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Manière de voir : « Cinémas engagés »
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14 juillet 2006 02:01
Cinémas engagés



jeudi 29 juin 2006


En vente le 12 juillet

Un numéro exceptionnel de Manière de voir : « Cinémas engagés »



« Cinémas engagés ». : tel est le titre du n° 88 de Manière de voir, coordonné par Dominique Vidal, qui sort en kiosque le 12 juillet 2006. Un numéro exceptionnel, à ne pas manquer, à plusieurs titres. D’abord parce que c’est la première fois que la revue consacre un dossier au cinéma, art populaire s’il en est. Ensuite par son contenu : pas moins de 26 articles dont 5 inédits classés en deux grandes parties, chacune précédée d’une grande introduction. La première est consacrée au cinéma « face à la guerre » depuis le début du XXe siècle. Lionel Richard ouvre le feu en nous invitant à redécouvrir Le Cuirassé "Potemkine". Suivent les évocations de la guerre d’Espagne, avec Carlos Pardo, de l’Occupation, avec Joseph Daniel et des films soviétiques au temps de la guerre froide, avec Marc Ferro. Ignacio Ramonet et Christian Zimmer nous parlent du cinéma et de la guerre du Vietnam et Amnon Kapeliouk du conflit israélo-palestinien.

La seconde partie intitulée « Miroir des sociétés », n’est pas moins riche. De la Palestine au Danemark, de l’Iran à l’Argentine et de la Grande Bretagne à l’lnde ou à la Corée, c’est à un véritable tour du monde que nous invitent les auteurs.

Mais là ne s’arrète pas le plaisir. Conformément à la nouvelle formule lancée au début de l’année, ce numéro de Manière de voir nous offre de nombreux « plus » : Il nous présente ainsi 13 films « témoins », du Voleur de bicyclette, de Vittorio de Sica, en 1948 à L’arriviste, d’Alexander Payne (1999). Citons aussi Gare centrale, de Youssef Chahine, (1958), La mort aux trousses, d’Alfred Hitchcock (1959), L’Aveu, de Costa Gavras (1969) ou encore Pluie noire, de Shohei Imamura (1989).

L’ensemble est complété par les habituelles références documentaires et par 9 filmographies historiques : la guerre de 1914-1918, la révolution bolchevique, le fascisme italien, le nazisme, la seconde guerre mondiale, l’extermination des juifs, l’occupation allemande en France, la guerre froide, colonialisme et décolonisation.

S’il fallait une raison supplémentaire de mettre la main à la poche en cette période estivale, nous la trouverions dans une superbe iconographie avec des photos et des affiches de films qui sont, à elles seules, un vrai régal.

Avouez que, pour 7 euros, c’est donné.

Daniel Junqua

L’introduction d’Ignacio Ramonet : Caméras politiques



[www.amis.monde-diplomatique.fr]
"Si les singes savaient s'ennuyer ils pourraient devenir des hommes." (Goëthe)
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14 juillet 2006 02:01
Editorial

Caméras politiques

Par Ignacio Ramonet

Après des années de dénigrement et de mépris, les films politiques sont de retour. Un effet sans doute des énormes traumatismes collectifs pro-voqués par les attentats du 11 septembre 2001, par l’invasion et l’occupation de l’Irak et par les mobilisations internationales contre la mondialisation libérale. Les gens se sont politisés à très grande vitesse en même temps qu’ils découvraient l’incroyable vacuité des médias, leur superficialité et leur compromission avec les pouvoirs économique et politique, responsables en partie de la situation actuelle.

Par comparaison, le cinéma de dénonciation sociale apparaît plus frais, plus personnel, plus sincère et plus juste. Les nouveaux films politiques bénéficient par conséquent de l’engouement du public et, fait beaucoup plus insolite, des éloges d’une critique cinématographique qui, il y a encore peu de temps, dans un réflexe d’esthétisme aristocratique, les vomissait.

C’est devenu palpable dès 2004, lorsque le jury du Festival de Cannes a attribué la Palme d’or du meilleur film à Fahrenheit 9/11, du cinéaste américain Michael Moore. Un documentaire provocateur qui s’attaquait de plein fouet aux problèmes brûlants de l’Amérique. Avec un féroce humour noir, le réalisateur y retraçait l’ascension d’un médiocre pétrolier texan devenu maître du monde libre, dénonçait - comme nul n’avait jamais osé le faire - le rôle majeur qu’ont joué le pétrole et la cupidité dans la décision d’envahir l’Irak, et révélait les liens personnels et financiers unissant les familles Bush et Ben Laden. Ce détonant mélange de révélations sensationnelles, d’humour ravageur et de style créatif devait séduire des millions de spectateurs, et relancer l’intérêt pour le cinéma politique contemporain.

Et cela ne cesse de se confirmer. Prenons, par exemple, le dernier Festival de Cannes. Palme d’or attribuée - à l’unanimité - au film The Wind That Shakes the Barley (Le vent se lève) sur la lutte d’indépendance de l’Irlande contre l’Angleterre et les débuts de la guerre civile irlandaise dans les années 1920, réalisé par un des cinéastes contemporains les plus engagés : le Britannique Kenneth Loach, auteur - entre autres - de Land and Freedom en 1994 (film dont l’affiche figure à la « une » de ce numéro de Manière de voir), puissante évocation de la guerre d’Espagne. Un film à revoir alors que l’on célèbre, ce 18 juillet, le soixante-dixième anniversaire du début de ce conflit (1).

