence LEA Anglais-Espagnol. Douée en langues, les cours étaient inférieurs à mon niveau, je ne me suis donc pas foulée. J'ai donc décidé de travailler l'année d'après histoire de gagner un peu d'argent, et ainsi l'aider. Quand je lui en ai fait part, c'est le plus naturellement du monde qu'elle a refusé : "s'il faut que je fasse des heures supp pour te payer ce dont tu as besoin, je le ferai. Mais toi, tu ne bosseras pas. Profite du temps que tu as et du don que Dieu t'a donné pour apprendre de nouvelles langues. Fais un double cursus. Fais ce que tu veux, mais ne travaille pas. Quand tu auras goûter à l'argent, tes études passeront au second plan. Alors nourris-toi de savoir, apaise ta soif de connaissance, et laisse le travail me revenir". Tout ce qu'elle me dit étant paroles d’Évangiles, je l'ai écoutée, et ai commencé en parallèle une licence Arabe-Hébreu.

Cette année, voilà dix ans que mes parents ont divorcé. Il y a peu, on en discutait avec ma mère. Quel est le bilan ?
Maman a aujourd'hui 54 ans. Toujours aussi lumineuse, toujours aussi sage, toujours plus forte. Elle est encore femme de ménage. En dix ans de métier, les dysfonctionnements et injustices de ce secteur l'ont pas mal chamboulée. Depuis trois ans, elle est déléguée syndicale, trésorière du CE de sa boîte. Le droit des femmes de ménages est devenu un combat : elle sait combien la tâche est ingrate, elle est la mieux placée.
Elle a refait sa vie il y a 2 ans avec un homme tout à fait charmant qui l'aime et la respecte. Jamais nous ne nous sommes opposés : ma mère a bien droit au bonheur, elle qui à nos yeux n'a pas son pareil dans ce monde. Chose aussi étrange que compréhensible : il ne vit pas avec nous. Tous deux vivent séparés. Notre intérieur, notre petit monde chaleureux dans lequel on aime à se retrouver, il nous appartient à nous seuls, nous seuls l'avons construit, et personne ne pourra venir le fouler. Lui, cela ne le dérange pas, il est constamment en déplacement, et n'a pas d'attaches, sinon ma mère.
Quand on vit entre femmes, et que les lumières explosées et la plomberie en ruine sont réparées de nos mains, il est très difficile de compter sur un homme, ou d'attendre quoi que ce soit de lui. Notre mode de vie arrange tout le monde, et nous sommes bien heureux ainsi. Quand je vois cet homme regarder ma mère avec respect et admiration, j'en comprends les raisons. Ma mère est une très belle femme, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur. Les quelques rides sur son visage, qui nous rappellent constamment ses sacrifices, ses mains gercées par tant d'années de labeur, nous ne cessons pas de les contempler.

Mon père, après avoir disparu de nombreuses années durant, a refait surface un jour, quand la guerre fut finie, et que le combat eut été remporté. Ma mère ne lui a jamais fait de remarques, ne lui a jamais rien reproché. J'ignore comment elle s'est débrouillée pour le réintroduire petit à petit, très lentement dans nos vies sans que jamais nous ayons un goût d'amertume. Elle lui a pardonné sa maladresse, et nous aussi, sans même nous en rendre compte. Il n'a malheureusement plus la place qu'il l'avait alors. Certes nous sommes contents qu'il soit fasse à présent partie de nos vie, mais quelque part, s'il n'était pas revenu, nous ne serions pas malheureux pour autant. Il voit bien que nous n'avons pas besoin de lui, et qu'au fond, nous nous suffisons à nous-mêmes. Et nous voyons bien combien il regrette son erreur et son absence. Quand on l'invite à boire un café pour parler des résultats scolaires, je le vois balayer des yeux le salon. Je l'imagine se demander alors : « est-ce cette famille que j'ai délaissé ? Est-ce cette vie que j'ai abandonné ? ». Je m'entends alors répondre tout bas : « oui, c'est bien nous. Et voilà ce que toi tu es devenu ».
Il s'est remarié avec sa cousine du bled, et a une petite fille, que tous nous aimons beaucoup et à distance. Depuis sa naissance, ma mère ne manque jamais une occasion pour lui faire un colis de jouets au motif que « c'est la sœur des mes enfants, elle est des nôtres ».

