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Irak : Le Plan Bush et la légende dorée de Saddam Hussein
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13 janvier 2007 16:37
Mardi 9 janvier 2007.

Alors que les Etats-Unis sont au faîte de leur puissance se profile la réalité du XXI e siècle : cette hyperpuissance ne peut pas gouverner le monde sauf à périr elle-même en entraînant le chaos universel. Il faut un monde pluraliste qui doit entamer le dialogue et respecter le droit à l’autodétermination des peuples. Respect de la maîtrise des ressources par chaque peuple, respect de leur législation propre, non ingérence, mais aussi effort de connaissance.

Sans négliger les autres dimensions économiques, politiques, sociales de ce respect des peuples, de leurs droits humains, je voudrais ici plaider pour la reconnaissance culturelle. Il ne saurait y avoir de géopolitique sans respect et connaissance des univers culturels différents. Ceci est vrai à cause de la montée en puissance de pays comme la Chine, l’Inde et peut-être d’un continent comme l’Amérique latine, ils imposent à l’Occident de fait un multilatéralisme qu’il n’a jamais pratiqué mais ils le font sur un plan économique et politique sans que l’on ait toujours conscience que derrière cette montée en puissance il y a des peuples, et que sans eux aucun empire ne résiste.

Au Moyen-orient, parce qu’il n’existe encore aucune issue politique nous sommes en train d’assister à une défaite de l’imperium : une défaite sans vainqueur.

Pour tenter de comprendre cette étrange situation il convient de considérer de deux événements récents qui montrent tous deux la faiblesse des puissants : l’exécution de Saddam Hussein et les réactions de l’opinion publique musulmane et l’impasse de Bush.

I) le divorce entre dirigeants et opinion :

Nous avons une légende dorée de Saddam Hussein qui est en train de se développer dans le monde musulman et plus le temps passera moins elle aura de rapports avec la réalité du pouvoir de Saddam Hussein. Le mythe naîtra sans doute d’une vidéo pirate, celle d’une exécution le jour de l’Aïd. La tradition orale, celle des cafés et des réunions de femme ira l’amplifiant, la légende parlera de la dignité de celui qui impose à ses bourreaux tremblant de haine et de peur la fin d’une histoire d’or et de sang, celui d’un calife, assassiné dans le décor sordide d’un abattoir monté par les occupants, l’armée étasunienne. Il y a aussi cette prière du croyant que l’on n’autorise même pas le condamné à achever, les insultes, la danse... Tout était mis en scène pour retomber sur la marionnette de Bagdad, y compris les cris « Moqtadar » des bourreaux... L’Iran y a mis du sien en se félicitant avec Israël et les Etats-Unis de cette exécution de vengeance qui niait la justice. Et pourtant dans le monde musulman ont été largement refusé cette interprétation des événements, la division entre Chiites et Sunnites pour mieux désigner les responsables : les envahisseurs, les Etats-Unis. Des voix se sont élevées dans le Maghreb en particulier pour dénoncer y compris les hypocrites discours sur la peine de mort de l’occident et des organisations humanitaires en expliquant que ces discours n’étaient que le moyen de faire peser l’opprobre sur les Chiites, alors que le gouvernement de Maliki n’était ni Chiite, ni Sunnite mais collaborateur. Saddam était la victime des Etats-Unis.

Certes cette vision politique créatrice d’unité et de perspective politique a toujours du mal à se frayer son chemin dans la réalité des pouvoirs dans le monde musulman et arabe. L’unité de ce monde a été mise à mal, l’Irak n’est pas le seul à être divisé, à chaque occasion, chaque particularité se tend au sein des Etats [1]. Une fois de plus les dirigeants arabes ont fait la preuve de leur pusillanimité et de leurs divisions. Quant à l’Iran on ne peut que s’interroger sur cette politique à courte vue qui joue sur la vengeance et ne peut que l’isoler alors que ce pays marquait des points dans son affrontement du monde occidental.