A propos du Vent se lève, Ken Loach soutient que « les guerres sont omniprésentes dans les médias et [que] les gens ne peuvent tout simplement pas les oublier ». Au-delà du cas de l’Irlande, le réalisateur a voulu, c’est clair, rappeler d’autres occupations et d’autres résistances : « On ne peut pas comparer, affirme Kenneth Loach, la violence de l’oppresseur et celle de l’opprimé. Un peuple a le droit de résister contre ceux qui occupent son pays. Lutter contre celui qui t’opprime et envahit ton pays est une guerre légitime. Ce qui s’est passé en Irlande est une situation classique qui se reproduit dans n’importe quel territoire occupé par une armée étrangère. Tout envahisseur produit de la violence et suscite en retour de la violence contre lui. Peu à peu la situation devient incontrôlable pour les occupants. Nous avons appris ces jours-ci un nouveau massacre commis par les Américains en Irak [il s’agit du massacre de Haditha, perpétré en novembre 2005 et dénoncé en juin 2006 par les médias. Cf. Time, 12 juin 2006]. Ce n’est pas une surprise. Il y en aura d’autres. Chaque fois qu’il y a une armée d’occupation, les gens veulent la bouter hors de leur pays, et les troupes occupantes réagissent avec racisme et mépris, suscitant encore plus de haine (2). »

A Cannes encore, le jury récompensa Indigènes, de Rachid Bouchareb, cinéaste franco-algérien qui déchire le mur du silence et de l’oubli, et évoque sans didactisme ni manichéisme une page occultée de l’histoire de France, celle des cent trente mille tirailleurs maghrébins et africains engagés dans l’armée française au début des années 1940 pour libérer la « mère patrie » de l’occupant nazi.

A Cannes toujours, le Prix de la mise en scène a été attribué à Babel, du jeune cinéaste mexicain Alejandro González Iñárritu. Il propose une fable chorale sur la violence dans le monde après le 11-Septembre telle qu’elle est perçue par les médias dominants, qui voient du « terrorisme islamiste » partout dès que des pauvres du Sud protestent contre leur sort.

Mais il faudrait citer, toujours sur les conséquences des attentats du 11-Septembre, bien d’autres titres, comme, par exemple, Vol 93 (United 93), de Paul Greengrass, sur la tragédie réellement vécue par les voyageurs insurgés de cet avion de United Airlines détourné par quatre terroristes ce même 11 septembre 2001 et qui finira par s’écraser. Ou encore, sur ce même thème, World Trade Center, le nouveau film d’Oliver Stone, qui rappelle comment une brigade de pompiers new-yorkais a affronté l’apocalypse. Et aussi The Road to Guantánamo, de Michael Winterbottom et Mat Whitecross, sur le cas de trois jeunes Britanniques musulmans partis à un mariage en Afghanistan et qui se sont retrouvés dans le goulag de Guantánamo, soumis pendant deux ans à des formes nouvelles de torture.

On pourrait évoquer beaucoup d’autres films récents, destinés au grand public, comme Crash, de Paul Hagis, Good Night, and Good Luck, de George Clooney, Syriana, de Stephen Gaghan, Munich, de Steven Spielberg, L’Affaire Josey Aimes, de Niki Caro, sans oublier l’exceptionnel Brokeback Mountain, d’Ang Lee. Ou des documentaires de dénonciation particulièrement courageux, comme ceux de Pierre Carles.

Tous font preuve d’un sens critique de plus en plus apprécié par les jeunes en particulier. Ceux-ci admettent ressentir un appétit de plus en plus dévorant pour des films politiques de rupture qui reflètent le monde tel qu’il est. Tant il est clair que, pour la génération des 25-30 ans, la nouvelle réalité politique a effectivement commencé le 11-Septembre.

(1) A l’occasion de cet anniversaire, les éditions Montparnasse éditent un coffret de deux DVD indispensables, avec le meilleur documentaire jamais filmé sur la guerre d’Espagne : Mourir à Madrid, de Frédéric Rossif, et d’autres documents passionnants (www.editionsmontparnasse.fr).

(2) El País, Madrid, 4 juin 2006.
"Si les singes savaient s'ennuyer ils pourraient devenir des hommes." (Goëthe)
h
14 juillet 2006 12:33
J'ai bien aimé Bowling for Columbine de M.Moore. Un ami m'a dit qu'il préparait un film sur le conflit israelo/palestinien. Est ce que quelqu'un a des infos??

Mais c'est vrai que ces films engagés changent de la routine........moi j'approuve!!
i
14 juillet 2006 13:51
Citation
hamid. a écrit:
J'ai bien aimé Bowling for Columbine de M.Moore. Un ami m'a dit qu'il préparait un film sur le conflit israelo/palestinien. Est ce que quelqu'un a des infos??

Mais c'est vrai que ces films engagés changent de la routine........moi j'approuve!!