Ma sœur, 18 ans, est une jeune fille incroyable. Bac avec mention, BTS en cours, elle sait ce qu'elle fera dans la vie : DRH. Vu le caractère qu'elle traîne, nul doute qu'elle y parviendra.
Ma sœur, comme ma mère, est un homme, rejjal, un vrai : c'est elle qui monte les meubles, change l'huile de la voiture, défend la cause de la famille. Elle a une force considérable, que ses 1m77 reflète parfaitement. C'est une fille assez coquette, délirante. Elle aime la joie, et aime rire. La voir se déhancher le matin, musique à fond et chiffon en main, remettrait sur pied n'importe quel dépressif. Allah yiwaf2a !

Mon petit frère est encore trop petit à mes yeux. Peut-être ne grandira-t-il même jamais ! L'école, c'est pas son truc. Il en a une sainte horreur. Plus préoccupé par la taille de ses pics que par les notes des bulletins, nous savons qu'il n'ira pas loin dans ses études. Rien de mal à cela : tout le monde n'est pas fait pour. Il saura faire quelque chose de ses mains.
Il a bon fond, est encore bien innocent. Toutes trois essayons de le préserver au maximum et entretenons cette innocence.

Mon grand-frère a son indépendance. S'il est vrai qu'il n'a jamais été à nos côtés dans les coups durs, on doit bien lui reconnaître quelques qualités : très serviable (quand il s'agit des autres), respectueux. Il mène une vie rangée, travaille toute la journée. Aujourd'hui, il se rend compte de son erreur, et essaie d'être plus présent et de changer ses défauts. Ahla w sahla !

Quant à moi, je suis toujours là : pareille mais si différente, toujours insomniaque mais si apaisée. Ma famille et mes études rythment mon quotidien. Après une double licence, j'ai commencé un double master. Toujours aussi douée, je parle 5 langues vivantes, et connais deux langues mortes. Les langues m'ont toujours accompagnée : quand ça n'allait pas, je me parlais et me réconfortais en passant d'un idiome à l'autre. Comme j'oubliais le français pour penser dans l'autre langue, comme j'oubliais mon être et mes soucis. Mes nuits, je les passais à traduire des textes, ou à lire le dictionnaire. La journée, je faisais le ménage en récitant les Mu3allaqat... Oui, les langues ont toujours fait partie de mon univers. Je n'ai jamais cessé de mener deux voies universitaires : une voie professionnelle pour me mettre à l'abri, et une voie plus intime, plus secrète qui me servait d'échappatoire.
L'excellence, je l'ai atteinte : bourse au mérite une nouvelle fois, félicitations des enseignants, projets proposés par des chercheurs. Les honneurs et les encouragements, également.
Tout ça, au fond n'est que vanité : la seule gloire que j'en retire, c'est les yeux brillants de ma mère et le « continue ma fille, c'est bien, je suis fière de toi ». A ceci près, qu'elle se trompe lourdement. Ce que j'ai pu faire, ce n'est pas pour qu'elle soit fière de moi, mais qu'elle soit fière d'ELLE...

Point de fausse modestie, mais la réalité des faits.

Une femme, trompée et abandonnée par son époux, quatre enfants sous le bras : elle les élèvera seule, et en fera des gens biens.
Une femme de ménage qui rentre crevée du boulot, mais qui tient à vérifier que les devoirs soient faits, et sans erreur. Elle encouragera ses enfants, les tirera vers le haut, vers l'excellence. Et pourtant, jamais elle ne dira que c'est grâce à elle.
Une maison vide, et froide, qui au fil du temps deviendra un vrai cocon : le seul endroit au monde où on se sent serein, apaisé, confiné dans un espace chaleureux.
Des enfants inquiets du destin que les ragots du quartier vouaient à la délinquance et à la débauche parce qu'élevés par une femme seule, les voilà grands, droits, responsables.
Des arabes en France, que celle-ci a toujours protégé, et de laquelle nous n'avons jamais profité. La France, nous lui disons merci, terre d'accueil pour ma mère, notre terre pour nous.
Des musulmans pas tellement « pieux » (au sens où on l'entend aujourd'hui), balancés entre deux cultures, que Dieux n'a pourtant jamais laissé tomber.
Une musulmane, non voilée, qui ne prie pas comme il se doit, mais qui à chaque occasion se souvient de Dieu.

