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"Ingrid Betancourt va bien", affirme le commandant des FARC
M
27 juin 2006 14:08
"Ingrid Betancourt va bien", affirme le commandant des FARC

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PARIS (AFP) - La Franco-colombienne Ingrid Betancourt, otage depuis février 2002 des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC, guérilla marxiste), "va bien", a affirmé le numéro deux des FARC Raul Reyes dans un entretien au quotidien français L'Humanité paru mardi.
"Ingrid Betancourt va bien. Bien dans la mesure de l'environnement dans lequel elle se trouve. Ce n'est pas facile quand on se trouve privé de liberté. Mais c'est une femme intelligente, affable", a déclaré Raul Reyes à l'envoyée spéciale en Colombie du journal communiste.

"Elle n'a jamais été capturée parce qu'elle est française et encore moins à des fins économiques. Elle l'a été pour obtenir la libération de quelque 500 guerilleros", a-t-il ajouté.

En échange de ces libérations, les FARC restent "disposées à délivrer Ingrid Betancourt", âgée de 44 ans et retenue depuis le 23 février 2002, ainsi que "trois agents de la CIA, tous les commandants et les policiers prisonniers retenus depuis plus de six ans" et des dirigeants politiques, a répété Raul Reyes. Mais il a dénoncé un gouvernement colombien qui "passe son temps à renier ses promesses, à offrir de l'argent et a assassiner", jugeant que "la confiance est perdue".

Raul Reyes a en revanche qualifié de "pays amis" la France, la Suisse et l'Espagne, qui ont proposé la création d'une zone démilitarisée sous contrôle international dans le sud-ouest du pays pour négocier un accord entre le gouvernement et les FARC.

Il avait affirmé jeudi dernier sur la chaîne de télévision Telesur que les FARC étaient "disponibles et volontaires pour parvenir à un accord humanitaire", mais que celui-ci "requiert de la part du gouvernement une vraie volonté politique". Les FARC, principale guérilla de Colombie avec quelque 17.000 combattants, proposent d'échanger 58 otages contre 500 rebelles emprisonnés.

[www.educweb.org]

[permanent.nouvelobs.com]
l
28 juin 2006 00:39
il faut quand meme ajouter que les milices d'extreme droite bénéficient dans ce pays de la plus parfaite impunité. leurs massacres de syndicalistes, de petits paysans collectivistes n'ont jamais été punis.
que faire dans ces conditions sinon organiser la resistance?
les farc ne sont pas les mechants extremistes que l'on presente dans les medias.
ils se sont organisés dans un pays tenu par la mafia, les grands propriétaires et l'extreme droite.
M
28 juin 2006 02:00
La colombie d'Ingrid Betancourt

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Petite revue de presse faite à l'occasion des dernières élections en colombie....voilà....

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PRESENTATION HISTORIQUE ET ETAT GEOPOLITIQUE DE LA COLOMBIE

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50 ans de guerre en Colombie

En Colombie, l’assassinat en 1948 d’Eliecer Gaitan, leader libéral qui a tenté de mobiliser les classes populaires contre l’oligarchie, marque le début d’une guerre civile - la Violencia - qui fera 300 000 morts. Face à la violence conservatrice, des guérillas libérales et communistes font leur apparition. Tandis que les groupes armés libéraux déposent les armes, le Parti communiste colombien préconise une politique d’autodéfense de masses. Des zones d’autodéfense paysannes - dont la mythique « République indépendante de Marquatalia » - se développent, durement réprimées par l’armée qu’assistent les Etats-Unis. S’appuyant sur les rescapés de ces premières guérillas, le Xe Congrès du PCC propose de restructurer un appareil armé révolutionnaire en formant en 1964 les FARC (forces armées révolutionnaires de Colombie). Sous l’impulsion de Jacobo Arenas et surtout Manuel Marulanda (Tirofijo), celles-ci s’implantent dans huit provinces du pays. En 1966, le mouvement est rebaptisé Forces armées révolutionnaires de Colombie-Armée du peuple (FARC-EP). Depuis les années 80, une partie de leur financement provient d’un impôt prélevé sur la coca, auquel s’ajoutera une politique d’enlèvements contre rançon (dite « retenue à la source »). Présents dans plus de 40 % des communes colombiennes, les combattants des FARC-EP (estimés entre 18 000 et 20 000 hommes) opèrent sur soixante fronts d’au minimum cent combattants chacun. Inspirée par l’exemple de la révolution cubaine, l’armée de libération nationale (ELN) commence pour sa part à opérer en 1965. C’est dans ses rangs que meurt au combat, en février 1966, le prêtre guérillero Camilo Torres. Son destin prend valeur de symbole pour tous les chrétiens « engagés » du continent. Jusqu’en 1999, l’ELN sera dirigée par un prêtre espagnol, Manuel Pérez. L’ELN trouve le gros de son financement dans « l’ impôt de guerre » auquel elle assujettit les compagnies pétrolières. Elle pratique également l’enlèvement contre rançon. Ses effectifs sont estimés à 5000 combattants. En 1967, et avec le conflit sino-soviétique, a surgi l’Armée populaire de libération (EPL), maoïste, branche armée du groupusculaire Parti communiste marxiste-léniniste. Actuellement, elle regroupe quelques centaines d’hommes. A ces guérillas s’est ajouté le M19, créé en 1970 pour protester contre la fraude électorale qui prive alors le général populiste Gustavo Rojas Pinilla de sa victoire à l’élection présidentielle. Issu de la bourgeoisie urbaine, loin des idéologies marxistes léninistes, le mouvement se fait connaître en février 1980 par la prise de l’ambassade dominicaine, où sont gardés en otage de nombreux diplomates. Il va par la suite progressivement se radicaliser. Les paramilitaires sont nés à la fin des années 60, dans le cadre d’une politique recommandée par les conseillers américains pour « casser » toute velléité de transformation sociale. Bras armé des narcotrafiquants à partir de 1985, supplétifs de l’armée pour mener la « guerre sale » contre les bases sociales de la guérilla (lire le rapport de Human Rights Watch, février 2000), regroupés depuis avril 1997 au sein des Autodéfenses unies de Colombie (AUC), ils tentent aujourd’hui d’habiller leur stratégie contre-insurrectionnelle d’un discours politique, de façon à paraître autonomes de l’armée et des pouvoirs d’Etat.

Un cessez-le-feu de courte durée
En 1982, le président conservateur Belisario Betancur prend une initiative sans précédent pour « faire la paix » ; en décembre 1983, le M-19 et les FARC constituent un front commun pour négocier. Un accord de cessez-le-feu est signé et entre en vigueur en 1984. Le pouvoir s’engage à lancer une série de réformes politiques, économiques et sociales. Il établit un délai d’un an pour permettre au mouvement armé de s’organiser politiquement.

En novembre 1985, les FARC-EP lancent un nouveau et large mouvement, l’Union patriotique (UP), lequel participe avec succès aux élections de 1986 : 350 conseillers municipaux, 23 députés et 6 sénateurs sont élus au Congrès. Une vague d’assassinats sans précédent fauche 4 000 dirigeants, cadres et militants de l’UP (et du Parti communiste).

Le M-19 cesse les hostilités en 1989 et se constitue en parti : l’Alliance démocratique. Il sera suivi par le parti révolutionnaire des travailleurs en 1991. En revanche, les négociations avec les FARC, l’ELN et les groupes dissidents de l’EPL n’aboutissent pas. Elles aboutissent d’autant moins que la guerre est relancée par le président libéral César Gaviria (1990-1994).

Par la suite, les mouvements d’opposition armée refusent de négocier avec le gouvernement libéral d’Ernesto Samper (1994-1998) : accusé d’avoir financé sa campagne avec de l’argent provenant du trafic de drogue, il a perdu, à leurs yeux, toute légitimité.