En fait l’exécution de Saddam Hussein a eu lieu alors qu’il était fait grand bruit d’un changement de stratégie nord-américaine. Des experts de la commission Baker-Hamilton ont laissé filtrer l’idée de faire appel à d’autres pays de la région et de se lancer dans une « approche globale », comme l’a indiqué le Premier ministre britannique, Tony Blair. Ce qui suppose une implication de l’Iran et de la Syrie pour jouer un rôle de stabilisation. Damas et Bagdad ont renoué la semaine de l’exécution de Saddam Hussein leurs relations diplomatiques rompues depuis plus de vingt-cinq ans. Le président irakien Jalal Talabani devait rencontrer Mahmoud Ahmadinejad à Téhéran, où pourrait les rejoindre leur homologue syrien, Bachar al-Assad, pour discuter de l’Irak. Les Etats-Unis ont fait miroiter ce grand revirement puisque si avec la Syrie, les Etats-Unis ont au moins des relations diplomatiques, avec l’Iran ce n’est plus le cas depuis 1980. De plus, les Etats-Unis exigent toujours de Téhéran l’abandon de ses projets nucléaires pour ouvrir un dialogue. A moins que l’urgence de la situation en Irak n’oblige Washington et Téhéran à effectuer un rapprochement. Henry Kissinger, l’ancien conseiller du président Nixon pendant la guerre du Vietnam, a récemment évoqué l’idée de l’organisation d’une grande conférence internationale autour de l’Irak non seulement avec les grandes puissances, les membres permanents du Conseil de Sécurité (Etats-Unis, Russie, Chine, Grande-Bretagne, France), mais aussi avec l’Inde, le Pakistan et les voisins de l’Irak, y compris l’Iran. Ce qui serait bien une révolution dans les relations géostratégiques... mais, cette fois-ci, vers un monde multilatéral. Avec l’éternelle carotte de deux Etats Palestinien et israélien...

Mais selon la bonne vieille tradition, celle pratiquée par henry Kissinger durant les négociations au Viet-Nam, tandis que l’on négocie la paix, de nouvelles relations pacifiés, on continue à bombarder le Cambodge, à exaspérer les conflits entre ce pays et le Viet-Nam. L’éxecution de Saddam Hussein était destinée à produire de la division au moment même où l’on feint un nouveau "réalisme".

L’annonce du nouveau plan stratégique de G.W.Bush devra confirmer la montée en puissance de la diplomatie et des « connaisseurs » du monde arabe sur les idéologues. Cependant et la rue arabe ne s’y trompe pas la grande leçon laissée par Saddam Hussein est que nul ne peut faire confiance aux Etats-Unis.

2) L’opinion publique et la légende dorée de Saddam Hussein :

C’est du moins la leçon qu’en a retenu l’opinion publique musulmane qui semble de plus en plus critique sur ses dirigeants, sur leur aboulie et leur soumission..

C’est donc sur des valeurs communes plus que sur les divisions sur lesquelles tablaient les Etats-Unis qu’a été vécu l’exécution de Saddam Hussein. Quelles sont ces valeurs ? Celles sur lesquelles est en train de se construire la légende dorée de Saddam ?

Sans tomber dans le relativisme culturel tous ceux qui ont approché le monde arabe et plus généralement celui du Moyen Orient savent qu’il existe des valeurs pre-islamistes : sensibilité extrême en particulier à la beauté, à l’honneur aux lois de l’hospitalité. L’exécution du Président légitime, les circonstances autant que son déroulement tout cela aboutit à une intense humiliation qu’a sauvé l’attitude du condamné devenu un nouveau Saladin le grand sultan du XII e siècle plus encore qu’un martyr, il a sauvé l’honneur. Il y a des traits communs : Saladin non seulement est né à Tikrit, est un usurpateur du pouvoir légitime, mais son histoire dépend de conditions historiques assez proches : le monde musulman s’effondre en des entités hostiles qu’il va tenter d’unifier sous domination arabe sunnite et surtout il va chasser les croisés. Le brutal Saddam, le laïc Saddam n’a rien à voir avec le roi chevalier inspiré par le Coran et pourtant il s’en rapproche à la fin de sa vie, s’identifie à lui.

