Marc Sageman, un américain d'origine franco-polonaise ( sa famille a subi le génocide des juifs polonais), membre actif de la CIA basé au Pakistan durant la guerre d'afghanistan, s'exprime sur le terrorisme islamique avec un "succés" surprenant.
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Comprendre les réseaux terroristes [7 septembre 2004]
Marc Sageman est un psychiatre d'origine française installé aux États-Unis. Cet ex-officier de la CIA a dirigé de 1987 à 1989 les opérations de moudjahidin en Afghanistan. Dans son livre Understanding terrorist networks, il dresse le profil de 172 terroristes de mouvements islamistes.
Après ses méticuleuses recherches, Marc Sageman dépose ses premières conclusions: «Tous les clichés sur le terrorisme étaient faux», explique le psychiatre. Les jeunes terroristes voulaient socialiser; ils se sont donc tournés vers les mosquées. Le dépaysement en a fait de jeunes extrémistes.
«Avant le 11 septembre, Al-Qaïda contrôlait ce mouvement social. Ses camps d'entraînement ont été éliminés. Al-Qaïda est devenu un vrai mouvement social décentralisé très difficile à détecter», ajoute Marc Sageman.
L'ex-agent de la CIA profite de cette analyse pour critiquer la lutte actuelle des États-Unis contre Al-Qaïda. Cette lutte n'était efficace que contre l'ancienne Al-Qaïda. «Ce mouvement social est inspiré par des idées utopistes. On devrait discréditer ces idées et donner une alternative inspirant ces jeunes terroristes», suggère l'auteur.
Marc Sageman, Understanding terrorist networks, University of Pennsylvania Press.
Modifié 1 fois. Dernière modification le 17/03/06 23:10 par Hamza.
Marc SAGEMAN Psychiatre américain d'origine française, il est spécialiste du terrorisme. Ancien membre de la CIA, il dirigea des groupes de moudjahidins en Afghanistan pendant les années 1980. Il enseigne aujourd'hui à l'université de Pennsylvanie et a publier récemment Understanding Terror Networks (University of Pennsylvania Press, avril 2004).
Les terroristes, « acteurs rationnels » au service d’une conviction géopolitique ? D’après son intervention lors d’une table ronde de la Fondation pour l’innovation politique, le 8 septembre 2004
Ma recherche porte sur les terroristes qui ont prétendu agir contre "l'ennemi lointain" (the far enemy). Qui sont ces gens ? Mon enquête, portant sur un échantillon de 400 entretiens, échantillon aussi représentatif que possible (excluant les Palestiniens, les Tchétchènes et plus généralement les individus impliqués dans des luttes civiles sur leur propre sol national), montre que la plupart de ceux qui revendiquent une affiliation à Al- Qaida sont en fait divisés en quatre groupes. Il y a le groupe central de l'organisation, celui des dirigeants historiques, dont la plupart sont des Egyptiens. Les autres groupes se caractérisent par une très forte cohérence, mais ont très peu de liens entre eux. Les trois groupes majeurs sont les Maghrébins (moins bien formés et moins religieux que les deux suivants), les Arabes et les Asiatiques du Sud-Est.
Les clichés théoriques concernant le terrorisme évoquent souvent la pauvreté, la jeunesse, la naïveté, l'absence de formation et d'éducation, le fanatisme religieux… Mes enquêtes ont révélé que la plupart de ces gens appartiennent aux classes moyennes ou aisées, à l'exception des Maghrébins, qui sont essentiellement des Maghrébins de la seconde génération d'immigrés en France.
L'âge moyen est de 25 ans. Par opposition au préjugé suivant lequel tous les terroristes sont éduqués dans les madrasas, j'ai établi que tous les Maghrébins de mon échantillon avaient reçu une éducation laïque. La plupart des individus marqués par une formation religieuse viennent d'Asie du Sud-Est : ceux-ci sont en général des élèves de Bassir, incarcéré depuis 2002 et comparaissant actuellement en justice. 60% des terroristes avaient bénéficié d'une formation universitaire, sauf les Maghrébins. 10% d'entre eux sont des convertis à l'islam. La plupart (sauf les Maghrébins) exercent des professions libérales. 73% sont mariés. En règle générale, ils n'ont pas d'antécédents criminels (exceptés les Maghrébins de France). Les Maghrébins s'occupent le plus souvent du soutien logistique pour le djihad. Dans mon échantillon, seuls quatre cas souffraient de troubles mentaux. En général, ils n'ont pas subi de traumatisme dans l'enfance. La plupart de ces individus ont rejoint le djihad lorsqu'ils se trouvaient dans un pays autre que leur pays d'origine, éloignés de leur propre société comme de leur famille. Ils sont ainsi originaires d'un pays A, vivent en pays B et ciblent un pays C.
Mes enquêtes ont montré que des liens préexistaient à l'entrée dans le djihad : il s'agit de liens sociaux antérieurs à l'engagement idéologique. 68% des membres de ces groupes avaient des liens d'amitié et 20% partageaient des liens familiaux. Il y a un phénomène de "bande des potes". Les jeunes (la plupart étant originaires des pays arabes) viennent de bonnes familles et arrivent en Europe pour étudier. Ils sont souvent polyglottes et compétents en informatique, mais se sentent marginalisés et isolés. Ils recréent des liens d'amitié dans le cadre des mosquées et s'installent dans les mêmes appartements pour économiser et aussi pour manger ensemble - créant ainsi une micro-culture. Ce processus s'organise spontanément, se développe de manière organique sans intervention d'une volonté extérieure. Il est décentralisé et repose essentiellement sur des initiatives locales, avec une grande flexibilité et une absence complète de hiérarchie. En fait, il y a très peu de mosquées qui délivrent un message extrémiste et servent de points de rencontre. Rejoignant en bloc le djihad pour des raisons sociologiques et non pas idéologiques, ces groupes d'amis s'organisent autour d'une seule opération. Ben Laden n'est donc aujourd'hui qu'une force symbolique, un mot d'ordre, un modèle. L'amitié qui lie les membres du groupe et la haine à l'égard de ce qui est à l'extérieur du groupe contribuent à expliquer la dynamique de suicide collectif sur laquelle reposent les attentats.
Que veulent les terroristes ? Ils ne recherchent pas le martyre pour lui-même. Ils ne se suicident pas au nom d'une théologie. Ils partagent d'abord une conviction géopolitique. Ces terroristes veulent expulser l'ennemi lointain qui soutient les ennemis proches. Si les Etats-Unis ou des puissances européennes quittent le Moyen-Orient, ces terroristes peuvent peut-être envisager une prise de pouvoir. Ils pensent que l'action des Etats-Unis ou de tel pays européen en particulier explique leur échec. S'ils parvenaient à se débarrasser des Américains ou des Espagnols, il leur serait possible, pensent-ils, de renverser leur propre gouvernement et d'établir une forme d'utopie au Moyen-Orient.