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Juba, le mythe du sniper irakien
a
23 novembre 2006 12:59
LE MONDE | 22.11.06





A quoi pensait-il ce jeune GI derrière la visière transparente de son casque ? Etait-il heureux d'avoir quitté sa Californie ou son Texas natal ? Satisfait de se trouver là, sous un beau soleil d'automne, en plein coeur d'une ville en fièvre nommée Bagdad ? Comptait-il plutôt avec angoisse les jours qui le séparaient de la quille ? Avait-il peur de mourir ? Avait-il jamais tué quiconque avec cette grosse mitrailleuse qu'il empoignait ce jour-là dans la tourelle de son blindé ?



A 200 mètres de là, de l'autre côté du grand carrefour, Juba l'Irakien ne se posait sans doute pas ces questions. Allongé sur un matelas à l'intérieur d'un minibus aux vitres teintées, Juba était là pour tuer. L'oeil vissé à son viseur, la respiration lente, il prenait son temps, étudiait le vent qui s'engouffrait dans les feuillages d'un eucalyptus, corrigeait sa visée en fonction, cherchait sa cible, le meilleur angle de tir pour son fusil à lunette.

Le viseur du Dragonov de fabrication russe qu'il soignait comme un trésor passait d'une cible potentielle à l'autre. Elles étaient quatre. Serait-ce ce soldat harnaché comme un templier des temps modernes qui s'éloignait du blindé, s'approchait du trottoir, observait une à une les voitures qui passaient lentement devant lui dans le grand charivari urbain ? Ou bien cet autre, là derrière, les mains crispées sur son fusil d'assaut, qui dévisageait les passants d'un oeil soupçonneux, tandis qu'eux-mêmes le contournaient sans le regarder, s'efforçant de l'ignorer et poursuivant leur chemin ?

Juba n'a pas droit à l'erreur. Une seule balle doit être tirée, une seule. C'est une règle de survie. Ensuite, comme à l'accoutumée, il faudra dégager, doucement, sans se presser, et sans attirer l'attention, se perdre dans le grand flot mécanique. La caméra qui tient toute la scène dans son collimateur zoome alternativement sur chacun des soldats. L'objectif s'arrête un instant sur le servant de la mitrailleuse. Est-ce lui le maillon faible ?

Sur le trottoir, les soldats marchent, s'arrêtent, font demi-tour, repartent. Lui, le mitrailleur, est coincé dans sa tourelle. Statique par nature. Impossible de deviner ses traits. Trop loin. On n'aperçoit que sa tête casquée, ses bras, le haut du torse. Le zoom repart, revient, s'arrête définitivement sur lui. Son destin est tranché. Un claquement sec, une éphémère volute de fumée qui s'échappe de son casque, les bras qui se lèvent dans un ultime spasme, l'homme s'effondre comme une poupée de chiffon derrière son blindage. La balle, calibre 7,62, lui a fracassé la tête.

Distribué fin octobre à la sortie des mosquées avec les friandises traditionnelles des fêtes de l'Aïd qui marquent la fin du ramadan, la mort du GI enregistrée sur un DVD dont Le Monde s'est procuré une copie est devenue un véritable "hit", le "must" d'une jeunesse irakienne désemparée par la guerre, aux trois quarts sans travail, totalement désoeuvrée. Les bons jours, moins d'un tiers des étudiants de la ville ose encore se rendre à des cours le plus souvent désertés par des enseignants qui fuient le pays en masse. Il y a maintenant près de quatre ans que les cinémas, les théâtres et les salles de jeu de la capitale ont fermé leurs portes. De toute façon, avec le couvre-feu qui commence chaque soir à 20 heures, il n'y a plus que la télé, les centaines de chaînes satellites qu'on peut désormais capter. Et l'Internet. Sous la dictature de Saddam Hussein, tout cela était interdit. Merci l'Amérique...

Grâce à elle, outre les enregistrements offerts et échangés sous le manteau, le mythe de Juba est un immense succès en ligne. Les "exploits" du franc-tireur ont été vus par au moins 35 000 Irakiens sur les sites appropriés. Pour les garçons et filles qui se bousculent dans les cafés Internet ouverts un peu partout depuis l'invasion d'avril 2003, Juba est devenu un héros, peut-être le seul de cette épouvantable période. Entre 100 000 et 650 000 Irakiens - nul ne sait précisément, les estimations s'envolent - ont perdu la vie depuis près de quatre ans. Près de 2 millions d'autres, les élites surtout, ont abandonné leur pays pour se réfugier ailleurs.

