Menu
Connexion Yabiladies Ramadan Radio Forum News
Maroc : Que veulent les Berbères ?
p
6 juillet 2005 22:00
Cette article trace un peu les relations entre le palais et le mouvement amazigh, c'est un article que je trouve neutre ecris par un journal marocain. Ca vous permettra, j'espere, de comprendre un peu les discutions sur l'amazighite de maroc.

Bonne lecture.


Le mouvement amazigh a-t-il été anesthésié par le régime? La lune de miel engagée avec le Palais depuis l'avènement de Mohammed VI est-elle consommée ? Il semblerait bien que les relations ne soient plus au beau fixe entre un mouvement, laminé par l'Etat depuis 3 ans, et le Palais . Depuis quelques semaines, la diffusion d'un texte proposant une révision du texte constitutionnel et paraphé par plusieurs centaines d'associations nationales et celles de la diaspora sonne comme la consécration d'un divorce attendu. Le régime a toujours une attitude teintée de méfiance à l'égard d'un mouvement qui a su profiter du contexte international pour se renforcer. Depuis Hassan II, l'Etat a une attitude réactive liée essentiellement à l'attitude du pouvoir algérien avec « ses Berbères » ? Les Amazighs du Maroc n'ont pu exprimer leurs revendications de manière formelle que depuis une dizaine d'années. A partir du début des années 90, le mouvement berbère gagnera en lisibilité de manière croissante jusqu'à ce texte de révision engageant la rupture. Auparavant, le Roi Hassan II, qui se méfiait des Berbères, ne faisait des concessions que contraint et forcé…

LE PECHE ORIGINEL

« Derrière les coups d'Etat de 71 et 72, la présence des Berbères est indiscutable » . Cette phrase résume le sentiment régnant du Palais au début des années 70 vis-à-vis des Amazighs. Une appréhension reposant essentiellement sur la présence massive des Berbères dans le corps de l'armée sur l'origine ethnique des principaux mutins, et sur l'afflux massif de militants soussis au sein de l'UNFP. Cette lecture ethnocentriste, quelque peu simpliste, conduira au recentrage de la politique identitaire du Maroc qui optera pour une « vision » arabe plus prononcée entre 1972 et 1974. Ceci se traduira aussi par une « purge » dans les rangs de l'administration.
Concomitamment à cette option, le régime réagira de manière réactive aux circonvolutions berbères dans le Maghreb. Les événements de Tizi Ouzou en Algérie en 1980, qui constituent ce que les historiens qualifieront de « Printemps berbère », seront suivis d'un regain de tension entre le Maroc et l'Algérie. Le Roi Hassan II réagira immédiatement en organisant un colloque à Ifrane sur la berbérité au Maroc qui abordera pour la première fois la possibilité d'enseigner le tamazight au Maroc. Des effets d'annonce sans lendemain. L'année suivante, le poète Ali Azeykou, dit « Dda Ali », exigera dans un article « une approche démocratique de notre culture et une réécriture plus juste de l'histoire du Maroc » . Emprisonné pendant un an pour cette phrase jugée attentatoire à la sécurité de l'Etat, le premier prisonnier d'opinion berbère engagera le mouvement berbère (le Mouvement berbère doit être entendu comme l'ensemble des faits qui s'inscrivent dans une démarche tendant à la reconnaissance par les autorités marocaines de la chose berbère) auto-cantonnés jusque-là dans une diffusion de la culture, vers un engagement politique plus clair. La berbérité entrera alors en dissidence et les partis du mouvement national profiteront de la situation pour régler de vieux conflits.

LE MOUVEMENT ENTRE EN HIBERNATION
Au Palais, Abdelwahab Ben Mansour soutiendra cette croisade avec la complicité sécuritaire d'un Dlimi qui fera preuve d'un zèle soutenu. Les arrestations se succèdent. Jusqu'en 1988, le mouvement entrera dans une hibernation contrôlée et certaines de ses figures sont volontairement marginalisés. Le chercheur Mohamed Chafiq, l'une des figures de proue du mouvement sera limogée au Collège royal, où il prenait en charge l'éducation du futur Roi du Maroc et de ses principaux conseillers. Pendant cette période, même la production intellectuelle, base de repli du mouvement, sera extrêmement limitée si l'on excepte le dictionnaire arabe-berbère de Chafiq ou la pièce de théâtre « Oussen Samidden » ( les jours froids) de Safi Moumen. L'Etat marocain est alors au faîte de sa puissance. Le panarabisme baathien, qui trouve une écoute confortable au sein de l'USFP et l'Istiqlal, place au firmament « l'arabité unificatrice des Marocains » . Les mouvances populaires ( voir encadré) continuent d'être des conglomérats de notables qui n'assument pas la revendication amazighe. Ces corporations chargées de fabriquer des élites politiques ne seront d'aucun soutien pour le mouvement.