Sur fond de misère paysanne, la guérilla lance en septembre 1996 une violente offensive pour soutenir les petits producteurs de coca du sud, tout en réclamant une réforme agraire n’a fait qu’accélérer leur expansion géographique et légitimer la guérilla.

Dès son arrivée au pouvoir en 1998, le président Pastrana décidait de négocier avec la guérilla la plus puissante, les FARC-EP, et rencontrait personnellement leur chef, Manuel Marulanda. Malgré les virulentes critiques du ministre de la défense, des généraux et des Etats-Unis, le président reconnaît implicitement que les révolutionnaires ont pris les armes pour une cause juste, prévoit des mécanismes de dialogue et démilitarise cinq municipios (San Vicente del Caguán, La Macarena, Vista Hermosa, Mesetas et Uribe), une zone de 42 000 kilomètres carrés (grande comme la Suisse ou El Salvador).

Le 24 avril 2000, le président Pastrana a annoncé l’établissement d’une autre enclave « sans présence militaire », dans le sud Bolivar, afin d’entamer un dialogue avec l’Armée de libération nationale (ELN). Cette éventualité se heurte à l’opposition d’une partie des populations de la région, sur lesquelles les paramilitaires exercent une forte pression. Les espoirs nés de la reprise des négociations risquent fort de mourir avec la mise en oeuvre du « Plan Colombie ».

En vertu de ce plan, Washington a accordé, à la mi-juin 2000, une aide de 934 millions de dollars au gouvernement Pastrana, somme essentiellement destinée à la contre-insurrection. Une logique de guerre froide qui rappelle l’Amérique centrale du début des années 80 et à laquelle les guérillas répondent déjà par de très violentes opérations militaires.

[www.monde-diplomatique.fr]

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Entretien avec Maurice Lemoine, Le Monde diplomatique
Colombie : lutte armée et réalités d’un conflit
Entretien avec Maurice Lemoine, journaliste et rédacteur en chef adjoint au Monde diplomatique.

par Frédéric Lévêque , Isabelle Dos Reis
9 mai 2005

Une des conséquences de l’enlèvement de la sénatrice et ancienne candidate à la présidence de la Colombie, Ingrid Betancourt, a été, en Belgique et en France tout particulièrement, de sensibiliser à la dure réalité colombienne plusieurs milliers de personnes [1] qui n’avaient que peu de notions du conflit interne colombien, vieux de près de 50 ans. Le kidnapping en février 2002 de la sénatrice a également déclenché un phénomène médiatique puisque l’on ne compte plus aujourd’hui les reportages, les articles et les hommages rendus au combat de Mme Betancourt. Même si sa famille mène un courageux combat et dénonce à juste titre la politique guerrière et les sabotages du gouvernement d’Alvaro Uribe pour organiser un échange humanitaire de prisonniers, les principales responsables de la détention de la sénatrice restent évidemment les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC).

suite ici:

[risal.collectifs.net]

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Du Panama au Venezuela
Aux frontières du plan Colombie
Stratégie militaire américano-colombienne, le plan Colombie de lutte contre les guérillas n’a en rien permis de résoudre le conflit qui déchire ce pays. En revanche, il commence à affecter les nations voisines. Par sa politique d’ingérence extraterritoriale, il viole la souveraineté des Etats et frappe directement les populations de la région.

par Hernando Calvo Hospina

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[risal.collectifs.net]

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LE CLIMAT PRE-ELECTORAL

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Colombie : un journaliste menacé par l’un de ses gardes du corps, lié aux paramilitaires

Ecrit par Categorynet.com
16-05-2006


Reporters sans frontières dénonce les liens vraisemblables avec les Autodéfenses unies de Colombie (AUC, paramilitaires) d'un garde du corps du journaliste indépendant Pedro Cárdenas, alors qu'il fait partie de l'escorte officielle chargée d'assurer sa sécurité.

"Nous appelons le ministère de l'Intérieur à considérer avec sérieux les intimidations dont est victime Pedro Cárdenas et à enquêter sur d'éventuelles connexions entre le Département administratif de sécurité (DAS), qui lui a fourni une escorte, et les paramilitaires. Nous appelons aussi les autorités à mettre fin à l'impunité dont jouissent toujours les deux individus qui ont séquestré le journaliste en mars 2003. A ce titre, le gouvernement colombien doit revoir la loi "Justice et Paix" qui exonère les paramilitaires de poursuites judiciaires en échange de leur désarmement. Cette loi n'empêche en rien d'anciens paramilitaires, de surcroît blanchis, de se mettre à leur compte", a déclaré Reporters sans frontières.

Ce n'est pas la première fois que Pedro Cárdenas est l'objet de menaces de mort en dix-sept ans de carrière. Alors qu'il vivait à Mariquita (Centre), il avait dû quitter la zone suite à des menaces des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC). Depuis, il s'était installé à Honda (département de Tolima, Ouest), où il avait dirigé un programme d'informations sur la radio RCN pendant cinq ans. Cette émission réservait un espace aux citoyens pour qu'ils puissent dénoncer à l'antenne les anomalies relatives à la gestion de la municipalité. Sa vision du journalisme, qui, selon lui, a un rôle social, et son franc-parler ont séduit les auditeurs de la région.

Le 10 mars 2003, suite à la révélation, lors de son émission, d'une affaire de corruption au sein de la municipalité de Honda, le maire avait convoqué Pedro Cárdenas pour acheter son silence. Le journaliste avait par la suite, reçu la visite d'un homme de main, qui s'était présenté comme membre des AUC et lui avait intimé trois ordres : ne plus parler ni en bien ni en mal du maire et de ses conseillers municipaux, ne plus évoquer l'entreprise Alcanos, qui distribuait le gaz dans la municipalité, et renoncer à son emploi à la RCN. Pedro Cárdenas avait refusé de démissionner. Le 12 mars 2003, deux membres des AUC l'avaient enlevé, puis libéré le jourmême. Malgré l'arrestation de ses ravisseurs, inexplicablement relâchés avant leur jugement qui devait être rendu le 3 mai 2006, le journaliste avait quitté Honda pour Bogotá, avant de partir en exil en Uruguay.

A son retour d'Uruguay, Pedro Cárdenas avait déclaré à Reporters sans frontières qu'il considérait n'avoir plus rien à perdre et qu'il lui restait peu de temps à vivre. "Soit je meurs avec dignité, soit je vis de la manière la plus indigne, ici, à Bogotá", a-t-il confié. Le 18 janvier 2006, il était retourné vivre à Honda, où il travaillait comme journaliste indépendant, dénonçant une fois encore la corruption locale dans la revue bimestrielle La Verdad.

Le 30 janvier 2006, Pedro Cárdenas a reçu la visite, à son domicile, de Rafael Herrerra Martínez, paramilitaire présumé, surnommé "Rafa". Ce dernier lui a dit qu'il ne pouvait pas rester à Honda, et lui a précisé que ce premier avertissement serait le dernier.

Le 25 avril, le journaliste a reçu un appel téléphonique de la part d'un homme qui disait appartenir à un groupe de paramilitaires démobilisés. Il a dit au journaliste qu'un attentat à son encontre était prévu un mois plus tard. Il a pu lui donner des détails concernant le matériel utilisé pour l'attentat et les noms de certains participants et organisateurs, vraisemblablement des paramilitaires.

Le 3 mai, deux hommes à moto, apparemment des paramilitaires, ont recherché, en vain, Pedro Cárdenas dans tous les lieux qu'il fréquente habituellement. Les 8 et 9 mai, le journaliste a trouvé devant sa porte un billet de cinq mille pesos (environ 1,6 euro) avec un bouquet de myrte (utilisé pour les couronnes funéraires) et un ruban violet.