Aucun de nous ne regrette ce qu'il s'est passé : nous remercions Dieu de la vie qu'il nous a offerte. Nous n'avons rien à lui ajouter, rien à lui retrancher.
Ma sœur et moi seront peut-être appelées à faire de grandes choses, à avoir un bon poste, à peut-être avoir un train de vie plus que confortable. Peut-être... Mais en attendant, nos vacances nous les passons à travailler dans la boîte de ma mère, en tant que femmes de ménage.
Point de honte : comme elle nous sommes dignes. Cet été encore nous avons astiqué, récuré, nettoyé comme à l'accoutumée. Et nous-nous sommes payées une cuisine équipée.

Nous n'oublions pas d'où l'on vient et notre traversée du désert. On continuera de prendre soin de notre intérieur. On restera simple
Comme elle, nous n'avons pas peur des échecs et de tout perdre. On s'est relevées une fois, on pourra le refaire une deuxième fois. Nous serrons des femmes fortes, et jamais on laissera qui que ce soit nous marcher sur les pieds, il en va de l'honneur de celle qui nous a élevés.
L'indépendance, nous l'avons. Non pas parce qu'on l'a voulu, mais parce qu'on nous a forcé à l'avoir. Une fois qu'on la acquise, on ne viendra pas nous la retirer. Nous comptons sur nos mains, et pas sur celle des hommes, fut-il père, mari ou frère !


Femme au foyer ou femme active ; femme pieuse ou pas ; femme voilée, femme découverte ; femme soumise ou grande gueule ; femme mariée ou femme divorcée ; femme comme-ci ou femme comme ça...

Voilà qui importe peu quand on devient mère. Une femme quand elle sait qu'elle est enceinte, elle devient mère, père, sœur, frère, grands-parents, amie, confidente, subsistance... Le tout à la fois.

Notre passé, il nous habite, on ne s'en défait pas. Et même quand on essaie de l'oublier, il reste toujours quelqu'un ou quelque chose pour nous le rappeler.
Ses leçons et ses sagesses nous les avons apprises, et les avons comprises, très jeunes. Parce que la vie ne fait pas que des cadeaux. Mais quand on a très tôt été initiés à avoir un comportement digne, on peut se permettre d'affronter le côté obscur de la vie... Parce qu'elle s'est remise à Dieu, et qu'en retour Il l'aime. Dieu est là...

Puisse Dieu préserver ma mère, ma sœur et mon frère. Puisse-t-Il toujours nous laisser réunis dans notre chez nous, autour de notre kesra yebsa habituelle, qu'on ne se lasse pas d'apprécier...
a
3 janvier 2013 17:56
salam mou'alaykoum
ma soeur j'ai vraiment etais touchée par ton histoire, votre histoire pour etre plus exacte,ta mere est une perle Mashallah,QU'Allah la preserve et vous preservent, qu'Il nous pardonne nos erreurs et nous guide.Je sais a quel point c'est dur de ne pas avoir d'homme dans la maison mais AL hamdoulillah , Dieu nous aide et ne nous abandonne jamais.

Maman je taimeeee In love
3 janvier 2013 18:13
crying(

Ton histoire m'a bouleversée, ma maman aussi nous a élevé sans mon père, 5 enfants et je la reconnais bien là dans ta description. Qu'Allah récompense toutes les mamans du monde. Amine
J'adore ma mère In love si je pouvais lui arriver à la cheville, j'en serais fière.
Tout le monde veut un ami, mais personne ne s'occupe d'en être un.
L
3 janvier 2013 18:25
Selemouarlikoum ma soeur,
je tiens à te féliciter toi et ta famille pour avoir acquis un tel parcours. Ta mère me rappel énormément la mienne je sais que je pourrais toujours compter sur elle, quand elle débute sa journée à 5h et qu'elle rentre épuisée à 20h30 par cette journée de travail harassante à faire ce métier si noble femme de ménage. Je suis fière d'elle, elle fait tout pour nous facilité, tout ce que tu dis sur ta mère définit vraiment bien la mienne.
J'ai pas la chance d'avoir une telle rhétorique, tu as les mots justes, je te trouve modeste ,forte,courageuse et intelligente. Je t'assure qu'en lisant ton texte j'avais cette boule dans la gorge que tu peux lâcher à tout moment et qui pourrait te faire fondre en larme.

