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Irak : « Une faillite politique, militaire et morale », un entretien avec...
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23 mars 2006 17:14
Il y a tout juste trois ans, le 23 mars 2003, un déluge de bombes s’abattait sur Bagdad. Directeur de l’Iris*, Pascal Boniface tire le bilan de cette guerre américaine. Un bilan pour la population civile, les relations internationales, et les rapports entre le monde arabo-musulman et l’Occident.


Trois ans après le déclenchement de l’offensive américaine sur l’Irak, quel bilan tirez-vous de la guerre elle-même, et de l’occupation ? Pascal Boniface : Si l’on se souvient des trois motifs de cette guerre, le moins que l’on puisse dire, c’est que le bilan est globalement négatif. Il s’agissait d’abord d’empêcher les pays de l’« Axe du mal », dont l’Irak de Saddam Hussein, de se doter d’armes de destruction massive (ADM). Or, quel est le résultat ? La Corée du Nord a toujours l’arme nucléaire, et l’Iran est sur le point de l’acquérir. Et cela parce que les dirigeants iraniens ont pu constater qu’il y avait d’un côté un pays, la Corée du Nord, qui revendiquait la possession de l’arme nucléaire et refusait les inspections, et qui a été épargné. Et, de l’autre côté, un pays qui disait ne pas avoir d’armes de destruction massive et acceptait les inspections, mais qui a été attaqué. On a ainsi fait la démonstration qu’il valait mieux avoir des armes de destruction massive. Par ailleurs, le fait que les États-Unis sont englués en Irak a joué comme un encouragement pour le régime iranien. Cette guerre a donc été un facteur d’aggravation de la prolifération des ADM.

Le second motif, c’était la lutte contre le terrorisme. Cela au prétexte que le régime de Saddam aurait été lié à Al-Qaïda. Or, qui peut dire aujourd’hui que le terrorisme a diminué, d’abord en Irak et ensuite à l’échelle internationale ? Avec cette guerre, la haine de l’Occident a encore monté d’un cran dans le monde arabo-musulman. On se souvient en particulier des grands attentats de Londres et de Madrid. Le troisième motif, c’était l’implantation de la démocratie au Moyen-Orient. Or, s’il est vrai que l’on vote en Irak, c’est sur fond de guerres ethniques et religieuses. Ailleurs, chaque fois que l’on vote, ce sont les plus hostiles à l’Occident qui s’imposent. On l’a vu en Iran, en Palestine. Et on l’aurait vu en Égypte si les élections avaient été véritablement libres. On en arrive donc à avoir des régimes démocratiques et des régimes pro-américains, mais jamais les deux en même temps. Il ne s’agit pas d’antiaméricanisme en tant que tel, mais d’hostilité à la politique extérieure de cette administration américaine.

Parmi les motivations avancées, il y avait aussi, au moins indirectement, le règlement du conflit israélo-palestinien... Oui, on nous promettait un effet « domino ». N’ayant plus à craindre une attaque irakienne, Israël pourrait faire la paix avec les Palestiniens. On voit bien aujourd’hui que ce n’est pas le cas, que le retrait de Gaza n’a pas été le premier pas vers une paix globale. Sharon n’a pas été le « de Gaulle israélien ». De Gaulle, lui, ne s’est pas retiré d’Oran ou de Constantine pour mieux développer la colonisation dans le reste de l’Algérie. Il s’est retiré de toute l’Algérie. On observe finalement que l’on avait déjà un conflit très compliqué entre le monde arabe et l’Occident, pesant lourdement sur les affaires mondiales, on en a à présent un deuxième. On peut par exemple penser que l’affaire des caricatures n’aurait pas pris la même ampleur s’il n’y avait pas tout ce contexte. Car il faut ajouter à tout cela une véritable faillite morale qui résonne dans deux noms hélas bien connus : Abou Ghraïb et Guantanamo. Il ne s’agit pas de manquements individuels, mais bien d’un système organisé. Comment, d’ailleurs, une armée d’occupation pourrait-elle être populaire, quand elle occupe durablement un pays étranger ? On le voit bien dans les témoignages de soldats américains. Ils ne savent dire que deux choses : « On est là pour vous aider » et « Les mains en l’air ». Et cela, sans même parler de la crise énergétique. Certains, comme Alain Madelin, prévoyaient que les cours du pétrole allaient baisser. Là encore, c’est le contraire qui s’est passé.


Denis Sieffert

[www.politis.fr]
La liberté des autres étend la mienne à l'infini.
 
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