Par la suite, le journaliste a reçu l'aide d'une escorte fournie par le Département administratif de la sécurité (DAS). Cependant, l'un de ses gardes du corps, Franck Giovanni Ríos, aurait tenté de recruter au sein de l'escorte Fernando René Pimentel, membre des AUC de Puerto Boyacá. Preuves à l'appui, a-t-il assuré à Reporters sans frontières, Pedro Cárdenas a dénoncé les faits. Averti, le garde du corps concerné a menacé de tuer le journaliste s'il était renvoyé et a rédigé une déclaration au nom de Fernando René Pimentel, qui ne l'a pas signée, niant les faits dénoncés par Pedro Cárdenas. Le programme de protection du ministère de l'Intérieur a ensuite changé l'escorte initialement désignée. Suite à la publication d'une "étude de risque", effectuée par la police d'Ibagué (Ouest) en mars 2006, affirmant que le journaliste n'était pas en danger à l'heure actuelle, l'escorte lui a été retirée. Dans un courrier adressé au ministère le 12 mai, Pedro Cárdenas s'étonnait de cette décision.

Le 10 mai, le journaliste a reçu un courrier de la part du ministère qui lui annonçait le transfert de sa plainte vers le Parquet général de la Nation et l'ouverture d'une enquête. Cependant, le DAS de la région de Bogotá a émis certains doutes quant à ses déclarations. Selon le DAS, la plainte du journaliste est intervenue après que ce dernier avait pris connaissance d'une plainte de ses gardes du corps l'accusant d'user à d'autres fins l'argent réservé à l'achat d'essence pour le véhicule de protection. Le journaliste a nié et a déclaré détenir une copie des lettres qu'il a envoyées au ministère, lui demandant de changer ses gardes du corps par manque de confiance. Ces lettres sont datées du 22 février 2006 alors que les plaintes des deux gardes du corps ont été déposées le 26 février.



[www.categorynet.com]

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Otages et prisonniers

La Colombie d’Ingrid Betancourt

Appuyés en sous-main par les paramilitaires d’extrême droite, les partis politiques qui soutiennent, en Colombie, le président Alvaro Uribe ont obtenu la majorité aux élections législatives du 12 mars. Malgré un taux d’abstention proche de 60 %, cette victoire conforte les chances de réélection de M. Uribe lors du scrutin présidentiel du 28 mai prochain. La poursuite de la « guerre totale » menée contre les guérillas rendra plus difficile l’« échange humanitaire » réclamé par les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) pour libérer leurs « prisonniers politiques », parmi lesquels la Franco-Colombienne Ingrid Betancourt, séquestrée depuis plus de quatre ans.

Par Maurice Lemoine

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[www.monde-diplomatique.fr]

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"La Colombie ne se résume pas au conflit et au narco-trafic"

L'élection présidentielle colombienne a lieu dimanche 28 mai. En quatre années de pouvoir, Alvaro Uribe n'a pas réduit la violence qui règne dans le pays ni lutté efficacement contre la pauvreté et l'exclusion, racines des conflits armés. Pourtant, il est le grand favori de cette élection. Gloria Flores, directrice de l'association Minga qui travaille à la défense des droits de l'homme revient sur son engagement pour la paix et dessine les enjeux de cette élection. Entretien.

D'où vient votre engagement en faveur des droits de l'homme ?

J’ai commencé à lutter pour les droits de l’homme quand je suis entrée à l’université publique. Auparavant, j’avais suivi toute ma scolarité dans un lycée catholique. C’était un lycée franciscain. Au mois de mai, on célébrait le mois de Saint François d’Assise en même temps que le mois de la Vierge. On nous montrait un film sur la vie de Saint François d’Assise que j’ai vu 7 ou 8 fois dans toute ma scolarité. Dans ce film, j’ai pu constater la générosité et le parti pris pour les pauvres de Saint François d’Assise. Ce film m'a sensibilisé et m'a profondément marquée. Dans mon collège, il y avait des filles bien mises, qui avaient des moyens, et le contraste avec le film était très fort car nous étions très éloignées du monde de la pauvreté. On vivait dans de très bonnes conditions économiques, et pour nous la pauvreté avait quelque chose d’abstrait, contre quoi il n’était pas besoin de lutter pour construire un pays différent. C’est le ferment qui a fait naître en moi une première préoccupation politique et qui m’a fait prendre conscience de la nécessité de transformer ces structures tellement inégalitaires. Par la suite, en terminale, la sœur qui assurait le cours de religion a commencé à nous amener dans les quartiers pauvres. C'était un contact direct avec l’exclusion et la misère, avec la pauvreté. Avec cette sœur, on découvrait autre chose que l'enseignement religieux classique. C’était une religion plus directe, plus engagée auprès des pauvres. Ces deux éléments ont été fondamentaux dans ma décision de travailler pour les droits de l’homme.

Comment cet engagement s'est-il traduit à l'Université ?

Quand je suis arrivée à l’université, les étudiants plus âgés distribuaient des tracts aux nouveaux. On m’a donné un tract qui dénonçait la détention de plusieurs étudiants qui avaient subi des tortures. Cela a attiré mon attention et je suis allée à une assemblée étudiante où on nous a donné davantage d’informations sur les conditions de détention de ces étudiants. Je me suis impliquée dans le comité universitaire de solidarité dans le but de travailler avec les prisonniers politiques, étudiants et professeurs détenus. J’ai donc commencé à travailler et j’ai eu l’opportunité de voir ce que signifiait la torture, la détention arbitraire. J’ai vu de nombreuses personnes torturées, des situations très difficiles. Nous étions au milieu des années 1980 et, en Colombie, la répression s’exprimait par la détention arbitraire massive et la torture. Par la suite, le comité universitaire de solidarité est devenu le comité de solidarité avec les prisonniers politiques. J’ai travaillé pour ce comité jusqu’en 1985, puis je suis partie à Bogota travailler dans la direction. En 1989, j’ai quitté le comité et j’ai commencé à construire une proposition alternative sur les droits de l’homme. À cette époque, les déplacements forcés étaient connus et je voulais travailler sur ce thème. C’est à cette époque que nous avons fondé Minga. Mais les racines de mon parcours se trouvent dans cet engagement chrétien avec les pauvres, avec ceux qui souffrent et avec les victimes.

Quel est le travail de Minga ?

Notre travail se concentre dans les régions où le conflit armé est très fort et où une politique de terre brûlée a été menée dans les années 1990. Au même moment, les paramilitaires sont arrivés. Cette politique de terre brûlée et le développement du projet paramilitaire ont généré des déplacements de populations. Nous avons commencé à mettre en place des ateliers de formation sur les droits de l’homme pour que les gens s’approprient leurs droits, qu’ils sachent qu’ils ont des droits non seulement par rapport à l’Etat, mais aussi vis-à-vis des acteurs armés. Nous leur expliquons ce qu’est le droit international humanitaire. C'est un travail très intense avec les communautés paysannes, indigènes, les femmes, les enfants, les jeunes. Nous avons réussi à construire un réseau de droits de l’homme très fort, à partir du terrain en nous centrant sur la prévention des déplacements. C’est une formation très complète comprenant des explications sur les droits économiques, sociaux et culturels. Suite à ces formations, plusieurs comités des droits de l’homme et des comités régionaux ont été créés. Mais en raison des dénonciations des violations des droits de l’homme, les gens ont été menacés. Plusieurs leaders ont été assassinés, d’autres ont été attaqués et gravement blessés. Cette épreuve a été très douloureuse pour nous, et nous a obligé à changer de stratégie avec les organisations. Nous avons changé de stratégie et, désormais, c’est Minga qui assume le travail de dénonciations depuis Bogota afin de diminuer le coût humain de notre travail. Les organisations sociales avaient toute la capacité de faire ce travail, mais leurs membres n’étaient plus en sécurité.

Comment le conflit a-t-il évolué ces dernières années et quel a été l'impact de la loi “Justice et paix” qui est censée démobiliser les groupes paramilitaires ?