Ainsi les avocats de Saddam Hussein parlent et racontent ses derniers instants : l’un d’eux l’Egyptien Mahmoud Al Mounib est intervenu lors d’un rassemblement de recueillement vendredi au Caire, vendredi 7 janvier 2007, réunion retransmise par la chaîne Al Jazira, Mubashir. L’avocat a décrit le prisonnier comme un homme vertueux, ne cultivant guère de haine y compris vis-à-vis de ses anciens « ennemis » arabes, refusant le principe même d’une demande de grâce que lui ont proposée ses avocats, et même l’idée, suggérée par l’avocat américain Ramzy Clark, de recourir à la justice américaine autorisant, selon lui, une possibilité de rejuger Saddam Hussein aux Etats-Unis, au motif qu’il est sous responsabilité américaine. Saddam Hussein non seulement n’attendait rien de sa survie mais ne voulait rien demander aux Etats-Unis. Cela tranche singulièrement sur la manière dont le rais de Bagdad a tout au long de sa vie fait confiance aux Etats-Unis, croyant s’attirer leurs bonnes grâces pour la construction de son empire arabe en anéantissant leurs ennemis communs. L’homme que chacun s’est employé à décrire comme cruel et rusé n’était dans le fond qu’un paysan croyant en la parole donnée et c’est ce qu’il a payé. L’opinion publique musulmane a suivi les étapes de la duplicité occidentale et en retire une méfiance instinctive, une volonté de repliement comparable à celle que l’on peut voir chez les auteurs d’attentat tous occidentalisés et brisés devant la découverte de ce monde. Le terrorisme est bien la création du monde occidental, des Etats-Unis l’Etat terroriste par excellence, celui qui fait non seulement fi de la légalité, mais de la parole donnée.

Al Mounib, l’avocat égyptien, qui a été présent lors de l’exécution qu’il appelle le « sacrifice suprême » de ce jour de l’Aïd, a décrit avec émotion l’attitude de Saddam devant ses bourreaux qui, selon lui, « évitèrent que leurs yeux puissent se croiser avec ses yeux. » Moment fort de sa confession, (aussitôt censuré lors des rediffusions suivantes), l’avocat a répété ce que lui aurait confié le Président irakien sur les circonstances de sa « capture » par les forces d’occupation, annoncée publiquement le 14 décembre 2003. Saddam n’avait pas été, selon l’orateur, tiré d’un trou comme l’ont montré des images de l’Administration américaine en Irak, mais a été drogué et vendu par un de ses amis du parti. « Cela s’est passé lors de sa rencontre avec ce dernier, chez lui, dans une province où Saddam s’était réfugié suite à la prise de Bagdad. Après le déjeuner, Saddam s’est isolé dans une pièce annexée à la maison (utilisée comme étable) pour un petit somme, dont il ne se réveillera que quinze jours plus tard, pour se retrouver dans l’état affreux, à la limite de la dégénérescence physique, que tout le monde a vu à la télévision. » Pour l’orateur, cette histoire de trou n’est qu’un pur montage des services américains destiné à humilier le captif. Pour lui, il n’est pas exclu aussi que Saddam ait pu être transféré à l’étranger.

Nous avons ici un autre élément de la légende dorée, la trahison. A qui faut-il ajouter foi : « Après avoir vu l’homme sur le gibet, on ne pourrait que prêter foi à tout ce que son avocat rapporte de lui. Saddam incarne désormais la vérité. », voilà ce que pense l’opinion publique.

Autre élément de la légende dorée : un autre avocat, Me Ahmed Seddik, qui l’a rencontré seize fois, dans un entretien à l’Associated Press a rapporté qu’il avait adressé un message chaleureux à sa fille Radjah [2] et qu’il avait écrit un poème d’amour à sa première femme Sadjida [3] : « Mon cœur est encore tendre et je suis toujours capable d’aimer, d’être sentimental et attentionné » Il tient le Coran sur son coeur, livre de tous les musulmans mais livre de beauté et de poèsie, comme il écrit des poèmes d’amour.