Un pays qui vit au moins deux guerres simultanées, celle menée par, au bas mot, 20 000 "insurgés" contre l'occupation militaire étrangère et celle qui oppose les milliers de gangsters et de miliciens affiliés aux diverses formations politico-religieuses en lutte pour le contrôle d'une parcelle de pouvoir. Les Arabes chiites et sunnites irakiens ont des visions diamétralement opposées de la situation politique. Les assassinats sectaires, les enlèvements collectifs et les attentats aveugles qui tuent chaque jour des dizaines de civils et de policiers irakiens terrorisent à peu près tout le monde et ne sont ouvertement soutenus par personne. Qui pourrait applaudir pareille boucherie qui sature les cimetières ?

A en croire les sondages, dont les conclusions se reflètent largement dans les conversations qu'on peut encore avoir à Bagdad avec des Irakiens "ordinaires" de toutes confessions, le seul dénominateur commun entre les deux grandes communautés arabes du pays est la détestation de "l'occupant". D'où l'indiscutable succès de "Juba le sniper" qui lui, comme le souligne gravement Taher M., un jeune Bagdadi de 21 ans, "ne tue que des infidèles". "Dans le carnage ambiant, explique un ami sociologue, les actions de Juba paraissent au moins dans la norme des guerres."

Qui est ce mystérieux "Zorro arabe" qui laisse presque à chaque fois sur les lieux un papier ou un graffiti de deux lignes disant à peu près que "ce qui a été pris par le sang ne peut être repris que dans le sang" ? A la vérité, nul n'en sait trop rien. "C'est une légende urbaine fabriquée par la propagande terroriste via un habile montage de séquences qui mettent probablement en scène plusieurs snipers", explique-t-on au quartier général américain à Bagdad. Peut-être.

Une seule chose est sûre, le ou les tireurs semblent bel et bien appartenir à un même groupe armé, dénommé "Armée islamique en Irak", une organisation clandestine formée dès l'été 2003 et essentiellement constituée, semble-t-il, de nationalistes irakiens sunnites plutôt proches des Frères musulmans. N'appartenant pas à la mouvance d'Al-Qaida en Irak - l'Armée avait par exemple appelé à voter en 2005 contre la nouvelle Constitution irakienne, alors que l'organisation fondée par Oussama Ben Laden juge l'exercice du vote "non islamique par nature" -, l'objectif annoncé de "Jaish-al-Islami", son nom en arabe, est d'expulser toutes les forces étrangères de l'ancienne Mésopotamie.


Il y a quelques mois, un premier film de treize minutes de propagande estampillé de la même "armée" avait été distribué dans les mosquées. Les images étaient souvent floues et d'assez mauvaise qualité. Dans le second film de quinze minutes, intitulé "Juba, le sniper de Bagdad, 2e partie", les images sont nettes, le son et le montage techniquement de bonne qualité. Outre de nouvelles scènes de tir au but sur des soldats, y apparaissent deux personnages assez massifs qui pourraient n'être qu'un seul et même homme.


Filmé dans une pièce immaculée, le visage du premier est dissimulé sous une cagoule noire, façon GIGN. L'opérateur le montre poser un pistolet, un talkie-walkie et un fusil à lunette sur une table avant d'ajouter posément, au stylo feutre, une 37e petite barre sur un papier accroché au mur : son "tableau de chasse", suppose-t-on. On le voit ensuite transcrire quelques fortes paroles en arabe dans un cahier. Innovation qui montre bien que la cible de la propagande va bien au-delà des Irakiens, son texte est sous-titré en anglais. "Nous sommes la tempête qui détruit les soldats américains", écrit l'inconnu. "Nous sommes le feu qui ne dort ni ne se repose jamais." Un appel est lancé à "la nation musulmane", une sorte d'invitation à rejoindre la "résistance".

"Comment peut-on manger, boire et dormir quand nos fils, nos frères, sont parqués dans des prisons d'infidèles ? Abou Ghraib, Guantanamo, Afghanistan, Palestine... Que dira-t-on demain à Allah quand Il demandera ce que nous avons fait quand l'ennemi est entré sur nos terres, détruisant nos mosquées, violant notre honneur, insultant notre saint Coran ?" Et puis, en voix off, un sauvage "appel à la jeunesse musulmane : Ne leur montrez aucune pitié ! Tuez-les tous ! Ils ont détruit notre pays et notre bien-aimée Bagdad. Faites de leur vie un enfer !".