Depuis la fin des années 1980 jusqu'à 2004-2005, les groupes paramilitaires ont développé une stratégie d'expulsion de population et d'accaparement des terres des déplacés. Cela a été une stratégie dirigée, pensée. Ce n'a pas été un fait conjoncturel. Depuis fin 1988, il y a un processus de consolidation du pouvoir paramilitaire. Ils consolident leur pouvoir social, économique et politique tout en conservant leur appareil militaire. Ce qu'a permis ce processus de démobilisation, entre guillemets, c'est de légaliser ce qu'auparavant ils faisaient illégalement. La loi justice et paix est une loi pour garantir l'impunité, pour légaliser l’appropriation forcée des terres et les activités du narco-trafic. Le pouvoir mafieux est en train d'être consolidé dans le pays. Le pouvoir des mafieux, des propriétaires terriens et des narcotrafiquants, a utilisé le paramilitarisme comme moyen pour garantir le contrôle sur les terres. La stratégie de renforcement du pouvoir économique des paramilitaires s'est développée sous prétexte de la lutte anti-subversive. En tant qu’organisation de défense des droits de l'homme nous posons, en compagnie des communautés, inlassablement les mêmes questions : si les paramilitaires ont pour projet d'affronter la guérilla, pourquoi s'en prennent-ils à la population civile ? Pourquoi n'attaquent-ils pas les groupes armés guérilleros ? Ils attaquent la population toujours avec le même mobile : ce sont des auxiliaires de la guérilla, ce sont des guérilleros déguisés en civil… mais, derrière ces prétextes, il y a toujours le désir et la nécessité de contrôler des territoires stratégiques économiquement et politiquement.

Comment voyez-vous l'avenir de la Colombie ?

Bien évidemment, le conflit a des impacts dramatiques, mais le conflit n'est pas tout. Et parfois, on réduit la Colombie au conflit et à ses conséquences en termes de droits humains ou au thème du narco-trafic. Mais en Colombie, il y a d'autres problèmes liés aux inégalités qui sont immenses. La pauvreté a augmenté. Au niveau de l’Amérique latine, la Colombie occupe la troisième place en termes d’inégalités. Les thèmes sociaux, économiques et culturels ne devraient pas être oubliés du débat politique. Ce n'est qu'en résolvant ces problèmes que l’on arrivera à la paix. Le meilleur moyen d’ouvrir le chemin vers la paix, c’est de construire la démocratie dans la garantie des droits des citoyens. Il y a eu un recul énorme durant les quatre ans de la présidence d’Uribe en ce qui concerne ces droits sociaux et économiques. La question de la redistribution des terres, de la nécessité de procéder à une réforme agraire intégrale, de récupérer ces terres volées aux paysans devrait également être abordée. Enfin, la Colombie ne doit pas oublier ce qu'elle est : une société multiethnique et multiculturelle. Cela signifie qu'il faut à tout prix donner la possibilité aux peuples indigènes et aux peuples afro-colombiens de se développer avec leur culture et sur leur territoire afin qu’ils puissent apporter ce qu’ils sont à la diversité du pays et construire une société différente.


[www.secours-catholique.asso.fr]

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Le seul pays d’Amérique du Sud qui vote à droite

LAMIA OUALALOU

26 mai 2006, (Rubrique International)

La réélection attendue du président colombien tranche sur l’évolution des autres pays du continent.


DANS LE PAYSAGE politique latino- américain, la Colombie est une île. Le pays, qui pourrait réélire dès demain le président sortant, Alvaro Uribe, est le seul à ne pas être touché par la vague de gauche qui a emporté l’essentiel du sous-continent depuis le début de la décennie. La Colombie partage deux mille kilomètres de frontière avec le Venezuela de Hugo Chavez, plusieurs centaines avec le Brésil de Luiz Inacio Lula da Silva et tourne le dos à ces deux modèles de la gauche latino-américaine. Pays andin, elle échappe aux métamorphoses politiques d’une Bolivie portant Evo Morales au pouvoir, d’un Pérou qui, en avril, a éliminé dès le premier tour de la présidentielle la seule candidate conservatrice avant de départager deux prétendants de gauche la semaine prochaine, et d’un Equateur tenté par le même chemin dans cinq mois. Le président Alvaro Uribe, ancré sans ambiguïté à droite, affiche sans complexe une alliance stratégique avec les Etats-Unis, que ses voisins honnissent. La gauche en déshérence en Colombie, c’est une vieille histoire. « Elle n’a plus de place depuis les années 1960 », explique la Colombienne Maria Fernanda Gonzalez Espinosa, politologue à la Sorbonne. La gauche a alors joué un double jeu, appuyant d’un côté la guérilla clandestine et tentant, de l’autre, de s’imposer sur la scène politique. Quand des dirigeants progressistes ont décidé de s’affranchir des armes et de se présenter aux suffrages, dans les années 1990, ils ont été massacrés par l’armée ou par les paramilitaires. Le discours de gauche est resté monopolisé par la guérilla marxiste. « Depuis, dans l’esprit des Colombiens, gauche est synonyme de guérilla et de violence », poursuit- elle. Un candidat issu des syndicats Comme le Venezuela, dont l ’histoire politique est très proche, la Colombie est, depuis 1958, pilotée par deux partis conservateurs qui se partagent le pouvoir. A la fin des années 1990 à Caracas, la verve de Hugo Chavez fit exploser ce système. En 2002 à Bogota, c’est celle d’Alvaro Uribe qui capte le vote des démunis. Pour la première fois pourtant cette année, un candidat de gauche paraît gagner les faveurs de la population. A la tête du Pôle démocratique, Carlos Gaviria incarne une aile progressiste qui n’est pas issue de la guérilla, mais des syndicats. Les sondages le créditent de près de 20 % des intentions de vote. « Ce serait un record historique », insiste Fernando Carrillo-Flores, de la Banque interaméricaine de développement et ex-ministre de la justice en Colombie. « La gauche pourrait cesser d’apparaître comme une option radicale aux yeux de la population, trouver sa place dans le paysage politique et, qui sait, l’emporter en 2010 ? » Cette métamorphose est déjà sensible dans les grands centres urbains, notamment à Bogota qui, en 2003, s’est choisi comme maire le syndicaliste Lucho Garzon. Reste à savoir si ces nouveaux dirigeants, qui séduisent l’université et les éditorialistes, trouveront des relais dans les mouvements sociaux et parmi des paysans toujours terrorisés par les questions de sécurité.

[www.lefigaro.fr]

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Colombie

Le cartel de Washington

Alors que l’élection présidentielle se tient le 28 mai, la Colombie vit une crise humanitaire et politique sans égal en Amérique latine. L’élection, en 2002, d’Alvaro Uribe Velez à la tête du pays a décomplexé l’ascension d’une extrême droite dopée au paramilitarisme et au trafic de drogue. Réminiscence de la guerre froide, la guerre contre l’ennemi interne, attisée par Washington, est ancrée au sein du pouvoir.

La Colombie est en guerre depuis 1948. L’assassinat de Jorge Eliecer Gaitan, leader libéral porté par un important mouvement populaire, marque le début d’une guerre civile sans précédent. La violence fera 200 000 morts. Dans les années 1960, des mouvements d’autodéfense paysans, organisés pour faire face à la répression des conservateurs, naissent. Deux mouvements d’insurrection armés - les Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc) et l’Armée de libération nationale (ELN) - ont pour objectif de prendre le pouvoir et d’instaurer un régime à tendance socialiste. Composées pour l’essentiel de paysans, les Farc comptent aujourd’hui environ 20 000 combattants et l’ELN environ 4 000. Depuis, le panorama a peu changé. Un train de mesures immédiates pourrait mettre fin au conflit - les partis de gauche et les organisations populaires portent cette solution -, car les profondes inégalités le perpétuent (1,5 % des propriétaires détiennent 80 % des terres). Une violente répression politique, érigée en politique d’État, maintient au pouvoir une oligarchie intransigeante, la guérilla et la guerre civile tenant du symptôme. Syndicats, mouvements paysans, locaux, étudiants, ONG de défense des droits de l’Homme : toute forme d’opposition politique, de revendications de droits et de justice, est taxée en bloc d’être dirigée ou infiltrée par la guérilla, et les militants font l’objet d’une stratégie d’élimination systématique. Le pays compte aussi plus de trois millions de déplacés internes, paysans pour la plupart, chassés de leurs terres par les groupes paramilitaires et/ou l’armée.