Selon l’avocat tunisien, le président irakien déchu a semblé ne pas vouloir donner l’impression de faiblir face à l’échéance fatale qui l’attendait. « Ne vous inquiétez pas, je suis préparé au pire depuis le premier jour de mon arrestation », leur a-t-il déclaré, selon Me Seddik, en affirmant que « ce sera la plus belle fin que je puisse avoir ».

L’avocat rapporte par ailleurs que Saddam Hussein aurait fait part de son appréhension et de son inquiétude au sujet des dissensions religieuses en Irak. Selon lui, sa plus grande crainte concernait les sunnites dont il voulait qu’ils ne tombent pas dans le piège de la division, leur recommandant de se comporter selon le principe que tout citoyen irakien est partie intégrante de la patrie.

Notre monde, la France en particulier se pare volontiers de ses vertus laïques, qui ne sont bien souvent qu’anti-cléricales, sans vouloir comprendre de quoi était fait le refuge dans le religieux de ce monde humilié, réprimé. Le fait que tous les auteurs d’attentat étaient des gens « intégrés » par les diplômes, les modes de vie à ce monde occidental est qu’ils ont vécu à un moment ce point de rupture d’un idéal trahi, d’une injustice terrible dans la dépossession combinée avec une exacerbation de la perception de la beauté et de l’honneur sans laquelle on ne comprend pas le repliement religieux, voire les comportements limites du sacrifice de soi. [4]

Nous Français qui avons perdu la guerre d’Algérie et qui, en la perdant, avons durablement influé sur notre destin national sans jamais oser explorer notre passé, pouvons nous admettre que ce qui se passe en Irak est un combat totalement inégal entre la superpuissance, l’hyperpuissance militaire nord-américaine et l’esprit des peuples ? Si l’on raisonne en terme militaire (« le pape combien de division ? »), le combat est disproportionné, mais si l’on admet l’existence dans l’histoire de temporalités et d’affrontements divers qui finissent par déboucher sur la boucherie d’Andrinople [5], il serait temps d’envisager une autre conception de la politique.

Toutes nos catégories occidentales de démocratie, de droits de l’homme valent peu face à cela. Cette Algérienne qui refuse de manger et se défenestre devant l’exécution représente cet état d’esprit, elle n’aime pas particulièrement Saddam Hussein, elle considère l’enfer dans lequel sont plongés les musulmans puisqu’on peut traiter ainsi un de leurs présidents légitimes, le monde a perdu tout sens, elle le quitte. Le monde arabe est machiste l’a-t-on assez dit et redit, mais en Algérie en particulier c’est la femme qui en garde l’honneur.

Si les intellectuels, y compris ceux qui comme les avocats tunisiens protestent contre les conditions du procès autant et plus que contre les conditions de l’exécution [6], en général ces intellectuels occidentalisés le font dans des catégories qui nous sont proches, ils se croient obligés comme nous le faisons nous-mêmes de dire à quel point la tyrannie de Saddam était haïssable, mais l’homme et la femme de la rue ont commencé à écrire la légende dorée de Saddam.

3) Saddam a gagné.

Saddam Hussein a gagné et tous les récits qui nous parviennent de ses derniers instants confirment sa volonté politique, il aurait même affirmé que non seulement il était prêt au pire mais que son exécution était la meilleure chose qui pouvait lui arriver. Le moins que l’on puisse dire est qu’il a réussi sa sortie.

Il laisse empêtré G.W.Bush qui va réclamer au Congrès démocrate une rallonge pour l’Irak, pour quoi faire ? Trente ans après la fin de la guerre du Viet-Nam, il semble que les leçons n’aient pas été tirées. On se souvient en effet qu’au Viet-Nam on avait assisté à la fois à la fiction d’un gouvernement autochtone pure créature des Etats-unis combiné à une augmentation graduelle de soldats (jusqu’à 500.000) jusqu’à ce que l’armée nord américaine soit obligée de partir après la prise de Saïgon. Il est vrai qu’au Viet-Nam il y avait l’unité du peuple et du commandement, la situation irakienne et celle de la région est infiniment plus complexe.