Aux dernieres nouvelles , je crois bien qu'il a fait marche arrière ( mais on ne sait jamais evec lui).
Il faut dire qu'il y a beaucoup de choses à raconter sur la manière dont est présenté ce conflit aux pauvres américains
georges orwell
h
14 juillet 2006 21:16
Citation
ibn hazm a écrit:
Citation
hamid. a écrit:
J'ai bien aimé Bowling for Columbine de M.Moore. Un ami m'a dit qu'il préparait un film sur le conflit israelo/palestinien. Est ce que quelqu'un a des infos??

Mais c'est vrai que ces films engagés changent de la routine........moi j'approuve!!

Aux dernieres nouvelles , je crois bien qu'il a fait marche arrière ( mais on ne sait jamais evec lui).
Il faut dire qu'il y a beaucoup de choses à raconter sur la manière dont est présenté ce conflit aux pauvres américains


Merci pour ta réponse.
b
18 juillet 2006 01:29
pour ceux que cela intéresse, deux extraits de ce numéro:




« Apocalypse Now » ou la fuite dans le symbole




« Apocalypse Now » n’est ni le premier ni le dernier des films américains grand public sur la guerre du Vietnam, mais c’est assurément le plus pervers : fasciné par la « beauté de l’horreur », Francis Ford Coppola abandonne l’histoire pour la parabole et l’allégorie. Et la démence inspirée de Kurtz oblitère celle de la guerre … (Novembre 1979.)




Par Christian Zimmer
Christian Zimmer, naguère chroniqueur aux Temps modernes (1965-1978), était journaliste au Monde.







On hésite, quand bien même ne serait-ce que pour se limiter à deux ou trois mises au point ou pour dissiper quelques équivoques, à grossir encore le flot de littérature, de bavardage dont Apocalypse Now est l’occasion. Quoi que l’on puisse dire, du reste, on est pris au piège et on fait, malgré soi, de la promotion commerciale : l’importance de l’« événement » créé par le couple information de masse-publicité ne saurait qu’augmenter du fait du moindre commentaire, si négatif soit-il. Nous sommes soumis à la loi unique du quantitatif, et chaque ligne est récupérée par un système mis au point avec suffisamment de précision et d’efficacité pour que tout ce qui échappe à cette loi soit immédiatement placé hors circuit : millions de dollars, années de travail, nombre d’hélicoptères, opinions et jugements, tout cela s’additionne. Le discours d’Apocalypse Now est celui du nombre.

Il y a pourtant un film, et qui est tout autre chose que cela. Coppola, au demeurant, n’est pas responsable de ce discours mystificateur : la démesure, l’excès avaient probablement chez lui une signification, répondaient à un besoin. Ou, plus exactement, à un dire. Ce dire, sans doute, était assez confus, assez équivoque, et l’auteur semble le reconnaître volontiers, puisqu’il avoue que son film fut en somme une aventure où il s’est lui-même quelque peu perdu. Mais c’est cela, en fin de compte, qui est intéressant : retrouver, sous le discours fabriqué par les affirmations péremptoires et aventureuses de la critique, les louanges excessives, les interprétations abusives et les exégèses à courte vue, ce dire incertain, halluciné, obscur. Un dire qui est aussi, par voie de conséquence, ambigu et suspect, et dont l’incertitude a peut-être, avec l’assurance ostentatoire, l’insolent éclat de la forme, une relation de caractère logique.

Sur le triple plan du cinéma, de l’histoire et de la signification ultime du film, il faut donc récuser ce discours des « médias ». On a d’abord célébré tout à la fois le spectacle et son contenu de réalité (ce qui, en soi, est déjà contradictoire), dans le style « beauté fascinante de l’horreur ». Enfin, le vrai visage de la guerre, a-t-on dit. Propos déjà entendu, et même depuis fort longtemps : n’est-ce pas celui qui est proféré régulièrement chaque fois qu’un film — ou un roman — va un peu plus loin dans la peinture de certaines réalités guerrières ? Mais est-il de quelque intérêt de se demander si, effectivement, la vérité est un peu plus approchée, lorsqu’il s’agit d’un spectacle ?

Et, particulièrement, du spectacle de la guerre ? Depuis que le cinéma existe, celle-ci a-t-elle jamais, en effet, été autre chose sur l’écran qu’un spectacle ? La formule abrupte de Michel Mardore dans Le Nouvel Observateur — « Tous les films de guerre sont des apologies de la guerre » — ne fait que nous rappeler une bien banale évidence : le spectacle a ses lois propres, qui changent la nature de l’objet perçu — en l’occurrence exaltant une réalité qu’on voudrait pourtant condamner — en raison à la fois des dispositions psychomotrices du spectateur et des structures propres de l’image ; si l’on veut réellement rendre sensible une réalité telle qu’elle est, il faut donc recourir à d’autres moyens.

Bien rares sont les cinéastes qui ont réussi à échapper au spectaculaire : même des hommes aussi pacifistes que Gillo Pontecorvo (La Bataille d’Alger) ou Francesco Rosi (Des hommes contre...) n’y sont pas parvenus. L’exception, c’est, s’en étonnera-t-on, Godard, qui, appliquant le principe de Péguy — il faut dire laidement les choses laides —, a, dans Les Carabiniers, donné à la guerre un visage, reconnaissons-le, bien peu séduisant. Encore qu’on puisse juger qu’un antispectacle est encore un spectacle...