Je ne sais pas trop que dire à part te souhaiter une bonne continuation et que Dieu protège ta mère, nos mères car ce sont des reines qui sont prêtes à contrer tout aléa de la vie.
Alors oui Nos mères sont encore plus forte que des hommes.

Baraka'Allah oufik
4 janvier 2013 15:14
je n'ai rien a ajouté

dans ma famille aussi se sont les femmes qui decident qui on de la poigne

mais j'ai encore mon pere que j'aime enormement et je n'ai pas vecu une epreuve aussi dur que la tienne

mais je te souhaite que du bonheur a toi et ta mere

j'aimerais etre comme elle quand j'aurais des enfants

mais je sais que toi tu en prend le bon chemin et rien qu'a ton ecrit on est emu
e
4 janvier 2013 15:49
Salam et du fond du coeur merci pour ce magnique témoignage qui prouve que quelque soit son choix de vie : au foyer ou au travail, nous sommes les meilleures mamans pour nos enfants.
Que Doei vous bénissent
A
4 janvier 2013 16:08
Magnifique temoignage.

Ta mère est une Femme, une vrai!
4 janvier 2013 17:55
C'est le cas aussi dans ma famille mais on a jamais eu a travailler vu que ma mère subvenait à tout nos besoins ..
J'ai pas pas pu m’empêcher de verser une petite larme crying)

Allah ibarek.
C
5 janvier 2013 00:58
Magnifique histoire, franchement c'est une vraie femme ma sha Allah je reconnais ma mère dans ton histoire... Même si je suis un homme j'ai été ému sad smiley
Et bonne chance à toi et ta famille, poursuis tes études.. Magnifique famille !
m
5 janvier 2013 01:08
Salem j'ai lu un morceau ta mère a beaucoup de mérites ma cha ALlah, jreprends la lecture et je reviens.


Ma cha ALlah très jolie histoire émouvante, j'espère in cha ALlah que plus tard tu pourras aider ta mère comme elle l'a fait, l'emmener à la Mecque, la faire voyager.



Modifié 1 fois. Dernière modification le 05/01/13 01:29 par missalgeria69.
[url=http://www.youtube.com/watch?v=yy2oj70wr6k&feature=share][b][color=#330099]Pourquoi es-tu si triste ?[/color][/b][/url]
5 janvier 2013 04:28
Salam
Tu as bien fait d'en parler de vider ton coeur, de faire savoir qu'il y a des gen.. personnes ou
il suffit de volonté et de persévérance pour surmonter les difficultés censées insupportables,
cependant ce n'est pas donné à tout le monde d'avoir autant de vigilance, bienveillance, et un
sens, sans conteste inné familial et une abnégation qui suscite le respect et l'admiration,
une fratrie du nombre que vous composez et exceptionnellement assez rare pour former
une telle cohésion et aussi un don de Dieu pour ta maman et votre maturité d'esprit précoce.
Vous êtes une famille à citer en exemple et surtout nonobstant les aléas de la vie ,à aucun
moment tu n'as omis, de citer ton père , sans haine ni rancune et surtout le comportement
de ta maman à ne pas couper ce lien indélébile qui vous rattache à votre père .....................
Enfin en tant que fratrie vous avez autant de mérite, que les bases essentielles que votre
maman vous a inculquées , car aussi paradoxal que celui puisse paraitre certains de ceux qui ont
vécu la solitude familiale réussissent mieux la leur , avec une exemplarité sans pareille ...
Je résume par : (ina allah yahdi man yacha...............)

PS:[ Virginia Woolf et The Hours ]
 
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