Certains des conseillers de G.W.Bush n’ont visiblement pas compris. Deux des chefs de files des néo-conservateurs Robert Kagan et William Kristol, suggéraient dans leFinancial Times ainsi d’augmenter les effectifs d’au moins 50.000 militaires pour nettoyer Bagdad sans faire appel à des soldats d’autres régions. Cela porterait le nombre des soldats à 200.000. Cette année, les dépenses budgétaires consacrées à la guerre devraient atteindre 94 milliards de dollars, contre 48 milliards en 2003, ce qui dépasse le coût annuel de la guerre du Vietnam (61 milliards en dollars constants), notait Avis Bohlen, ancienne diplomate et professeur à Washington, dans un article publié par l’un des centres de recherche de Washington, le Stimson Center. Si les démocrates majoritaires au Congrès ne peuvent pas empêcher le président de mener une politique guerrière, ils peuvent influer sur le budget et mener un harcèlement des responsables en les convoquant à des commissions où ils doivent s’expliquer. Le véritable enjeu entre le Congrès et le président étant in fine de se positionner favorablement pour les prochaines élections présidentielles.

Donc George W. Bush, dans cette situation, ne va pas retirer les troupes américaines, comme certains démocrates l’ont souhaité, ni, non plus, d’augmenter en masse leur nombre pour régler définitivement la question de la sécurité comme le souhaiteraient les bellicistes néo-conservateurs, ne serait-ce que parce qu’il est peu vraisemblable qu’un congrès démocrate vote une augmentation massive des crédits alors même que les démocrate réclament que soient réglés les problèmes intérieurs économiques et sociaux.

On ne peut pas non plus envisager un retrait d’Irak progressif et dont la date proche (cinq ou six mois) serait fixée, le président va tout faire pour l’éviter, en espérant simplement corriger les aspects catastrophiques de sa politique, d’abord un retrait ne pourrait être que comme celui de Saigon il y a trente ans une défaite en rase campagne après 3000 morts nord-américains officiels et sans doute beaucoup plus, sans parler des centaines de milliers d’Irakiens civils morts. Un autre aspect des effets visibles de la politique nord-américaine en Irak est d’avoir renforcé l’ennemi de toujours l’Iran en ayant accéléré la partition de l’Irak.

Pour soutenir ce gouvernement dont il a voulu se démarquer en expliquant que c’est Maliki et les Chiites qui ont monté cette mauvaise mise en scène et que, comme l’expliquait le général Cadwell dans une conférence de presse à Bagdad, les Etats-Unis s’y seraient mieux pris ? Il était difficile pourtant de surveiller de plus près l’affaire vu que non seulement l’armée nord-américaine non seulement a détenu Saddam jusqu’à la dernière minute mais a transporté par hélicoptère les participants dans un lieu sous sa juridiction. Mais même si l’on croyait ces excuses embarrassées, politiquement elles entraîneraient des interrogations supplémentaires : ce gouvernement apeuré qui exige des Etats-Unis que l’on exécute le plus vite possible Saddam Hussein, y compris le jour le plus malencontreux, dans des conditions qu’il ne maîtrise pas, parce il a peur que des partisans de Saddam l’enlève, a témoigné de son peu de fiabilité. Est-il raisonnable d’offrir encore plus de soldats nord-américains, encore plus de blessés au soutien d’un tel pouvoir ?