Quoi qu’il en soit, le discours critique sur la vérité de la guerre dans Apocalypse Now manque de sérieux : il n’est que l’effet de la considération portée, de façon plus ou moins consciente, au quantitatif. Car il est parfaitement injustifié de voir dans le film de Coppola, du simple point de vue des faits qui y sont rapportés, une évocation de la guerre de caractère exceptionnel, et, encore bien moins, la première évocation véridique, par le cinéma américain, du conflit vietnamien.

La violence des combats, l’existence quotidienne du guerrier avec ses rêves, ses peurs et ses fureurs, la folie paranoïaque des chefs et le naufrage de la raison dans l’enfer du feu, du sang et de la souffrance, nous avons vu tout cela dans les films de Lewis Milestone et de Raoul Walsh, d’Anthony Mann et de Samuel Fuller, et de quelques autres (pour notre part, nous gardons un souvenir particulier de Between Heaven and Hell, de Richard Fleischer).

Que, dans ces films aussi, ait joué le « renversement spectaculaire » (qu’on pourrait définir comme le glissement naturel du stade du spectacle au service de la critique du réel à celui de la critique du réel au service du spectacle) n’enlève rien à la valeur informative de ce qu’ils montraient. Mais sans doute les auteurs ont-ils moins abusé des projecteurs, des fumigènes, des fusées éclairantes et des effets électroacoustiques. Le spectacle qu’ils nous proposaient, ils le voulaient encore « réaliste ».

Coppola, lui, a voulu se hausser à un autre niveau : il l’a dit, il n’y a pas chez lui de réalisme, son film tient de l’opéra, du mistere médiéval, du spectacle de music-hall, de la vision psychédélique. Il est conçu comme une expérience sensorielle violente, inédite, le spectateur doit être pris dans un véritable processus hallucinatoire, et il doit « flipper », décoller. D’où l’enthousiasme de certains, qui ont cru reconnaître dans cette « beauté » très fabriquée — et qui nous vaut, ne le nions pas, quelques « morceaux » dont il est difficile de ne pas encaisser le choc : le mitraillage du village vietnamien, la soirée du « théâtre aux armées » — la « beauté » même de la guerre, confortés dans leur jugement par certaines déclarations imprudentes de l’auteur, parlent de la « séduction » de celle-ci (comme si l’hystérie nationaliste et la haine homicide qui en découle ne suffisaient pas...).

A ces appréciations irresponsables, on répliquera seulement qu’il est bien difficile à la guerre de ne pas être « séduisante » en Technicolor, 70 millimètres et Dolby Stéréo, et qu’en tout état de cause cette « séduction » ne doit tout de même pas être ressentie de façon parfaitement identique par ceux qui font la guerre et ceux qui ne peuvent que la subir...

Si on garde la tête froide, on remarquera donc simplement ceci : qu’Apocalypse Now ne nous en dit pas plus sur le Vietnam que Retour ou Voyage au bout de l’enfer — et plutôt moins —, qu’il n’a rien du caractère accusateur, protestataire de Winter Soldier, du Cœur et l’Esprit ou même d’Un membre de la famille, et qu’il est tout aussi ambigu qu’un film comme Le Merdier. Que dénonce Coppola ? Les crimes américains au Vietnam ? Allons donc ! Veut-il nous faire croire qu’on a poursuivi un officier pour le meurtre de quatre agents doubles, alors qu’il existait un plan du Pentagone, le plan Phénix, destiné à l’élimination de tous les cadres nord-vietnamiens ?

N’est-ce pas plutôt le vieux mythe de la « guerre propre » qu’on nous ressert ici, assorti d’une invite à l’indulgence, à la compréhension attendrie pour ces officiers d’élite qui, poussés à bout par la traîtrise et la barbarie de l’ennemi, sont sortis de la légalité ? N’est-ce pas là une figure que nous connaissons bien et que nous avons retrouvée dans maints westerns, sous l’uniforme sudiste ou nordiste, ou dans plus d’un film noir, sous la défroque traditionnelle du « fédéral » ou du « privé » ?

La vérité, c’est qu’Apocalypse Now n’est pas un film sur le Vietnam. Ou, plus exactement, si c’est bien un film de l’après-Watergate, de la moralisation cartériste et de la mauvaise conscience, ce n’est pas un film politique. Le Vietnam dont il s’agit ici est un Vietnam intérieur, mythique. Ce qui explique sans doute que le Vietnamien lui-même y soit physiquement si peu présent. La faillite de l’Histoire se traduit, dans Apocalypse Now, par l’impossibilité de raconter une histoire tirée vraiment de cette Histoire.

C’est de cette impossibilité que témoigne le scénario : à l’Histoire utilisée de façon anecdotique, fragmentaire, se substituent finalement la parabole, l’allégorie, le refuge dans la spéculation métaphysique, dans la dimension symbolique (ce dernier trait n’est-il pas caractéristique également d’une certaine réflexion politico-philosophique d’aujourd’hui, qui prétend, en quelque sorte, que l’Histoire n’est plus pensable ?). Le style du film, dès lors, change totalement, et c’est sur la fascination d’un visage, celui de Marlon Brando, que va jouer essentiellement le cinéaste.