Plus posé, le second personnage porte un keffieh à damier rouge et blanc. Son visage est flouté. S'adressant à la caméra, il explique que "ce sont les Américains qui ont baptisé (les) francs-tireurs "Juba"". Présenté comme le "commandant des unités de tireurs d'élite de l'Armée islamique à Bagdad", l'homme affirme disposer d'un "nombre relativement important" d'as de la gâchette. "Il y a des centaines de Juba !", prétend-il. Il dit aussi que l'organisation a "développé son expertise", qu'elle a trouvé "de nouvelles méthodes pour transporter et cacher les snipers".

Il explique surtout qu'un livre leur est "très utile : il s'agit de The Ultimate Sniper, écrit par un ancien sniper des marines américains, le major John Plaster". Le Monde a vérifié. L'intéressé a non seulement actualisé son ouvrage - initialement publié en 1993 - pour "aider la guerre globale contre le terrorisme" en 2005, mais il dispose d'un site Internet où chacun peut acheter des DVD et des conseils pour "acquérir la bonne arme" et ne jamais "manquer sa cible".

Que pense le haut commandement militaire américain de cette fatale ironie ? Impossible de le savoir. La consigne, récente, est de ne plus commenter les "exploits" de Juba par crainte, nous explique-t-on, de susciter des vocations. L'idée de filmer les opérations et de diffuser les vidéos, confirme le "commandant" des snipers irakiens, "a été prise quand on s'est rendu compte que l'effondrement du soldat sous nos balles a bien plus d'impact sur l'ennemi qu'aucune arme". Guerre psychologique ? En réalité, les soldats savent pertinemment à quoi ils s'exposent quand ils circulent en zone urbaine. Les films servent surtout à accroître les chances de recrutement. "Nous savons, expliquait la semaine passée le capitaine de marines Glen Taylor au New York Times, que dans certaines villes de la province d'Al Anbar - principal bastion des insurgés sunnites -, des types circulent avec des haut-parleurs invitant les hommes à devenir sniper et leur offrant trois fois leur salaire actuel."

Sur les 2 860 GI tués en Irak depuis le début de l'expédition, plus d'un tiers sont morts dans des attaques souvent imprévisibles et indétectables à l'engin piégé. Mines dissimulées dans des sacs à ordures posés sur les routes et les boulevards empruntés par les convois militaires, dispositifs enterrés sous le macadam et déclenchés à distance par un guetteur, charrettes à bras, ânes et kamikazes saturés d'explosifs, etc. Les morts attribuées sans distinction à des "tirs d'armes de poing" par un site américain qui traque les pertes de l'US Army en Irak (www.icasualties.org) seraient autour de 270, dont 80 depuis janvier.

Combien ont été victimes des snipers ? Mystère. Selon le "département médias de l'Armée islamique" qui n'évoque à aucun moment les enlèvements suivis d'assassinats, notamment de journalistes étrangers, qui sont aussi une des méthodes moins glorieuses à laquelle elle a eu recours, 630 militaires américains auraient été tués par ses combattants depuis le début de l'invasion. Parmi eux, affirme-t-elle, 23 officiers et 11 snipers. Beaucoup pour un seul groupe. Trop pour un seul homme, fût-il nommé Juba ?

A la mi-août, un périodique américain spécialisé, Army Times, publia l'entretien d'un sniper militaire déployé à Bagdad. Le sergent Randal Davis, 25 ans, expliqua comment, après des heures d'attente, il parvint à loger une balle de son M14 dans la poitrine d'un "confrère" irakien. "Il y avait du sang partout sur le mur", expliqua le jeune soldat. Un autre sniper, le caporal Mike, 31 ans, commenta "la différence qu'il y a entre un professionnel et un maniaque de la gâchette". Puis il afficha son propre palmarès : "quatorze tués en Somalie, trois en Afghanistan, un en Irak". En ces temps de "guerre globale contre le terrorisme", l'industrie du "sniping" est une affaire qui marche...