C’est la question que pose le new York Times à la veille de l’intervention de G.W.Bush sur l’Irak. L’une des idées qui est envisagée serait d’accroître provisoirement de 10.000 à 20.000 le nombre de soldats pour stabiliser l’Irak et permettre ainsi ensuite une nette réduction du déploiement américain à 60.000, contre 140.000 environ actuellement. Mais toute hypothèse d’une forte réduction ou d’un départ repose largement sur l’idée de former une armée et une police irakiennes capables de se substituer peu à peu aux forces américaines. Or, comme le notait lors d’un récent passage à Paris Stuart Bowen, inspecteur général en Irak, qui y a déjà effectué 14 missions depuis 2004, même si des progrès ont été réalisés avec la formation de quelque 132.000 personnels de l’armée et 180.000 des corps de police, on est encore loin de forces nationales opérationnelles capables d’assurer la sécurité. Cet objectif, soulignent des experts, est rendu difficile aussi par l’infiltration dans les nouvelles forces irakiennes de combattants chiites ou d’insurgés Sunnites.

On mesure comment les annonces d’un changement de politique en Irak sont actuellement hypothéquées et combien l’exécution de Saddam Hussein a encore compliqué les problèmes, éloigné toute solution. Il ne resterait plus à un pouvoir conscient de la situation qu’à considérer la défaite, en tirer la leçon avant qu’il y ait encore et toujours plus de morts.

Les dirigeants occidentaux, européens en particulier, qui ont versé des larmes hypocrites sur la peine de mort et qui se taisent sur cette invasion catastrophique, une véritable hécatombe se sont une fois de plus déshonorés et ont témoigné de leur lâcheté face aux Etats-Unis. Quant à Saddam qui a été officiellement exécuté pour avoir fait tuer une centaine d’Irakiens on ne peut s’empêcher de penser que le gouvernement Bush en est presque à ce chiffre PAR JOUR. Et c’est parce que ce deux poids, deux mesures est insupportable que la légende dorée de Saddam Hussein a commencé dans le monde musulman, dans la rue, dans une opinion publique gorgée d’humiliation et qui en veut autant au gouvernement de l’Irak qu’aux dirigeants du monde arabe et musulman de ne pas affronter la pire des barbarie qui se puisse imaginer. Dans la rue arabe, une conviction absolue s’est répandue, selon laquelle il n’a jamais été question de démocratie en Irak. Et pourtant, gouvernants et rue arabe partagent ce même sentiment d’impuissance : ils ne peuvent influer sur les événements et sont contraints à louvoyer pour survivre. Sont-ils si éloignés de nos propres sentiments nous peuples du riche occident qui ne voyons pas plus d’issue ?

C’est là la plus grande humiliation : se sentir impuissant à influer sur son propre destin. Le paradoxe est que le seul auquel ils peuvent alors s’identifier est celui qui a accompli tant de crime mais qui est le seul à avoir conservé sa souveraineté, au moins dans la mort.

Danielle Bleitrach, sociologue.

[1] La division entre Sunnite et Chiite irakienne non seulement existe dans d’autres pays, en Arabie saoudite où les chiites tendent à être majoritaires et installés de surcroît sur les zones pétrolifères, on les retrouve jusqu’en Turquie, mais certains kabyles ont vu dans la manière dont les Arabes d’Algérie soutenaient Saddam une attaque des arabes contre eux berbères opprimés. La mosaïque du monde musulman ne cesse d’être tiraillée entre unité et division.

[2] Il y a une dimension esthétique dans l’éthique. J’en ai personnellement pris conscience très tôt à Grenade, en contemplant la perfection à échelle humaine de la civilisation maure comparée au palais de Charles Quint juste à côté, une œuvre pour des soudards brutaux. Le Coran, cela a été noté par tous les commentateurs est un livre de beauté avant d’être recueil de préceptes juridiques et d’interdits moraux. La 24e sourate (chapitre du Coran), dit que « Dieu est la lumière des cieux et de la terre. Sa Lumière est semblable à une niche où se trouve une lampe. La lampe est dans un verre pareil à un astre étincelant qui s’allume grâce à un arbre béni : un olivier qui n’est ni de l’orient ni de l’occident et dont l’huile brillerait sans qu’un feu la touche ou peu s’en faut. Lumière sur Lumière. » Si l’on ajoute à cela cette revendication de l’honneur commune aux peuples pasteurs de la méditerranée on mesure bien, comme l’avait imaginé Aragon dans le fou d’Elsa, tout ce que notre propre conception de l’épique, du chevaleresque doit à cette civilisation.

