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L’Occident et sa bonne parole. Nos représentations du monde de l’Europe...
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18 février 2006 10:57
« D’où parlez-vous ? ». Ainsi les étudiants de mai 1968 apostrophaient-ils leurs professeurs pour discréditer leurs enseignements. La même question pourrait être posée aux États-Unis qui, maîtres du discours géopolitique dominant, ont fait depuis le 11 septembre 2001 de la « guerre contre la terreur » l’alpha et l’oméga des relations internationales (depuis l’été 2005 ils lui préfèrent l’expression de « lutte mondiale contre l’extrémisme violent »). Karoline Postel-Vinay, spécialiste reconnue de l’Extrême-Orient, se défend de remettre en cause les valeurs sur lesquelles ce discours repose : « Femme et intellectuelle, je ne peux pas sérieusement proposer que mes droits soient défendus par toute autre nation que celles qui règnent, en ce début du XXIe siècle, sur la scène internationale » (p. 19) (un ouvrier de sexe masculin ne défendrait-il pas lui aussi le même point de vue ?). Elle critique plutôt l’ethnocentrisme maladroit avec lequel ces valeurs sont défendues.


K. Postel-Vinay montre, dans une première partie, que « l’écriture du monde » est un projet moderne. C’est seulement à la fin du XIXe siècle, avec l’expansion coloniale, que s’ébauche en Europe une vision globale du monde. Les régions périphériques y sont intégrées de gré (Japon) ou de force (Chine), alors même qu’elles avaient développé, à leur échelle, leur propre « cosmologie locale » (p. 40). Il n’est pas anodin que ce discours ait été porté par des géographes qui, confrontés à la fin de l’espace « vide » (l’expression est de l’historien contemporain Stephen Kern), ressentent le besoin de penser le monde et sa globalité en posant les prémices de la Geopolitik. La carte du monde que l’Europe dessine est un damier multicolore d’États souverains dont la grammaire est toujours la même 120 ans plus tard, la multiplication de ces entités théoriquement souveraines n’y ayant rien changé. C’est de cette époque que date la division de la planète en sept continents , qui est tout sauf incontestable, comme l’atteste le débat très actuel sur les frontières de l’Europe.


K. Postel-Vinay démontre dans une deuxième partie comment le même discours géopolitique a continué à prospérer durant le XXe siècle. La « Première Guerre mondiale » constitue un joli exemple de discours européo-centriste (même si elle fut longtemps désignée en Europe même comme la Grande Guerre). Qu’avait de mondial ce conflit où l’Afrique, l’Asie et l’Amérique latine furent si peu impliquées et n’avaient en tout état de cause pas leur mot à dire ? La Seconde Guerre mondiale fut peut-être plus globale que la première : elle causa plus de victimes sur le front soviétique ou dans le Pacifique que dans la « vieille Europe ». Mais on l’appelle « Grande Guerre patriotique » en URSS et « Guerre de résistance contre le Japon » en Chine, ce qui reflète d’autres perceptions géopolitiques.


Ce qui a changé au cours du XXe siècle, c’est l’origine de ce discours. Les États-Unis ont remplacé l’Europe à la source de cette idéologie géopolitique. Et aucun « contre-récit » (chapitre 6) n’a offert d’alternative durable à ce discours dominant. Pendant tout le XXe siècle, l’orchestre des nations a toujours joué selon un tempo occidental. Jamais le discours des non-alignés n’est parvenu à prendre le pas sur celui de la Guerre froide, expression forgée par George Orwell et popularisée par Walter Lippman. Même le discours altermondialiste, qui préconise une gestion différente de la mondialisation, ne constitue pas à proprement parler un « contre-récit » géopolitique face au discours mondialiste dominant depuis les années 1980.


Après la Guerre froide et une dizaine d’années de flottement, le 11 septembre a semblé redonner un sens à la scène internationale. C’est l’objet de la dernière partie du livre. Les États-Unis se sont retrouvés un ennemi et ont pu déclencher leur « guerre contre la terreur », présentée parfois comme une quatrième guerre mondiale (Eliot Cohen, Commentary, octobre 2001, repris notamment par Pascal Boniface, Vers la quatrième guerre mondiale ? Armand Colin, 2005). Forts de leur combat contre le fascisme et le communisme, les États-Unis sont persuadés que leur victoire passera par l’exportation de leurs valeurs et l’américanisation de leurs ennemis. Rien n’est pourtant moins sûr. Et les apories de la guerre en Iraq laissent planer la menace d’un monde « discontinu ».

Yves Gounin
La liberté des autres étend la mienne à l'infini.
 
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