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A Mellila, l'islam regardé de travers
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24 mai 2006 13:26
Nombreux dans l'enclave espagnole, les musulmans sont perçus comme une menace.

Melilla envoyé spécial



«Vous allez voir, c'est le Bronx, ici !» avait averti le chauffeur de taxi, pas très rassuré. La «Cañada de la muerte» a mauvaise réputation. Ce quartier aux maisons multicolores accrochées aux flancs d'une colline aride, à un jet de pierre de la frontière avec le Maroc, serait un refuge pour trafiquants de haschisch et islamistes radicaux. Dans le centre de Melilla, on vous explique aussi que des adolescents y reçoivent souvent les policiers à coups de pierres. Ce matin-là, pourtant, l'ambiance est plutôt paisible. «On raconte n'importe quoi sur ce quartier, on n'y risque rien ! lance Halal, un des responsables de la mosquée Assalam. Ce qui est vrai, c'est que personne ne s'occupe de nous. On est 5 000 à 6 000 habitants. Or il n'y a pas une école, un centre de santé, une aire de jeux ou une maison de retraite !» Autre certitude : la «Cañada de la muerte» est un quartier 100 % musulman. Un ghetto qui surplombe Melilla, enclave espagnole en terre africaine, un confetti de Schengen en plein Rif marocain.

Citoyens de seconde zone. La «Cañada» condense les maux dont souffrent les 26 600 musulmans de Melilla, soit 40 % de la population recensée ­ même si, de l'avis général, leur nombre réel dépasserait les 50 %. Dans l'enclave, hormis une minorité de négociants prospères, la communauté islamique est de loin la plus mal lotie : 77 % d'échec scolaire dans le secondaire (dont une bonne partie d'analphabètes), 70 % de chômeurs ; et, sur les 1 100 fonctionnaires, seuls 70 sont musulmans. «Comment voulez-vous qu'on ne se sente pas victimes ?» s'insurge Abderahman Benyahia, leader de la communauté islamique de Melilla. A ses yeux, malgré les treize mosquées, lui et les siens sont traités comme des citoyens de seconde zone. A preuve, dit-il, la télévision locale ne leur concède aucun espace, et les subventions publiques pour les fêtes musulmanes sont infimes si on les compare à celles accordées pour la «semaine sainte» des catholiques.

Personne ne croit à la «Melilla aux quatre cultures», slogan touristique de la municipalité. La communauté hindoue a été réduite à peau de chagrin, et les 1 500 juifs restants ont du mal à conserver leurs six synagogues en bon état. Reste les musulmans et les chrétiens, qui «vivent dos à dos». La composition du Parlement municipal en dit long : avec 15 sièges, le Parti populaire (PP, droite), fort de la majorité absolue, s'est fait le champion d'un vote ultranationaliste espagnol, agitant le spectre menaçant du voisin marocain qui revendique la souveraineté sur Melilla. En face, hormis un Parti socialiste moribond (3 sièges), on ne trouve que la Coalition pour Melilla (CPM, 7 députés), une formation musulmane qui, même si elle s'en défend, joue sur la fibre confessionnelle. «Que les choses soient claires, s'emporte Mustafa Aberchan, président du CPM. Je suis espagnol, membre d'un Etat qui garantit la liberté de culte. Mais je n'oublie pas que nous, les Berbères, sommes ici depuis des milliers d'années, alors que la domination espagnole a à peine plus de cinq cents ans.»

Bouc bien taillé, la quarantaine élégante, attablé au café Parnaso, en plein quartier moderniste, il rêve Melilla en «Jérusalem oecuménique». Il est le premier à reconnaître que les relations avec les chrétiens ne sont pas optimales. En 1999, l'espace de quelques mois, Aberchan fut maire de Melilla, avant d'être victime d'une motion de censure : «Tout le monde avait pris peur, se souvient-il. Un maire musulman !» Le CPM n'a pourtant rien de fanatique. Il reconnaît la Constitution espagnole ; 60 % de son comité exécutif est féminin et, sur ses sept députés locaux, trois sont des musulmanes ­ l'une portant le hijab, les autres se disant «laïque» ou «athée». Mais, dans cette enclave constellée de casernes, les peurs sont tenaces. «La plupart des Melillenses ont la mentalité de gens assiégés, dit Jesús, qui codirige une société d'import-export. Ils ne mettent jamais les pieds au Maroc et croient que les musulmans vont finir par les envahir !»

Marmite confessionnelle. Le poids démographique croissant des musulmans alimente un sentiment de suspicion contre cette communauté. A la fin du XIXe siècle, un seul musulman était recensé. Un siècle plus tard, en 1987, à la suite de protestations monstres, tous les natifs de Melilla ­ plusieurs milliers ­ ont obtenu la citoyenneté espagnole. A quoi il faut ajouter l'afflux constant de Marocains attirés par le niveau de vie élevé ­ 14 fois supérieur à celui du voisinage marocain. «Tout cela a accentué la méfiance envers les musulmans, pourtant melillenses depuis des générations», estime Yonaida Selam, qui préside Intercultura, une association pour le rapprochement des deux communautés. Dans cette marmite confessionnelle, chacun évite de provoquer l'autre. Abderahman Benyahia témoigne: «On s'est sentis insultés pendant l'affaire des caricatures du prophète, mais on a évité de manifester. Ce serait mettre de l'huile sur le feu. Pour l'instant, il n'y a pas d'islamisme radical ici, mais c'est un risque réel.»

Depuis les attentats de Madrid, en mars 2004, les musulmans font profil bas, sans toutefois renoncer à leurs revendications : une plus grande justice sociale et l'enseignement dans le primaire du tamarzight, la langue berbère parlée dans le Rif. Le chirurgien Abdelmalik el-Barkany, numéro 2 de la mairie, un des rares musulmans du PP, s'y oppose : «La religion est une affaire privée. Tout le monde ici est espagnol, il ne faut pas marquer les différences.» Dans la pratique, cependant, le fossé se creuse. Chez les chrétiens, la méfiance est d'autant plus grande qu'on est persuadé que Rabat ne pense qu'à récupérer l'enclave. Le risque existe-t-il réellement ? «Cette peur est absurde : la contrebande à la frontière des deux enclaves rapporte un milliard d'euros par an au Maroc !» avance Jesús. Yonaida Selam lance un autre argument de poids : «Les musulmans de Melilla, trop contents d'appartenir à l'UE, seront les premiers à s'opposer à la souveraineté marocaine !»
 
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