[3] Il a une phrase assez hermétique sur le fait que sa fille est une « héroïne »... S’agit-il de l’un des mystères non élucidés sur la fortune de Saddam et sur son utilisation par la résistance ? N’oublions pas que sa fille qui a effectivement soutenu son père a néanmoins vu son époux exécuté par ce dernier. Toujours dans le même contexte, la mère première épouse de Saddam Hussein a été accusée d’avoir complotée contre ses fils.

[4] Il est vrai que c’est cette première épouse qui a engagé 20 légistes pour défendre son époux. Mais il serait intéressant toujours dans le cadre de la légende dorée de s’intéresser à sa seconde épouse. Là nous sommes dans l’histoire de David et Bethsabée, l’épouse enlevée au mari (en fait le dirigeant de l’iraqaiways), elle était chiite et ils ont semble-t-il un fils prénommé Ali (comme le beau-fils de Mohamet, seul calife légitime aux yeux des Chiites).On voit à quel point l’histoire personnelle de Saddam Hussein recèle des ressorts politico-romanesques encore inexplorés...

[5] Andrinople est le lieu d’une bataille terrible où les Goths écrasèrent l’empereur romain d’orient Valens dont on ne retrouva même pas le corps dans le charnier. Les Goths étaient des mercenaires humiliés par l’Empire qui leur refusait droit et citoyenneté, ils finirent par se retourner contre lui et l’écrasèrent en 378.

[6] Le procès de Saddam Hussein a été qualifié par Roland Dumas de « monstruosité juridique. "Comment penser que la Justice d¹un pays sous occupation étrangère puisse être indépendante, alors que les pressions américaines ont été la cause de la démission de Ziad al-Khasawneh, principal avocat de la défense (pour ne pas parler de la démission du juge Rizgar Amin), que deux autres avocats, Adil Al-Zoubeïdi et Saadoun Al-Djanabi, ont été assassinés au cours du procès, que beaucoup de témoins ne sont pas venus, « trop effrayés pour venir témoigner » ? Comment imaginer qu’un pays tellement peu souverain qu’il n’est pas même capable d’assurer la détention du prévenu (Saddam Hussein a été détenu par l’armée américaine jusqu’à son exécution) puisse être capable de le juger ? Comment admettre que l’ancien raïs ne soit condamné à mort « que » pour le massacre des 143 chiites de Doujaïl, alors qu’il avait à répondre de faits beaucoup plus graves ? Comment imaginer qu’un procès bâclé en quelques semaines (le premier procès, ouvert le 19 octobre 2005, avait prononcé un arrêt de mort le 19 juin 2006, le second, ouvert le 21 août 2006, avait prononcé un arrêt de mort le 5 novembre), puisse traiter sérieusement des chefs d’accusations aussi importants, alors même que le tribunal s’interdit par statut spécial de mettre en cause tout étranger, bien qu¹il soit évident que le chef d’Etat qu’était Saddam Hussein n’a pas mené sans supports internationaux les exactions pour lesquelles ce tribunal prétendait le juger
Tout a été fait pour installer un tribunal dont les juges ne seront pas indépendants, mais, au contraire, strictement contrôlés ; en parlant de contrôle, je veux dire que les organisateurs de ce tribunal doivent s’assurer que les Etats-Unis et les autres puissances occidentales ne seront pas mis en cause. Les statuts mêmes du tribunal feront en sorte que les Etats-Unis et les autres pays soient complètement écartés des accusations. Ce qui fera de ce procès un procès incomplet et injuste. Une vengeance du vainqueur. C’est ainsi que s’exprime Cherif Bassiouni, professeur à l’université De Paul de Chicago, rapporteur spécial à la sous-commission des droits de l’homme de l’Onu, président de la commission d’enquête sur les crimes de guerre dans l’ex-Yougoslavie "(cité par Michel Despratx et Barry Lando, Le Monde Diplomatique, novembre 2004)
 
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