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L’entreprise métanationale, rouage majeur de l’économie des savoirs
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7 octobre 2008 18:02
INTEL, entreprise américaine emblématique et géant des microprocesseurs, a été sauvé par Israël. Il y a quelques années, le microprocesseur Centrino, clé de voûte de l’offre d’Intel, a été développé à Haïfa, par des ingénieurs venus de Russie et des spécialistes israéliens des technologies de communication. Alors que les chercheurs américains se perdaient dans des programmes ambitieux mais irréalistes– dont le processeur Itanium développé en collaboration avec Hewlett Packard– le centre de recherche et développement israélien sauvait tranquillement l’entreprise.

Schneider Electric combine, lui, des compétences ancrées en Amérique du Nord, en Nouvelle-Zélande, en France, en Allemagne et en Inde en association avec l’expertise de Toshiba au Japon, pour développer des équipements industriels.Ces multinationales d’un type nouveau– des « métanationales » (au-delà des frontières mais pas au-dessus des Etats) – exploitent la dispersion croissante des
connaissances à travers le monde. Elles ne vont pas en Inde comme beaucoup d’entreprises dans l’espoir (vite déçu) d’y trouver des coûts de main-d’oeuvre scientifique très bas, mais à Bangalore, capitale de
l’industrie aéronautique et nucléaire indienne– avant de devenir celle des technologies de l’information –, où travaillent les meilleurs mathématiciens au monde.
De même Intel trouve maintenant en Israël les anciens chercheurs et ingénieursde l’appareil militaire soviétique, qui y ont émigré. Pour les métanationales, le monde est tout sauf plat ! C’est un vaste
réseau ponctué, ici et là, de noeudsde compétences exceptionnelles, sur lesquelles concentrer ses efforts. Novartis, le géant suisse de la pharmacie, a implanté son principal centre de recherche – outre le site historique de Bâle – en plein coeur du Massachusetts Institute of Technology, au sein de la bouillonnante communauté des technologies médicales et des biotechnologies.

Face à cette redistribution mondiale des cartes, la réponse des entreprises françaises a été souvent tardive, partielle et maladroite.

Pour un projet réussi, comme celui de Schneider, combien d’opportunités manquées ?Comme d’autres, les Japonais par exemple, nous portons un lourd héritage national. La vaste majorité des entreprises françaises mènent encore leurs activités de recherche et de développement en France. Outre la non-maîtrise de l’anglais, une certaine arrogance culturelle explique, entre autres, le retard français.
Lorsque nos entreprises ont fini par investir en Inde ou en Chine, la peur des tensions sociales en France et la réticence des chercheurs français à associer leurs homologues indiens ou chinois à des projets avancés dans un rôle qui ne soit pas simplement celui de sous-traitant, a conduit à une spirale d’échec : n’ont été attirés et gardés que les moins compétents des ingénieurs scientifiques locaux,
à qui il fut confié des travaux secondaires et peu exigeants, les confinant dans un
rôle marginal. Ce manque de compétences en gestion de projets internationaux, au lieu d’être diagnostiqué comme tel, a été interprété comme un coût intrinsèquement supérieur, lié à la dispersion et à la coordination. Ce diagnostic a parfois conduit à un repli frileux sur l’Hexagone.
En outre la performance réelle des « antennes » de captation des connaissances et de repérage des compétences déployées dans la Silicon Valley il y a vingt ans (en Chine aujourd’hui) a souvent
été difficile à mesurer. Dans certains cas, ce déficit d’évaluation a conduit, comme pour beaucoup d’autres entreprises européennes, à replier ces antennes avant qu’elles n’aient pu démontrer leur apport de compétences. Bien sûr, les coûts de repérage, d’accès, d’intégration et de fusion de connaissances
dispersées et disparates, détenues dans des communautés scientifiques et industrielles lointaines, ne sont pas nuls.

Certaines entreprises peuvent donc conclure, à juste titre, que le jeu n’en vaut pas la chandelle. Mais dans un monde où la dispersion croissante des connaissances et des applications les plus avancées –
qui, bien souvent, ne se situent plus en Europe, au Japon ou en Amérique du Nord, mais dans des pays émergents – est une réalité d’importance grandissante, n’est-ce pas là compromettre de façon
peut-être irréversible la compétitivité de demain ?


Yves Doz est professeur de management à
l’Insead
 
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