Le Vietnam est oublié : nous sommes dans un décor sans localisation réelle, au bout, ou plutôt hors du monde. Le personnage de Kurtz de son côté, directement inspiré du Cœur des ténèbres, de Joseph Conrad (il porte du reste le nom même que le romancier avait donné à son héros), échappe à la dimension historique et se revêt d’une grandeur nietzschéenne. Sa démence n’a rien à voir avec les misérables obsessions, les dérisoires manies des autres militaires du film. Elle est chargée d’un sens positif : c’est celle d’un inspiré, d’un initié. Celle de l’ange exterminateur, du prophète. N’oublions pas que le mot « apocalypse » veut dire « révélation »... Kurtz a vu l’horreur (et cette vision est une vision authentique, elle est sans rapports avec la matérialité des événements qui l’ont suscitée), l’horreur qui est peut-être la vérité de notre époque, comme le langage de la folie est peut-être le langage même de cette vérité (dans un monde où le sens est perdu, la folie pourrait bien être ce qui a encore le plus de chances d’en avoir un...).

Kurtz est aussi un personnage qui a quelque chose de sartrien. Il veut assumer son époque, la « prendre sur ses épaules », et, pour cela, s’est, comme le Frantz des Séquestrés d’Altona, retiré du monde des vivants. Il cherche également, comme le Goetz du Diable et le Bon Dieu, le sens dans l’accomplissement conscient de ce qu’on appelle le mal, puisque les gens qui croient au bien ne peuvent que faire le mal sans en avoir conscience.

Mais, si Coppola a énormément investi dans ces dernières séquences, c’est, de toute évidence, au niveau de l’inconscient. Si l’itinéraire du capitaine Willard est typiquement conradien, marqué d’un pessimisme qui appartient bien en propre à l’auteur de Lord Jim (et jusque dans la métaphore existentielle du bateau), il ne peut manquer d’évoquer également cette douloureuse impossibilité du retour au primitivisme régénérateur, à la pureté originelle, thème qui est aussi celui de Délivrance, de John Boorman, par exemple, film dont, curieusement, le scénario n’est pas sans analogie avec celui d’Apocalypse Now.

Comme chez Boorman, la remontée du fleuve est une remontée dans le temps, et l’état sauvage, l’état de nature font progressivement retour à mesure que le bateau approche du terme de sa course (flèches, javelots, peintures du visage, puis du corps entier). Mais, toujours comme dans Délivrance, c’est le visage de l’horreur qui se découvre derrière celui de la nature originelle. La pureté primitive est à jamais inaccessible, car l’Amérique a commis la faute capitale, elle a perdu son âme (voir l’allusion au massacre de la villa Polanski), elle est en état de péché mortel : l’entreprise exterminatrice qu’elle a menée au Vietnam (« Nous le ramènerons à l’âge de pierre », disait le général Curtis LeMay) n’est que la répétition du meurtre fondateur, c’est-à-dire l’extermination de l’Indien, du Père.

C’est bien le Père que tue Willard au cours d’une scène dont la signification de mise à mort rituelle est suffisamment soulignée par le montage (parallèlement, on assiste au sacrifice d’un buffle) : Kurtz a revêtu le costume des bonzes, il a le crâne rasé, il est devenu partie intégrante de cette réalité ancestrale, qui nous ramène à l’aube de l’humanité. Un Père pour lequel l’amour, après l’admiration, n’a cessé, à mesure qu’il le connaissait mieux, de grandir chez son futur meurtrier, mais que celui-ci avait le devoir de tuer. Devoir d’autant plus impérieux que le Père appelait, désirait la mort de cette main filiale.


Christian Zimmer.


[www.monde-diplomatique.fr]
b
18 juillet 2006 01:31
« Tsahal », défense et illustration de l’armée israélienne




« Notre armée est pure (...), elle ne tue pas d’enfants. Nous avons une conscience et des valeurs et, à cause de notre morale, il y a peu de victimes [palestiniennes]. » Ainsi parlent, sans être contredits, des généraux israéliens dans « Tsahal », le film réalisé par Claude Lanzmann neuf ans après « Shoah »… (Novembre 1994.)




Par Amnon Kapeliouk
Journaliste au quotidien Yediot Aharonot, Tel-Aviv.







Le cinéaste documentariste Claude Lanzmann aime le monumental. Après Shoah (1985), qui dure huit heures, il a réalisé un film-fleuve de cinq heures consacré à l’armée israélienne et intitulé simplement : Tsahal (1).

Ce film est fondé sur une série d’entretiens avec des militaires, généraux et soldats israéliens, qui racontent leurs expériences et parlent de leurs sentiments. Bruits de chars, de bombes, enregistrements authentiques de conversations radio dans le réseau de communication militaire pendant la guerre d’octobre 1973 tentent de créer une atmosphère de combat, de guerre.

Le cinéaste visite, entre autres, une base de l’armée de l’air et assiste à la dernière réunion d’un cours préparatoire pour pilotes. Il se rend dans une unité de chars et discute avec les soldats, donne de brèves images de la première Intifada et, vers la fin du film, laisse le micro à trois intellectuels israéliens qui s’expriment sur le problème des territoires arabes occupés. Les Palestiniens n’ont guère latitude d’expliquer leurs points de vue. Rares sont même ceux qui apparaissent pendant toute la durée de la projection ; et encore parlent-ils quelques minutes pour disparaître aussitôt.