L'INFLUENCE DU CONTEXTE INTERNATIONAL
Il faudra encore une fois attendre des événements internationaux pour que le mouvement amazigh retrouve un second souffle. Plus précisément la troisième vague de démocratisation en Europe de l'Est. Les revendications, les reconnaissances des diversitées culturelles en Hongrie, Tchécoslovaquie et bientôt en URSS trouveront un écho considérable dans le Maghreb. Le régime est obligée de lâcher du lest et le mouvement associatif culturel amazigh connaîtra alors un essor considérable. Un développement fulgurant couronné en 1991 par la charte d'Agadir. Six associations de la mouvance rendront public ce texte qui réclame la reconnaissance des langue et culture amazighes. Le train est lancé et le cahier revendicatif ira crescendo. Deux ans plus tard, en 1993, des associations amazighes rendent public un mémorandum à travers lequel elles soulignent « la politique d'assimilation forcée pratiquée à l'égard des Imazighen ainsi que leurs identité, culture et langue ». C'était à l'occasion de la Conférence Internationale sur les Droits de l'Homme tenue à Genève. Mais le point d'inclinaison dans la radicalité aura sans conteste pour cadre la ville de Goulmima en 1994. Sept militants de l'association Tilelli (Liberté) sont arrêtés. Ils défilaient le 1er mai avec des banderoles écrites en tifinagh (écriture berbère) et demandaient l'enseignement de tamazight (langue berbère). Cet acte va être considéré par les autorités comme une atteinte aux valeurs de l'Etat ainsi qu'à l'ordre public. Ils devaient en effet répondre des chefs d'inculpation suivants : « atteinte à la sécurité intérieure de l'Etat », « incitation au dépassement des institutions » et « atteinte à la Constitution ». Le 9 mai 1994, ils sont présenté devant la Cour d'Errachidia. Le collectif de 74 avocats qui s'est spontanément formé demande leur libération sous caution. La demande est refusée, le procès est reporté au 17 mai 1994. Les sept détenus entament avec succès une grève de la faim afin que leur soit accordée le statut de prisonniers politiques. Durant l'instance, les détenus refusent catégoriquement de s'exprimer en arabe. Le verdict, prononcé le 27 mai, est lourd. Il suscite une grande mobilisation à travers le Maroc, mais aussi en France et en Kabylie. Les associations rassemblées autour d'une structure de coordination appelée Conseil national de coordination (CNC) feront pression sur le régime qui les libérera le 3 juillet (amnistiés par la grève royale). Le journal "Al ittihad al Ichtiraki", hostile à la berbérité fendra alors, d'un éditorial accusateur assimilant ces événements à la manifestation de Tan-Tan en 1971 qui accouchera du Polisario.

PREMIERES CONCESSIONS DE HASSAN II
Le Roi se veut plus conciliant et, lors du discours du 20 août de la même année ( commémorant la révolution du Roi et du peuple), il annoncera que la berbérité fait partie intégrante de notre culture, mais ajoutera que ce qui rassemble les Marocains, c'est « loughatou dad » ( l'arabe). Il confirmait de manière formelle le rapport hiérarchique entre les deux langues. L'année suivante, la TVM diffusera les premiers journaux télévisés en amazigh, mais pour les militants, ces signes annonciateurs d'espoir ne seront que des effets de manche du Pouvoir. Il faut dire que le contexte algérien y était pour beaucoup. En France, le mouvement kabyle lobbyait ardemment pour obliger le pouvoir algérien à accéder à ses demandes et rencontrait beaucoup de sympathies dans les médias et groupes de pression. Hassan II, qui avait un œil rivé sur les Amazighs du Maroc, l'autre rivé sur les circonvolutions des Kabyles en Algérie cherchait comme à son habitude à gagner du temps. Et ce, d'autant plus que le mouvement devient structurellement transnational. Le Premier congrès mondial amazigh tenu en octobre 95 en France( dans la petite localité de Saint Rome de Dolan) connaîtra la représentation de délégués marocains, lybiens, algériens, nigériens). Un congrès dont la sémantique fait peur aux partis marocains pétris de panarabisme. L'utilisation des mots, « congrès », « diaspora » résonne négativement dans des imaginaires traumatisés par le congrès de Bâle (initié par Hertzl, fondateur du sionisme). Le journaliste Ahmed Bahi (d'origine mauritanienne, il choisira d'être marocain. Il fut même pressenti pour être président de la RASD) couvrira ce congrès de manière remarquable dans un numéro « d'al Ittihad al Ichtiraki ». L'article suivant sera censuré par les dirigeants du journal qui craignent de participer à la diffusion d'un mouvement aux velléités séparatistes.