Dès 1965, sur recommandation des Américains, un décret autorise le ministre de la Guerre à « armer des civils avec du matériel habituellement réservé aux forces armées », pour contrer l’avancée de la guérilla. Le paramilitarisme n’a cessé de se renforcer depuis. La stratégie paramilitaire en Colombie n’a pas d’équivalent en termes de cruauté et d’organisation. Né des gardes blanches armées et financées par des latifundistes, le trafic de drogue et certaines sphères politiques, le paramilitarisme est le bras non conventionnel d’une politique d’État criminelle. Ainsi, la guerre sale, les massacres, les violations massives des droits de l’Homme ne sont pas imputables directement à l’État colombien.

Appui des États-Unis

La stratégie est à la guerre totale. En 2000, le président Pastrana, après avoir engagé des négociations de paix avec les Farc qu’il torpilla par la suite (une vieille tradition), opte finalement pour la conclusion d’un accord avec l’administration Clinton, donnant naissance au Plan Colombie. Censé éradiquer les cultures illicites et le trafic de drogue au moyen d’un important dispositif militaire et de fumigations, il est alors présenté comme un « plan pour la paix, la prospérité et le renforcement de l’État », et porte sur sept milliards de dollars, 20 % du budget finançant un volet dit « social » ayant comme objectif prioritaire des « mesures pour attirer les investissements étrangers et promouvoir l’expansion du commerce ». Au début du plan, on enregistrait environ 123 000 hectares ensemencés de coca dans treize départements. Il y en a aujourd’hui au moins 144 000 dans 25 départements. L’essentiel de l’« aide » a servi à surarmer le pays, toute demande de rallonge budgétaire de Bush au Congrès américain pour la guerre en Irak étant doublée d’une demande similaire pour la Colombie. Le pays tient le troisième rang des bénéficiaires de l’aide militaire américaine après Israël et l’Égypte. Une crise profonde s’est installée, depuis les années 1970, au sein des classes moyennes, durement touchées par la désindustrialisation. Ce sont elles qui ont porté Uribe Velez au pouvoir en 2002. Transfuge du parti libéral, élu sur une solution de surenchère guerrière, il s’est présenté en rupture avec la classe politique traditionnelle, prétendant en finir avec le clientélisme et la corruption. Riche propriétaire terrien proche du Cartel de Medellin, l’ex-gouverneur d’Antoquia a géré le programme « Medellin sans bidonvilles », financé par Pablo Escobar, le parrain de la drogue, et s’est illustré par un soutien sans faille aux paramilitaires tout au long de sa carrière.

Violence d’État

Son offensive médiatique et diplomatique consiste à justifier la guerre sale. Cela passe par la construction d’un consensus idéologique, et tous les moyens sont bons, y compris les fausses annonces de démobilisation de guérilleros, reprises par les agences de presse et les médias internationaux. Une stratégie qui incite, avec l’aide de la coopération internationale et la multiplication d’ONG créées en marge du plan Colombie, le pouvoir à coopter une partie de ses opposants, aidé en cela par l’usure de l’opinion face à la guerre et aux guérillas.

La politique mal nommée de « sécurité démocratique » d’Uribe vise à frapper durement la guérilla et à provoquer sa capitulation. Cela inclut la participation croissante de la population civile à la contre-insurrection, avec la mise en place d’un réseau d’informateurs et de soldats paysans, générant l’enlisement du conflit. Avec la loi « justice et paix », votée en 2005, le gouvernement se donne les moyens de légaliser le paramilitarisme, au prétexte de sa démobilisation, et d’institutionnaliser l’insertion sociale de criminels avec l’aval à peine critique de la communauté internationale. La Commission européenne a débloqué 1,5 million d’euros en faveur de la paix et de la réconciliation en Colombie ! Cela se traduit par la présence des paras dans les programmes sociaux et leur déplacement d’une région à l’autre. Le réinvestissement direct des forces armées est patent, dopé par l’aval de Bush et la stratégie guerrière décomplexée d’Uribe Velez.

Les guérillas sont implantées là où le contrôle territorial institutionnel de l’État est quasi inexistant, notamment dans les zones d’avancée de la colonisation agricole de petits producteurs et à la géographie difficilement pénétrable, où elles exercent des fonctions économiques, politiques et judiciaires de substitution. Leurs zones d’influence (les Farc sont réparties en une soixantaine de fronts) se concentrent dans des couloirs clés, riches en ressources naturelles.

Le pays occupe, de fait, une situation géostratégique rêvée au cœur de la zone andino-amazonienne, zone qui compte 60 % des réserves de pétrole et de gaz, 72 % de celles de charbon, 46% du potentiel hydraulique et 40% de l’eau douce de l’Amérique latine. Dotée de façades maritimes sur les deux océans, de ressources énergétiques et minières, la Colombie est le point de jonction des deux plans d’intégration de l’infrastructure continentale, le plan Puebla Panama et l’Initiative d’infrastructure régionale pour l’Amérique du Sud (Iirsa). Ces derniers sont destinés à l’implantation de couloirs industriels, de transport, d’intégration énergétique et de moyens de télécommunication et d’observation ultra-sophistiqués, destinés à l’information des marchés et à l’intelligence militaire. Ils sont doublés de couloirs biologiques ceinturant une biodiversité exceptionnelle conduisant vers l’Amazonie. Si ce maillage a été établi pour le projet impérialiste américain de recolonisation, les Européens complètent subtilement le dispositif de pillage organisé.



Position clé

La signature, en février, d’un traité de libre-échange avec les États-Unis a accéléré les réformes ad hoc en amont. Initié par la liquidation de l’Institut de la réforme agraire, tout un programme destiné à « améliorer le climat des affaires » a été mis en place : privatisations, coupes budgétaires dramatiques, particulièrement dans l’éducation et la santé, organisation de la faillite de certains services publics, loi sur l’eau, loi forestière. Sur une population totale de 46 millions d’habitants, le pays compte 54% de pauvres dont dix millions vivent dans la misère totale. La dette extérieure, multipliée par vingt ces quinze dernières années, s’élevait, en novembre dernier, à 37,337 milliards de dollars, soit 30,2% du produit intérieur brut.

Le plan Colombie, aujourd’hui Initiative régionale andine (IRA), et le repositionnement actuel de l’ingérence politique et militaire des États-Unis ont valeur d’avertissement pour les mouvements populaires de la région, en particulier bolivien et vénézuélien. L’ancrage des guérillas et la résistance exceptionnelle des mouvements populaires civils colombiens constituent cependant un frein essentiel à l’extension du pillage de la région.

Ana Maria Duarte

Campagne électorale à haut risque

La campagne pour l’élection présidentielle du 28 mai prochain tient de la gageure. Porteur du projet unitaire de la gauche radicale, bien ancrée au sein du Pôle démocratique alternatif (PDA), Carlos Gaviria suscite d’importantes mobilisations populaires dans tout le pays, certaines étant hautement symboliques dans des villes tenues par les paramilitaires. Inconcevable pour Uribe, qui utilise directement ses fonctions à l’encontre de ses opposants : survol de meetings par des hélicoptères de l’armée braquant le candidat conservateur Álvaro Leyva Druán, très engagé dans des pourparlers avec les FARC ; poursuite de l’extermination des membres du Parti communiste colombien (150 sont morts sous le mandat d’Uribe) et de l’Union patriotique ; achat de pages Web du PDA redirigées vers le site présidentiel ; suppression de bureaux de vote pour de douteuses raisons d’« ordre public », alors qu’une gigantesque fraude ayant permis le triomphe d’Uribe au premier tour des élections de 2002 vient d’être révélée.