Patrice Claude
c
23 novembre 2006 13:51
ça rappelle ce film de Jean-Jacques Annaud (Enemy at the gates) avec Jude Law et Rachel Weisz. Le fameux duel entre deux snipers mythiques.
a
23 novembre 2006 13:53
Pour moi Stalingrad
C
23 novembre 2006 13:56
Un peu romancé son article.smiling smiley
a
23 novembre 2006 14:06
Peut-être parceque c'est plus respectable que de tuer des civils.
c
23 novembre 2006 14:17
Citation
a écrit:
andi espoir
Peut-être parceque c'est plus respectable que de tuer des civils.

C'est vrai que c'est plus facile d'adhérer à Juba qu'à Zarqawi qui égorge un pauvre type ou à des malades qui explose une voiture piégée près d'un marché à l'heure d'affluence. La guerre psychologique est un des piliers d'une résistance, si elle est bien présentée, elle inclut l'adhésion de la population, ce que ne font pas les malades islamistes.

J'aime bien ce/ces Juba, c'est pas bête comme idéesmiling smiley
Mais le Dragunov est trop bruyant, ils devraient opter pour le Walther Wa-2000, plus cher mais plus précis et avec un silencieux que l'on peut ajouter.



Modifié 1 fois. Dernière modification le 23/11/06 14:22 par chelhman.
23 novembre 2006 14:23
Citation
chelhman a écrit:
Mais le Dragunov est trop bruyant, ils devraient opter pour le Walther Wa-2000, plus cher mais plus précis et avec un silencieux que l'on peut ajouter.


Hitman ? smiling smiley
"Avec un H majuscule"
c
23 novembre 2006 14:26
Citation
a écrit:
Hamid
Hitman ? smiling smiley

Affirmatif 47 !smiling smiley
V
23 novembre 2006 15:27
Citation
chelhman a écrit:
Mais le Dragunov est trop bruyant, ils devraient opter pour le Walther Wa-2000, plus cher mais plus précis et avec un silencieux que l'on peut ajouter.

le silencieux est la hantise de tout tireur délité , ca ralentit la balle et et ca la devie de ca trajectoire, c'est pour ca que la plupart des tireurs d'elite ne l'utilise pas, ils préférent tirer une seule balle quitte à faire du bruit

quand à ta comparaison entre le dargunov et le walther, c'est pas tout à fait faux, mais c pas tout à fait vrai non plus, prend ces deux fusils , roule les dans un bain de boue, mets les au beau milieu d'une tempéte de sable , jette les dans une marre d'eau ; ensuite sors les et tire avec ........ là tu changera d'avis sur le dragunov, et c'est ca qui fait la force des armes russes .... SSAH ou Lamtana.

sinon , j'ai deja vu les videos de Juba , un vrai bonheur ............



Modifié 2 fois. Dernière modification le 23/11/06 15:28 par Vador.
c
23 novembre 2006 15:41
Vador, tu as raison la comparaison sur le Dragunov est la même qu'avec un AK47 par exemple et d'autres armes de la même gamme, l'AK47 est increvable, les armes russes sont simples et costaudes.
Pour le sniper et le silencieux, tu remarqueras qu'il tire sur d'assez courtes distances, il y avait quelques articles dans "The Guardian" sur le premier Juba en 2005, les GIs estimait sa distance à une centaine de mètres donc dans ce cas l'usage du silencieux n'est pas très grave.
l
23 novembre 2006 16:37
mais non, vous n'y etes pas du tout. rien ne vaut un fr-f1.
C
23 novembre 2006 16:44
Avec toutes vos compétences et savoir-faire en matière d'armes,je ne doute pas que vous soyiez fichiés aux RG.Des fois que ça vous démangerait d'aller mettre en pratique vos connaissances balistiques en Irak notamment.smiling smiley
c
23 novembre 2006 16:44
l'européen, t'es en retard d'une génération, il y a le fr-F2, meilleur que le F1, le calibre a été changé en 7.62 (OTAN) au lieu de 7.5 Lebel pour le F1.
l
23 novembre 2006 16:52
pourtant, quand j'étais à l'armée en 90, les deux frf1 de ma compagnie était chambrés en 7,62. et les types faisaient de sarcés groupages avec ça. moi j'avais malheureusement juste une sulfateuse (le mat 49).
a
23 novembre 2006 19:15
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Modifié 3 fois. Dernière modification le 25/11/06 11:12 par lalla zouina.
 
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