Les sujets sont traités sans ordre précis. Le film évoque pêle-mêle la peur, l’attitude envers l’ennemi, le matériel de guerre, les principes stratégiques, et évoque des anecdotes comme celle, d’ailleurs bien connue, que raconte le chef d’état-major de l’armée, le général Ehoud Barak, qui participa, déguisé en jeune fille, à l’assaut contre les domiciles de trois chefs de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) — deux militaires et un civil, le poète Kamal Nasser, porte-parole de l’organisation, tous trois assassinés à Beyrouth en avril 1973.

Avant la projection de son film devant la presse à Paris, le 25 septembre 1994, l’auteur déclara que son intention était de présenter une armée juive pourvue, selon lui, de caractères spécifiques par rapport aux autres armées. A quoi tiendrait donc cette différence ? Ses généraux l’expliquent dans le film : « Notre armée est pure (...), elle ne tue pas d’enfants. Nous avons une conscience et des valeurs et, à cause de notre morale, il y a peu de victimes [palestiniennes] », etc. Or la chronique contredit ce discours. Claude Lanzmann, enquêteur compétent s’il en est, ne pose pas, cette fois, de questions embarrassantes et laisse passer de tels propos sans la moindre contestation. En fait, il s’est fixé un objectif irréaliste : l’armée israélienne est, comme les autres, un instrument au service du pouvoir. Et lorsqu’une armée doit se transformer en force d’occupation, inévitablement elle viole les droits de l’homme et pratique la répression. Dans ce domaine, il n’est pas d’exception. Le fait que les parents des soldats israéliens aient été victimes du génocide hitlérien — ce que Claude Lanzmann n’oublie pas de rappeler à plusieurs reprises — n’apporte aucune circonstance atténuante à la spoliation des droits des Palestiniens.

On était en droit d’attendre tout autre chose du mariage d’un aussi habile documentariste avec un sujet aussi brûlant (2). Car Tsahal ressemble par trop aux films de propagande produits au cours des premières années de l’Etat d’Israël, alors même que le cinéma politique en ce pays a considérablement évolué. Dans Shoah, Claude Lanzmann aurait pu allonger sa narration de deux ou trois heures, le film serait resté aussi captivant. Tandis que, en regardant Tsahal, l’on s’ennuie ferme au bout de deux heures. Et il en reste encore trois...

Pendant la projection privée du film à Paris, l’auteur a affirmé : « Je n’ai rien évité et rien caché. » Or, fait incroyable, le film omet complètement de traiter de la guerre du Liban, la plus problématique que l’armée israélienne ait menée dans son histoire, une guerre qui a secoué et déchiré toute la société, qui a causé la mort de quelque sept cents soldats israéliens, de plus de vingt mille Palestiniens et Libanais, et qui a provoqué la démission du premier ministre Menahem Begin ; une guerre déclenchée en juin 1982 pour anéantir l’OLP et qui a duré jusqu’en 2000, mais sous une autre forme, dans le Sud-Liban occupé par Israël. Mais le film passe sous silence les bombardements des villes et la destruction des camps de réfugiés au Sud-Liban en 1982, le terrible siège de Beyrouth, le massacre de Sabra et Chatila que facilita l’armée israélienne (3). Et voici le Liban rayé de l’histoire de Tsahal dans un film appelé Tsahal. Ce serait comme un film sur l’armée française sans la guerre d’Algérie.

Dévouement des soldats à leur armée : le général Yossi Ben-Hanan raconte ses aventures pour rentrer du Népal, où il passait ses vacances, lorsqu’il apprit que la guerre d’octobre 1973 avait éclaté. Une histoire assez banale mais qui montre bien quel était alors l’état d’esprit des Israéliens de tout bord. Les citoyens soldats se sentaient, moralement aussi, obligés de participer à toutes les guerres, et le nombre des insoumis était insignifiant, voire nul.

La guerre du Liban a révélé un phénomène nouveau, et choquant pour l’Israélien moyen : le refus de certains soldats (tel le célèbre colonel Elie Gueva) d’obéir à l’ordre d’envahir Beyrouth et même de servir dans les rangs de l’armée au Liban. Il s’agissait de soldats du contingent et de réservistes membres du mouvement Yesh Gvoul (« Il y a une limite »). Le film ne donne pas la parole à ces pacifistes. Au total, des milliers d’entre eux auront refusé de servir au Liban et dans les territoires occupés. Quelque deux cents de ces réfractaires furent condamnés à la prison ferme pour quelques semaines, voire pour quelques mois. Signataire du « Manifeste des 121 » qui, le 6 septembre 1960 en France, dénonçait la répression en Algérie en appelant à l’insoumission, Claude Lanzmann passe sous silence un même phénomène en Israël. Deux poids, deux mesures.

La guerre israélo-palestinienne, qui dure depuis l’occupation des territoires palestiniens en juin 1967, et dans laquelle l’armée doit assumer la répression, est évoquée par des images montrant des enfants qui jettent des pierres sur les soldats, un couvre-feu à Naplouse, des vues de Gaza. Comment l’armée d’occupation lutte-t-elle contre la résistance palestinienne ? On ne le verra pas. Et si le point de vue officiel de l’armée a tout loisir de s’exprimer, aucun représentant ou combattant palestinien ne prend la parole pour expliquer les raisons de la violence de cette résistance. C’est comme un film sur la guerre d’Algérie où le FLN n’existerait pas.