LES CONNEXIONS AVEC LE PALAIS
Un mouvement qui rayonne dans le milieu associatif, mais qui tarde à trouver un interlocuteur dans l'Etat pour « vulgariser »ses idées et rassurer le régime. C'est un jeune chercheur proche du prince héritier Sidi Mohammed qui leur tendra la perche. Hassan Aourid a fait ses études au Collège royal avec le futur Roi du Maroc. Dans son bureau, il rassemble trois militants reconnus du mouvement : Dgherni, Oussaden et Brahim Akhiyat. Nous sommes alors en 1996 et le Maroc est sur le point d'engager une réforme constitutionnelle. Ils décident d'envoyer une lettre au Cabinet royal demandant la reconnaissance institutionnelle de la langue amazighe. Le résultat sera décevant : l'Amazigh sera reconnu comme une langue nationale mais la primauté de l'arabe sera maintenue. Ce sera la seule concession de Hassan II à un mouvement qu'il n'appréciait guère. L'arrivée quasi concomitante de Bouteflika et du Roi Mohammed VI est annonciatrice d'espoir pour le mouvement. Au lendemain de l'intronisation du jeune Roi, H. Aourid est nommé porte parole du Palais. Il pourra être la jonction du mouvement avec le Palais. Chargé du dossier amazigh, il planche avec son professeur Mohamed Chafiq sur le moyen adéquat de répondre aux revendications amazighes. Mais le Pouvoir tergiverse trop longuement pour les militants. Au mois de mars 2000, Aourid reçoit un coup de fil d'un vieux militant du mouvement, Mohamed Dghrani. Il souhaite le voir le plus tôt possible. Il lui remettra un document sous le sceau du secret qui surprendra le Palais : le manifeste amazigh. C'est un document explosif axé sur trois points : une revendication linguistique et culturelle, une justice sociale plus accrue, et une représentation des berbères plus équitable au sein de l'Etat. Et enfin le dernier point qui fâche, la séparation de la religion et de l'Etat, une laîcité qui ne veut pas dire son nom. Aourid fait part au Roi de ce « manifeste » secret et rencontre le lendemain son ancien professeur Mohamed Chafiq. Ce dernier est l'initiateur du document et cherche à savoir si le porte-parole du Roi en a pris connaissance. Il répond par l'affirmative. Mohammed VI est déçu. Dans une logique de normalisation des rapports avec le mouvement, il ne comprend pas l'attitude d'un mouvement qui joue la carte de l'épreuve de force avec lui. S'engage alors un premier bras de fer entre la monarchie et le mouvement. Le Roi veut au plus vite régler la situation et mande Aourid, Meziane Belfqih et son directeur de cabinet Rochdi Chraîbi pour écouter des personnalités représentatives de la mouvance. La présence de ce dernier est significative : très méfiant vis-à-vis du mouvement amazigh, il n'est pas un gage d'ouverture dans cette négociation. Chafiq ouvre les débats, répertoriant les conditions précaires dans lesquel se débat la culture amazighe. La réponse des envoyés du Roi est simple : Mohammed VI n'est pas comptable des agissements passés. Hamid Azzemouri, représentant le mouvement amazigh, listera tribu par tribu les conséquences néfastes de la politique de l'Etat. Tout cela sera écouté avec une certaine bienveillance. Mais c'est sur la question du statut de la langue que les divergences seront les plus profondes, Rochdi Chraîbi qualifiant l'amazigh de « dialecte ».