Extension régionale du conflit

En 2002, le gouvernement colombien est le seul, avec celui des États-Unis, à reconnaître le régime issu du coup d’État contre le président vénézuélien, Hugo Chavez. Alvaro Uribe l’accuse à l’envi de soutenir le « terrorisme » des Farc et multiplie les manœuvres de déstabilisation. En 2004, les autorités vénézuéliennes arrêtent 130 paramilitaires colombiens à vingt kilomètres de Caracas, visiblement là pour renverser Chavez et sous commandement des services de renseignement colombiens.

L’enlèvement de responsables des Farc comme Rodrigo Granda, à Caracas, suivi de celui de Simón Trinidad à Quito (Équateur), mandatés pour négocier l’« échange humanitaire » réclamé par la guérilla et par les familles des otages - dont celle d’Ingrid Bétancourt -, a bloqué une issue au sort injuste des otages. Uribe a pris soin de torpiller toute solution pour les victimes d’un conflit étouffé par sa non-reconnaissance officielle. Le mode opératoire évoque le Plan Condor. Au nom de la lutte contre le terrorisme post-11 Septembre et le trafic de drogue, le conflit s’étend désormais ouvertement, via le plan Patriote, à la guerre anti-insurrectionnelle vers l’Équateur. En 2006, plusieurs violations de l’espace aérien équatorien par l’armée colombienne ont fait monter la tension. Les « paras » sont aux frontières des pays voisins et les manœuvres militaires conjointes sous commandement US se multiplient, impliquant de plus en plus de pays latino-américains au nom de la « défense régionale ». Les zones d’état de siège local, comme les zones de réhabilitation et de normalisation suivant le modèle des « hameaux stratégiques » mis en place au Viêt-nam, participent d’une militarisation croissante aux frontières, tout en dotant l’armée colombienne de pouvoirs extramilitaires croissants.

[www.lcr-rouge.org]
M
28 juin 2006 09:56
"Nous aspirons à la réconciliation...mais le président Uribe a rompu le dialogue. »

Colombie . Raul Reyes est commandant des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC). Il explique à notre envoyée spéciale les raisons de la lutte armée de son organisation. Le numéro 2 de la guérilla nous parle d’Ingrid Betancourt, retenue comme otage depuis quatre ans, et qui, nous assure-t-il, « va bien ».

Colombie, envoyée spéciale.

Le président Alvaro Uribe a évoqué un possible échange humanitaire entre les otages et les membres de la guérilla prisonniers. Êtes-vous disposé à négocier ?

Raul Reyes. Nous avons proposé de démilitariser deux municipalités mais Alvaro Uribe a refusé. La direction des FARC en a pris bonne note et en a proposé deux autres : Pradera et Florida, dans le Valle del Cauca. Les opérations militaires se sont poursuivies. Mais nous continuons dans la voie du dialogue et de la paix. Nous avons parlé de ces blocages avec les pays amis dont la France et la Suisse. Le gouvernement espagnol est également dans ce groupe.

Quelles sont les conditions de l’échange et combien d’otages sont-ils concernés ?

Raul Reyes. Pour des raisons de sécurité de nos forces et des prisonniers, les FARC ne dialogueront pas s’il n’y a pas démilitarisation de deux municipalités. Ce gouvernement passe son temps à renier ses promesses, à offrir de l’argent et à assassiner. La confiance est perdue.

Supposons qu’il y ait démilitarisation...

Raul Reyes. Personne ne peut garantir qu’un accord soit signé en soi. Il faut un processus. Les FARC sont disposés à délivrer Ingrid Betancourt, les trois agents de la CIA, tous les commandants et les policiers prisonniers retenus depuis plus six ans, des dirigeants politiques comme les députés du Valle del Cauca. Cela concerne à peu près cinquante personnalités. Nous demandons en échange la libération de tous les guérilleros et guérilleras qui, au moment de la signature de l’accord, se trouvent privés de liberté, y compris Simon Trinidad et Sonia, extradés aux États-Unis.

Comment va Ingrid Betancourt ?

Raul Reyes. Ingrid Betancourt va bien. Bien dans la mesure de l’environnement dans lequel elle se trouve. Ce n’est pas facile quand on est privé de liberté. Mais c’est une femme intelligente, affable... Elle n’a jamais été capturée parce qu’elle est française et encore moins à des fins économiques. Elle l’a été pour obtenir la libération de quelque 500 guérilleros. Cela entraîne des implications, des préoccupations. Elle voit qu’Uribe n’est pas intéressé par un échange humanitaire. Il a tout fait pour employer la force sans se préoccuper du fait que les prisonniers peuvent être tués au cours de ces sauvetages. Uribe réélu, les prisonniers voient s’éloigner la possibilité d’un accord. C’est une situation stressante. Mais aussi pour nos camarades en prison. Simon Trinidad se trouve en isolement total aux États-Unis. Les guérilleros, les prisonniers politiques et leurs familles respectives, tous attendent un accord humanitaire.

Peut-on la voir ?

Raul Reyes. Ceux qui veillent sur elle la voient. Moi non plus, je ne la vois pas...

Au-delà de l’échange humanitaire, comment comptez-vous parvenir à un accord de paix plus général ?

Raul Reyes. Pour obtenir la paix, il faut un gouvernement sérieux, responsable qui en ait la volonté. Nous avons proposé pour dialoguer la démilitarisation de deux départements : le Caqueta et le Putumayo. Que le gouvernement combatte tant qu’il le veut mais qu’il démilitarise une zone pour discuter avec une marge de sécurité. Lors du gouvernement d’Andres Pastrana (1998-2002), nous sommes parvenus à signer l’agenda des douze points (programme visant à l’amélioration de la situation politique, économique et sociale du pays - NDLR). Mais Uribe a décidé de rompre avec tout cela. Il en a donc fini avec le dialogue. Et de qualifier les FARC de terroristes. Le futur est dans la recherche de la paix, mais la paix sans la faim, une paix pour la justice sociale, la liberté, la souveraineté et le respect du peuple.

Dans ces conditions que vous inspire la - réélection d’Alvaro Uribe ?

Raul Reyes. Sa victoire est un feu d’artifice. Le fait le plus significatif est l’abstention (65 %). Aucun des candidats n’est parvenu à motiver les 26 millions d’électeurs. Les problèmes économiques et structurels persistent ainsi que la dépendance vis-à-vis des États-Unis. Le nouveau gouvernement est minoritaire, et donc illégitime. Un fleuve de dollars issu du patrimoine national mais également du narco-trafic des paramilitaires a irrigué la campagne d’Uribe. Ce gouvernement a obtenu également des votes sur la base de pressions, de menaces et de chantages. La crise est énorme.

Le président Uribe se targue de la « démobilisation » des paramilitaires...

Raul Reyes. C’est une pseudo-réinsertion. Dans les faits, c’est la légitimation du paramilitarisme, l’institutionnalisation du terrorisme d’État. Mettant à profit cette situation, les « paras » blanchissent les dollars issus du narco-trafic.

On vous reproche également de verser dans le narco-trafic...

Raul Reyes. Notre financement provient de l’impôt révolutionnaire. La séance plénière de notre état-major a approuvé et rendu publique, en 2000, une loi dite de « contribution ». Elle stipule que les personnes qui possèdent plus d’un million de dollars doivent apporter 10 % à la lutte révolutionnaire. Nous ne vérifions pas l’origine du capital, s’il provient du commerce de café ou du blanchiment de l’argent.

Et dans les départements où les plantations de coca sont importantes ?