Où sont ces images qui firent le tour du monde montrant des soldats israéliens exécutant les ordres de M. Itzhak Rabin, ministre de la défense qui, au début de l’Intifada, ordonna à ses soldats de « briser les os [des Palestiniens] » ? Rien non plus sur le dynamitage des maisons. On ne voit pas les arbres fruitiers arrachés, « derrière lesquels se sont cachés les terroristes ». On ne voit rien des expulsions et des arrestations (une centaine de milliers de Palestiniens sont passés dans les prisons et les camps d’internement israéliens depuis le début de l’Intifada). Le 14 juin 1994, la télévision israélienne a diffusé un film de l’Israélien Rami Lévy traitant de façon très courageuse des tortures infligées aux Palestiniens et dans lequel des Arabes apportent leurs témoignages. L’eût-il souhaité, Claude Lanzmann aurait pu facilement se les procurer.

Il existe au sein de l’armée israélienne un escadron de la mort composé d’unités déguisées en Arabes et qui exécutent sommairement les activistes palestiniens recherchés. Les médias israéliens ont donné des informations abondantes sur le sujet. Mais pas un mot dans le document de Claude Lanzmann.

Le film conte les dangers de l’Intifada, car un jet de pierre est susceptible de tuer. Mais une pierre lancée par l’homme ne peut franchir plus de 60 mètres. Or les francs-tireurs israéliens spécialisés visent, avec leurs lunettes, des manifestants qui jettent des pierres à une distance plus éloignée, ils en touchent un ou deux et dispersent ainsi la manifestation. « Les soldats tirent uniquement lorsqu’ils sont en danger », dit l’un des généraux dans le film. Mais combien, parmi les mille cinq cents tués et trente mille blessés de la première Intifada, ont réellement mis en danger la vie des soldats ? Leur nombre est infime.

Le pont Allenby, sur le Jourdain, est l’une des deux voies d’accès à la Jordanie. Claude Lanzmann a visité les lieux, il s’est entretenu brièvement avec un Palestinien — l’un des rares à paraître dans le film — qui rentrait de Jordanie. Ce dernier se plaint que les formalités soient très longues. On voit les fouilles opérées sur les passants. Les vêtements sont entassés dans les valises sans ordre. « A la maison, on va les arranger », dit l’un d’eux. On a l’impression que tout est plus ou moins normal, et cependant cette séquence ne traduit pas toute la réalité. Le cinéaste a filmé là l’un des lieux les plus névralgiques des territoires occupés. Il aurait dû interroger d’autres passants, il aurait alors entendu d’autres histoires.

Cette scène du pont m’a ramené quelques dizaines d’années en arrière. C’était avant la première Intifada, je fus affecté là pour vingt-quatre jours comme réserviste, et ce que j’y ai vu alors, sous l’uniforme, était une succession bouleversante d’humiliations constantes, de cruautés, de mauvais traitements et de méchancetés de la part d’une partie des soldats à l’égard des Palestiniens qui rentraient chez eux. Le passage, qui dure presque toute la journée, commence par une fouille corporelle. Les voyageurs, hommes ou femmes, se déshabillent complètement et, à l’aide d’un détecteur de métaux, le soldat les fouille jusque sur les parties génitales. Tout dépend de l’humeur du soldat. Plusieurs fois j’ai vu, dans les cabines de fouille, des Palestiniens nus attendant patiemment le soldat qui, au beau milieu de l’inspection, avait décidé d’aller à la cantine.

L’examen des objets appartenant aux passants était très rude. On déchirait parfois les manteaux et autres habits pour chercher des détonateurs transportés en contrebande. Les chaussures des femmes passaient aux rayons X, et si l’on découvrait dans le talon un métal destiné généralement à le consolider, le soldat brisait le talon dans l’espoir d’y découvrir un détonateur... Des objets aussi personnels que les produits de beauté étaient à l’occasion détruits. Des biberons de lait pour bébés étaient vidés de leur contenu : « Il se peut qu’il y ait des détonateurs », me répondit un soldat avec un sourire. Cette histoire de biberon ayant été rapportée à un député, celui-ci interpella le ministre de la défense, qui ordonna de ne plus renverser le contenu des biberons...

Les taxes douanières imposées sur les produits neufs transportés par les passants étaient arbitraires. Un jour, un soldat imposa une taxe anormale sur des objets appartenant à une femme de la bourgeoisie de Ramallah. Elle demanda : « Pourquoi une taxe aussi élevée ? » Il lui fut répondu par un juron très vulgaire. La femme, avec un regard fier, laissa ses effets et s’en alla sans rien. La journaliste palestinienne Raimonda Tawil a raconté qu’un collier en or portant le mot « Palestine » avait été confisqué au pont Allenby sous prétexte que c’était de la propagande terroriste. Lorsque des plaintes étaient adressées au commandant de la région, celui-ci répondait : « Rien à faire. Les soldats qui servent ici représentent le peuple d’Israël tout entier. Il y a parmi eux des gens cultivés et éduqués et il y a aussi des brutes. Tous, comme vous le savez, servent Tsahal. » Or ces derniers, les « brutes », sont absents du film.