AOURID EVINCE
De retour au palais, le Roi écoute une seule personne, Rochdi Chraïbi, et met de côté Hassan Aourid. Chargé du dossier amazigh depuis l'intronisation, sa mise à l'écart révèle une crispation entre le Palais et le mouvement. On le suspecte de connivence avec Chafiq... respecté pour son érudition par les militants qui n'hésitent pourtant pas à le qualifier de makhzénien. C'est l'actualité internationale qui se chargera d'accélérer le train des réformes. En avril 2001, un jeune militant kabyle, Massinissa Guermah, est assassiné par les forces de l'ordre algériennes. Les manifestations monstres qui s'en suivront tombent très mal. Le mouvement amazigh marocain doit tenir un congrès à Bouznika au mois de juin. Le Pouvoir décide de l'interdire. Les manifestations du 1er mai ont rendu lisibles les griefs du mouvement. Midaoui, à l'époque ministre de l'Intérieur, est avec les membres du gouvernement à Agadir. La sortie des Amazighs s'annonce comme une épreuve de force. Dans les cartons des congressistes, un projet de parti politique, une mouture pour une association à caractère politique et enfin un comité chargé de recevoir les recommandations des congressistes. Les militants devront trancher entre ces trois projets. Le ministre de l'Intérieur est prêt à utiliser la force. Il faudra de longues négociations avec certains membres de l'entourage royal pour que l'option virile soit rejeté. Midaoui envoie le gouverneur Ouassou chez Mohamed Chafiq pour entamer des pourparlers. A Bouznika, les militants qui affluent de toutes les régions du Maroc sont renvoyés à leurs pénates. Les forces de l'ordre simulent un accident de la circulation sur l'autoroute pour bloquer les voies. Les militants qui arrivent à passer entre les mailles du filet sont désmparés. Mohamed Chafiq les convie alors dans sa maison pour contrer les forces de l'ordre. Ce qui apparaîtra alors comme un repli stratégique est en fait un geste parfaitement calculé .Le matin même, Midaoui, Aourid et Rochdi Chraïbi s'étaient réunis dans la villa de Mohamed Chafiq et avaient dessinés les contours de l'évolution du mouvement et en filigrane la création de l'Institut amazigh. Une carotte pour faire taire des militants qui pensaient que les rapports de force étaient en leur faveur. Toutes les tentatives ultérieures pour sortir des cartons un projet de parti politique s'avéreront vaines. Il faudra attendre l'année 2004 pour qu'une association à caractère politique soit fondée (elle attend d'ailleurs encore son récépissé. En juillet 2001, le Roi annoncera en grande pompe la création de l'Institut amazigh. La grande majorité des architectes du manifeste amazigh en fera partie. Paralysé par la bureaucratie et par l'indifférence du gouvernement, l'IRCAM cristallise à lui seul les frustrations des militants.

UNE RADICALISATION ATTENDUE
Une certaine grogne règne même parmi certains membres de l'IRCAM. C'est dans ce contexte d'immobilisme que six militants ont décidé de franchir un cap. Mohamed Aterguine, Mohamed Arrehal, Benasser Hammou Azday, Ahmed Arehmouch, Rachid Raha et le vétéran Ahmed Dgharni planchent sur une « charte des revendications amazighes à propos de la révision du texte constitutionnel » ( A CONSULTER SUR CE SITE WEB : [www.amazighworld.org] )
dés la fin de l'année 2003. La synthèse de leur travail va trancher avec l'atonie du champ politique marocain. Ils demandent ni plus ni moins la constitutionnalisation de l'amazighité et du principe de laïcité, la consécration de l'égalité linguistique, des coutumes amazighes et la suprématie du traité international par rapport à la loi nationale et la régionalisation par une transition de l'Etat marocain « unitaire et centralisé » vers un Etat des régions. Les constituants d'un Etat moderne qu'ils ont décidé de porter sur la place publique au mois de juin dernier.
Quelques semaines auparavant, dans une intervention à l'occasion de la deuxième session du conseil d'administration de l'Union des Ecrivains du Maroc (UEM), le 10 avril 2004 à Béni Mellal, Hassan Aourid affirmera que l'impératif de l'unité exige que le pays soit doté d'une seule langue, l'arabe, et ce dans un cadre général défini par la loi suprême du pays. Une déclaration qui sonnera comme un divorce entre une mouvance qui se radicalise et un Palais qui pensait taire la contestation par la cooptation. L'échec de l'IRCAM est le reflet de la faillite de cette stratégie. Les refuzniks, quant à eux, avec ce projet de révision constitutionnelle, ont entamé une lutte dont un certain nombre de revendications peuvent être entendues par le régime, notamment la constitutionnalisation de la région. Il restera cependant un point qui paraît difficile à résoudre, même à long terme : la question de la laïcité. Sans l'appui d'autres mouvements dans la société marocaine, elle restera une revendication ethnique sans lendemain.

Source : lejournal-hebdo
 
Emission spécial MRE
2m Radio + Yabiladi.com
Facebook