Raul Reyes. Les FARC ne demandent pas d’impôts aux paysans cultivateurs de coca, de soja ou de café. La loi s’adresse à ceux qui ont un grand patrimoine. À l’origine les FARC interdisaient, là où nous possédions des fronts, que les gens cultivent la coca. Mais c’est devenu un problème social. Les paysans nous disaient : « Vous luttez pour nous, mais si vous nous empêchez de planter la coca, de quoi allons-nous vivre ? » Nous avons dû changer de politique. L’ennemi dit que nous les contraignons à cette culture. La réalité, c’est que les gens n’ont pas d’autres moyens pour survivre. Depuis l’application du modèle néolibéral, le café a cessé d’être le premier produit de l’économie, faute de pouvoir rivaliser avec des cafés moins cher. Des paysans ont déclaré qu’ils étaient prêts à arracher les plantations si le gouvernement leur garantissait une économie alternative. Nous les soutenons dans cette volonté.

La gauche est devenue la deuxième force politique. Quel regard portez-vous sur ce résultat ?

Raul Reyes. Le résultat du Pôle démocratique alternatif (PDA) est d’autant plus appréciable qu’il a dû mener campagne en surmontant beaucoup de difficultés, de persécutions. La construction d’une force alternative à la droite est un bon principe. Une gauche conséquente, combative, doit germer en faveur des intérêts de la nation, de la conquête du gouvernement et du pouvoir.

N’est-ce pas contradictoire que de s’affirmer pour la paix les armes à la main ?

Raul Reyes. Les FARC se défendent d’une guerre que l’État a déclenchée contre le peuple. Nous sommes issus du peuple. Des jeunes, des femmes et des hommes révolutionnaires, communistes, nous rêvons d’une nouvelle Colombie démocratique, pluraliste, construite en adéquation avec le XXIe siècle. Où les enfants ne meurent plus de faim dans les rues, où les États-Unis ne piétinent plus notre souveraineté. Une Colombie où il existerait une redistribution égalitaire des richesses, où l’on respecterait les droits des indigènes, de la jeunesse, des femmes et des personnes âgées.

On accuse également les FARC d’être responsables d’exactions.

Raul Reyes. On nous accuse de tout. Mais l’on ne peut pas nous accuser de trahir les idéaux colombiens. Nous ne nous soumettrons pas à la bourgeoisie et à l’oligarchie colombiennes. Il y a des régions où les services de renseignement militaire sont de mèche avec les paramilitaires. Ceux-là se font passer pour des civils et assassinent des amis des FARC et au-delà. Lorsque nous arrivons dans ces régions, nous les chassons. La lutte des FARC n’est pas contre les civils. Dans la guerre, il y a des « dommages collatéraux ». Cela ne devrait pas exister mais dans la pratique... Lamentablement, il faut aussi reconnaître que des erreurs ont été commises. Il faut trouver les solutions pour éviter qu’elles ne se reproduisent.

Toutes les guérillas d’Amérique centrale ont déposé les armes et se sont réinsérées dans la vie politique légale. Pourquoi pas en Colombie ?

Raul Reyes. Il n’y a pas d’autres manières de lutter. Lorsque les FARC ont signé un accord de paix en 1984, avec le gouvernement de Belisario Betancur, nous avons lancé l’Union patriotique, avalisée par le gouvernement. L’ultradroite, celle-là même qui gouverne avec Uribe, a assassiné les dirigeants de l’UP à commencer par Jaime Pardo Leal et Bernardo Jaramillo, candidats à la présidentielle, sans compter les milliers de militants tués. Les FARC ne luttent pas pour elles. Nous demandons des solutions aux problèmes qui affectent la société colombienne, exclue de l’exercice du pouvoir, réprimée par l’appareil d’État, exploitée par les multinationales et l’appareil gouvernemental. Pour les FARC, les armes, imposées par nos ennemis, sont un moyen pas une fin. Nous aspirons plus tôt que tard à une Colombie différente, à un gouvernement pluraliste de réconciliation nationale.

Entretien réalisé par Cathy Ceïbe

[www.humanite.presse.fr]

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Un conflit aux origines sociales et politiques
Le fossé entre une puissante élite et une écrasante majorité de Colombiens confinés à la pauvreté est une des explications de la situation colombienne.

Colombie,

envoyée spéciale.

Du fond de la moiteur de

la jungle colombienne, Gladys, Arley, Daisy et Manuel rêvent « d’une nouvelle Colombie ». Ils ont uni leur destin en rejoignant les Forces armées révolutionnaires de Colombie-Armée du peuple (FARC-EP). Issus de familles modestes, voire pauvres, l’iniquité, la violence et l’arbitraire ont motivé leur engagement. « Je me souviens de l’armée débarquant dans mon village, raconte d’une voix blanche Daisy. Ils violaient les femmes, volaient les gens puis les déplaçaient. » Et de se souvenir de l’incapacité à agir sur cette situation. « La majorité des paysans n’avaient ni terre ni maison alors qu’une minorité se partageait les richesses. Toutes les invasions de terres étaient systématiquement réprimées. »

C’est ce fossé, toujours béant, entre une puissante élite et une écrasante majorité de Colombiens confinés à la pauvreté que dénonce Manuel : « Nous vivons dans un pays où le patrimoine est entre les mains d’une oligarchie et de gringos. Ce gouvernement investit dans la droite tandis que les droits sont, chaque jour, plus rognés. »

Selon eux, il n’y avait pas d’autre option que de prendre le chemin de la montagne, l’action légale dans le paysage démocratique étant exclue en raison de la férocité de la répression. À l’origine, le conflit colombien est un conflit rural, l’immense majorité des paysans étant privés de terres. Les bases sociales tout comme le chef historique des FARC-EP, Manuel Marulanda, le plus vieux guérillero du monde, sont d’origine paysanne. « L’exclusion sociale et politique ainsi que l’absence d’une démocratie réelle est une explication mais non une justification, explique Jorge Rojas, ex-président de la Consultation pour les droits humains et le déplacement. Cette précarité démocratique se reflète dans un modèle économique exsangue, inéquitable où priment l’inégalité, la concentration des richesses entre feu de paille et dépendance vis-à-vis des intérêts économiques des États-Unis. »

Encore faudrait-il ajouter le bras armé des paramilitaires, la puissance du narcotrafic, le gangstérisme et les exactions de l’armée. Jorge Rojas estime que la Colombie « oscille dans une action pendulaire entre guerre et paix. Une guerre qui ne peut se gagner militairement mais politiquement par la voie du dialogue. C’est là notre principal dilemme. »

C. Ce.

[www.humanite.fr]

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événement
Voyage dans ces montagnes contrôlées par la guérilla

Depuis quarante-deux ans, les Farc sont engagées dans un conflit meurtrier avec le pouvoir oligarchique. Un affrontement qui n’évite pas les pratiques douteuses.

Colombie,

envoyés spéciale

L’immense bras du fleuve se rétrécit peu à peu. Bientôt, la pirogue s’engage dans un dédale d’affluents étroits. La végétation se fait plus dense et déborde jusque sur les flots : troncs d’arbres, arbustes luxuriants, obstacles naturels et... oeuvres de la main de l’homme. Le cours d’eau n’est plus qu’un minuscule ru. L’embarcation est arrivée à destination. L’ascension peut alors commencer dans le bourdonnement assourdissant des insectes. Les rayons du soleil parviennent difficilement à transpercer les épais feuillages. L’humidité de la jungle colombienne est à couper au couteau.

Soudain, le terrain se fait moins accidenté. L’oeil mal averti ne distingue que malaisément les installations de ce campement des guérilleros des Forces armées révolutionnaires de Colombie-Armée du peuple (FARC-EP) tant il se confond avec le paysage des montagnes colombiennes. Dans une tente reculée, une guérillera, installée derrière sa radio, tente d’entrer en contact avec d’autres fronts de l’insurrection : échange des dernières nouvelles crachotées.