Tsahal montre des chaînes de montage et des fabriques de chars. On sent que notre cinéaste aime les chars ou, du moins, qu’il aime les filmer. Leur vacarme, trop long, accompagne quelques scènes du film. Un soldat témoigne, donne un avis sur son char Merkava, de fabrication israélienne : « C’est le meilleur du monde. – Comment savez-vous cela ? – On me l’a dit. » Un autre parle de son Centurion (de fabrication britannique), et on a l’impression qu’il parle de sa petite amie... Israël, rappelle ce document, a développé une industrie militaire florissante pour surmonter l’embargo sur les ventes d’armes décrété par quelques puissances occidentales pendant les deux premières décennies de l’existence de l’Etat. Pour compléter ce chapitre important, Claude Lanzmann pouvait rappeler que l’Etat juif a, de son côté, vendu du matériel militaire à des régimes fascistes comme celui de Pinochet, aux dictatures d’Amérique latine et aux racistes d’Afrique du Sud. Les responsables de l’industrie militaire ont toujours justifié ces fournitures par la nécessité de vendre à qui est prêt à payer, si le pays doit subsister.

Le cinéaste a eu le privilège d’assister à une réunion de fin de stage de futurs pilotes. On annonce le nom de ceux qui seront pilotes et de ceux qui seront affectés à d’autres tâches. Déception, joie, indifférence parmi l’assistance. On voit beaucoup de religieux coiffés de leur calotte. Une écrasante majorité sont ashkénazes. Pourquoi si peu de séfarades ? En visitant cette base de l’armée de l’air, Claude Lanzmann aurait pu parler avec l’un des pilotes qui ont participé à la guerre du Liban, bombardé la population civile et les camps de réfugiés et lui demander son témoignage.

En fait, on voit très peu la vie des soldats dans les camps militaires en Israël et dans les territoires occupés, alors qu’on assiste à des monologues sans fin sur la peur, ce sentiment commun à toutes les armées. Claude Lanzmann pouvait montrer la vie quotidienne des soldats, traiter de la coercition religieuse dans les camps où règnent les lois du grand rabbinat. Il aurait pu faire parler un soldat des unités spéciales accueillant les étudiants des écoles rabbiniques, qui font cinq années de service militaire au lieu de trois et consacrent les deux tiers de leur temps à l’étude des disciplines religieuses. Vers la fin du film, un colon portant la calotte parle des droits éternels des Juifs sur « Eretz Israël ». « Les Arabes n’ont rien construit. Nous construirons ici », lance-t-il. Non loin de là, des ouvriers palestiniens bâtissent des maisons pour les colons. Scène émouvante. On dirait qu’ils n’ont pas d’autre choix. L’occupant force l’occupé à l’aider : pourquoi Claude Lanzmann n’attaque-t-il pas ce sujet ? Parfois, les ouvriers palestiniens travaillent sur leurs propres terres, confisquées par l’armée (la moitié des terres de Cisjordanie est passée aux mains des Israéliens depuis 1967). Mais le simple spectateur de ce film n’en saura rien.

Beaucoup de généraux, dans Tsahal. Parmi eux, M. Ariel Sharon, alors général en retraite, ancien ministre de la défense, héros de la guerre du Liban. Il se promène dans sa ferme et parle de l’importance de l’initiative lors des combats. Dommage que ce soit un monologue. M. Sharon était au centre de la « guerre des généraux », une querelle qui a éclaté en pleine guerre d’octobre 1973. On l’a accusé de refuser d’exécuter des ordres pendant les combats, de transmettre des rapports inexacts, etc. Le chef d’état-major, le général David Elazar, a même suggéré de le renvoyer. M. Sharon a répondu que ses détracteurs ne comprenaient rien à la stratégie. Mais, dans ce film de cinq heures où la guerre d’octobre 1973 est amplement traitée, il n’y a point de place pour un tel événement au sein de l’armée. C’est à se demander quel dessein sert ce film si peu crédible et qui n’apporte en fait rien de nouveau. Les Israéliens, quant à eux, ont dépassé le stade de ce genre de production.


Amnon Kapeliouk.



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(1) Le mot « Tsahal » est formé des initiales en hébreu du nom officiel de l’armée de défense d’Israël. Le deuxième mot, « défense » — haganah, en hébreu –, fut le nom donné aux forces militaires clandestines de la communauté juive en Palestine à l’époque du mandat britannique. La droite possédait à cette époque-là deux petites formations dissidentes, l’Irgoun de Menahem Begin et le groupe Stern (LEHI), qui pratiquaient le terrorisme contre les Anglais et les Arabes palestiniens. Après la création de l’Etat d’Israël, Begin a préféré, pendant plusieurs années, utiliser le terme « armée d’Israël » et non « Tsahal » à cause de l’allusion à la haganah dans le nom officiel.

(2) Dans le quotidien Libération du 9 septembre 1994, Olivier Séguret qualifie le film d’« occasion manquée ».

(3) Dans un rapport adressé au secrétaire général de l’ONU le 21 octobre 1994, le commandant de la Force intérimaire des Nations unies au Liban a attiré l’attention sur l’emploi par Israël, dans le sud du Liban, d’obus antipersonnel, dits « obus à fléchettes », armes interdites par la quatrième convention de Genève (cf. Le Monde, 25 octobre 1994).




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