Un éternel recommencement

Il règne dans le camp une ambiance de ruche. Les insurgés, telles de petites abeilles habiles et concentrées, exécutent les tâches qui leur sont assignées. Certains s’affairent à choisir le bois qui servira aux futures constructions. « Il n’y a pas de place pour la monotonie et l’ennui », glisse un insurgé. L’activité permanente est un éternel recommencement, au gré des mouvements et des offensives militaires imposés aux unités et aux bataillons des FARC. « Nous sommes comme l’escargot qui transporte sa maison », explique une guérillera avec, en guise de bagage, un sac à dos contenant de maigres effets personnels.

Une petite passerelle traverse les lieux. De part et d’autre, les « caletas », des planches, montées en hauteur, servent de couches aux combattants. Ces planches sont leur maison, leur univers, leur espace d’intimité. Dans cette unité, comme dans les autres, femmes et hommes vivent, mangent, travaillent, gardent et combattent sans distinction, « avec des droits et des devoirs », précise Gladys (*). En tant que femme, elle dit ne s’être « jamais sentie discriminée ». Voilà près de vingt ans que cette guérillera a rejoint la clandestinité. « Je croyais que c’était désorganisé à cause de la vie dans les montagnes », se souvient-elle. Elle avoue y avoir tout appris. « Je ne savais pas travailler. J’ai dû apprendre à construire des caletas, à planter de la yucca (pomme de terre), des bananes... »

La vie dans la jungle n’est pas de tout repos. Bien qu’il règne une fraternité entre anciens et plus jeunes, le travail y est harassant. Elle est loin de l’image d’épinal du guérillero, cheveux au vent, scrutant les cimes des montagnes. Ici, pas de place pour les icônes romantiques de la révolution.

Coup de sifflet. Les guérilleros se regroupent : repas, tour de garde... Les tâches sont réparties. Mouvement insurrectionnel, cette guérilla n’en est pas moins une armée avec un règlement strict et une hiérarchie à respecter. « Je compte sur toi, mon fils, pour avoir un meilleur futur. » Ce sont les dernières paroles qu’Arley a entendues de son père, il y a quelques années. Le jeune homme, aujourd’hui âgé de vingt-sept ans, quittait alors à peine l’adolescence. Il se souvient de la difficulté d’être « loin de sa famille », surtout « les premiers jours ». Arley a toujours « ses proches à l’esprit ». Et puis, assure-t-il, « se dédier ici à la lutte, c’est leur apporter à eux également ». C’est aussi, peut-être, renoncer à jamais à les voir.

À cette évocation, Gladys fond en larmes. « C’est dur », parvient-elle à articuler. On a beau être guérillera depuis deux décennies, combattre une armée de professionnels ou encore les paramilitaires, être engagée contre « une guerre sale », le choix de l’insurrection implique des renoncements irréversibles. Gladys ne sera jamais mère. « Les enfants me fascinent, glisse-t-elle, mais dans ces conditions... Et puis ce serait un enfant de plus qui grandirait sans ses parents. » Pas question, pourtant, de parler de sacrifices. L’option de la voie armée est totalement assumée. L’unité devient le foyer et les « compañeros », les membres d’une nouvelle famille à part entière. « On s’identifie et on s’entraide », assure Arley.

L’environnement hostile, les conditions climatiques exécrables, le labeur incessant sont le quotidien du guérillero chaussé de bottes en plastique pour prévenir les morsures de serpents et affronter l’impraticabilité des terrains boueux. Gladys assure que « l’ambiance et l’atmosphère ne sont pas contaminées » en dépit des fumigations des plantations de coca.

L’oreille exercée peut entendre le bruit des moteurs des avions militaires sondant, depuis le ciel, l’épaisse végétation, dans l’espoir de repérer un campement. La région est plombée par le plan Patriote, une traque incessante du gouvernement contre les guérillas du territoire. À ce jeu du chat et de la souris au coeur de la jungle, les insurgés ont, depuis quarante-deux ans, une longueur d’avance. Soutien ou crainte de la population, ils gagnent la partie sur le terrain, en s’acclimatant au milieu et en l’apprivoisant. « On se camoufle pour ne pas être frappé », dit simplement Arley. Les couleurs vives sont bannies des vêtements de travail. Dans la rancha, la cuisine, le four est construit à même la terre, sur un flanc, pour éviter que le moindre filet de fumée ne s’échappe. En journée, le silence n’est pas de rigueur, mais seul le bruit des machettes et des scies rivalisent avec celui de la nature. « Je t’écris cette lettre de tristesse », la mélodie s’échappant du transistor est à peine audible.

Le soir, dès dix-huit heures, tandis que la lumière meurt dans les arbres s’élevant dans le ciel, les guérilleros, tels des chats, adaptent leur vue à la pénombre. La nuit tombée, le filet de lumière des lanternes individuelles rivalise avec les lucioles. À vingt heures, c’est l’extinction des feux. Interdiction de se lever, de parler, jusqu’au lendemain cinq heures. La garde veille sur le campement.

Depuis un jour, Daisy et d’autres guérilleros montent la classe, la aula. Travail de la terre, entraînement au combat, les insurgés s’assoient également sur les « bancs de l’école » pour les cours politiques : luttes des classes, marxisme... Quand les conditions le permettent, ils écoutent ensemble les informations du pays et du monde et les commentent. « L’idéologie est notre principale arme », rappelle Arley.

Une fois la classe montée, Daisy, fusil à l’épaule, dévale à toute allure la pente pour rejoindre la petite rivière en contrebas. Le « bain » n’est pas seulement le rendez-vous obligatoire de l’hygiène. Il est également un moment privilégié de détente. À peine ressourcée, elle enchaîne une garde de deux heures. Assise sur sa caleta, la jeune métisse touche à peine à sa timbale remplie de pâtes. « Mon engagement dans les FARC est lié à une nécessité : la souffrance, la pauvreté des familles colombiennes, explique-t-elle. Très tôt, j’ai pris conscience de cette situation. » Sa famille « collaborait avec la guérilla ». Elle s’est donc engagée avec les FARC en dépit des critiques et des récriminations. « Hier on nous accusait d’être des bandits, des narcotrafiquants. Aujourd’hui, nous serions des terroristes, simplement parce que Bush, après le 11 septembre 2001, en a décidé ainsi ? » Sans hausser le ton, elle affirme : « Les gens qui osent réclamer des droits, qu’ils soient syndicalistes ou travailleurs, sont accusés d’être des terroristes. » Pour Daisy, cette accusation « sert de prétexte au gouvernement pour nier le conflit interne qui déchire la Colombie ».

Aucun remord

ni regret

Le ciel s’est brutalement assombri. Quelques secondes plus tard, des trombes de pluies s’abattent sur la jungle. Sous les trombes d’eau, Manuel, imperturbable, continue de construire le Palco, où ses « camaradas » feront leur exercice et se mettront au garde-à-vous. Mettant à profit l’abondante averse, il nettoie le plancher avec une minutie déconcertante dans un tel décor.

Manuel cherche ses mots. Il n’a pas l’habitude de s’exprimer, s’excuse presque. « La répression est si violente qu’il est difficile de s’exprimer et de se battre à visage découvert, lâche-t-il. La seule manière de défendre sa propre vie, c’est de prendre le chemin des montagnes et les armes. » La vie dans la jungle est « un choix », « une nécessité », disent-ils tous, certains de participer à la construction d’une « nouvelle Colombie », « libre de tout ce régime oligarque », avance Gladys. L’objectif est « que tout le monde ait droit de cité, considère Daisy. La justice sociale, ce n’est pas la pax romana dépeinte par les gringos et Uribe, mais de réels droits humains sans distinctions de couleurs et de classes », ajoute-t-elle. Quelque part dans cette jungle colombienne hostile, des hommes et des femmes ont enfoui leurs états d’âme. Aucun remord ni regret...

Le jour se lève à peine lorsque la pirogue quitte le campement et s’engage dans le labyrinthe de verdure. Sous une pluie incessante, les insurgés sont déjà à l’oeuvre, à l’abri des regards.

(*) Tous les prénoms ont été modifiés.

Cathy Ceïbe

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